Intervention de Annick Girardin

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Annick Girardin, ministre des outre-mer :

Encore plus que la loi de finances initiale, la loi de règlement est essentielle pour comprendre et analyser le budget de l'État, la ventilation des crédits entre les différentes politiques publiques, et retracer les différents aléas de gestion qui interviennent nécessairement au cours d'un exercice.

Comme le rapporteur spécial, je considère qu'il est fondamental de revaloriser le rôle du Parlement dans le contrôle de l'utilisation des crédits afin de mieux comprendre les décisions qui émaillent l'exercice budgétaire. C'est pourquoi je me félicite sincèrement de venir répondre à vos questions ; et même si l'année 2017 fut une année de transition gouvernementale, elle a été riche pour le ministère de l'outre-mer, en enjeux, bien sûr, mais aussi en défis face auxquels, je l'espère, nous avons été à la hauteur.

Ce qui m'a d'abord marquée a effectivement été la question des crises sociales et climatiques, dont les conséquences se font toujours sentir. Les événements exceptionnels liés aux mouvements sociaux de Guyane ainsi qu'aux ouragans destructeurs qui ont frappé les Antilles ont entraîné une mobilisation budgétaire exceptionnelle. En 2017, le ministère des outre-mer a dégagé 115 millions d'euros pour couvrir les besoins liés à deux événements.

En volume, cet effort correspond à près de 15 % de dépenses réellement pilotables du programme 123, qui constitue le programme principal de l'exécution duquel je suis chargée, et qui a été en forte hausse par rapport à l'année 2016. La mobilisation de ces crédits a été rendue possible par plusieurs éléments : d'abord le dégel intégral de la réserve de précaution, qui a redonné au ministère plus de 180 millions d'euros de marges de manoeuvre ; ensuite l'absence totale – nous sommes les seuls dans ce cas – d'annulations de crédits lors de la taxation interministérielle de l'été. Rappelons que près de 3 milliards d'euros ont été annulés au mois de juillet dernier afin de respecter notre objectif de déficit public, et que trois missions Défense, Écologie et Recherche et enseignement supérieur ont à elles seules supporté près de la moitié de ces annulations ; au total, pas moins de 26 missions et 77 programmes ont été mis à contribution, ce que je veux saluer ici.

Troisième élément, l'ouverture de crédits en loi de finances rectificative (LFR) à hauteur de 15 millions d'euros de crédits de paiement afin de soutenir la collectivité de Saint-Martin et d'alimenter le fonds de secours pour l'outre-mer. Les besoins non couverts par ces dispositifs ont été assurés grâce au redéploiement de crédits au sein de la mission pour près de 41 millions d'euros en AE et 29 millions d'euros en CP ; les responsables de programmes ont dû opérer des choix de gestion qui expliquent la diminution des crédits engagés sur la LBU et sur les contrats. Tant il est vrai que s'impliquer politiquement et à la tête d'un ministère amène, à certains moments, à devoir faire des choix.

La question de la répartition exacte des dépenses entre les différents ministères m'avait déjà été posée à l'automne dernier, et je sais combien il est important que des réponses soient apportées très rapidement. Cela sera fait très prochainement, puisque nous allons terminer le travail de compilation qui nous permettra de connaître à l'automne la ventilation précise entre ce qui a été engagé pour la Guyane et les Antilles après le passage d'Irma et autres cyclones qui ont touché ces territoires.

Aussi, même s'il nous reste des progrès à faire, vous savez combien je suis attachée à cette notion de transparence et d'intelligibilité des budgets et de ce que nous menons comme action. C'est la raison d'être du site internet « Transparence outre-mer », que j'ai souhaité mettre en place afin que chaque citoyen puisse suivre l'efficacité du travail de l'État, mais aussi de l'ensemble des partenaires sur un territoire donné. La Guyane a été la première concernée, mais tous les territoires le seront au fur et à mesure du traitement des dossiers.

Cela me permet de revenir au premier point de votre intervention, monsieur le rapporteur spécial, qui portait sur la sincérité budgétaire.

Pour ma part, je n'éprouve aucune difficulté à évoquer ces mouvements de crédits. Je l'ai déjà fait devant vous tous, votre critique est juste et je la partage pleinement ; ces transferts de crédits n'avaient aucune justification technique, ils ont contribué à fausser à la hausse la présentation du budget 2017 et à la baisse la présentation du budget 2018. Il est donc important de pouvoir se dire les choses en toute franchise ; je peux vous assurer que ces mouvements de périmètre injustifiable qui rendait le budget insuffisamment lisible, voire insincère, ne se reproduiront plus. Il y va de la transparence que nous devons aux parlementaires, mais également à l'ensemble des citoyens.

Je précise à l'intention de Serge Letchimy qu'aucune sous-exécution n'a affecté le programme 123 qui, au contraire, a connu une augmentation de 12 %. Mais c'est précisément parce que ces mesures de sincérité étaient absentes que je les ai souhaitées dans l'exécution, et que nous pouvons parler aujourd'hui d'une transparence totale.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de clarifier une fois pour toutes ce point ; votre question démontre l'importance fondamentale de l'analyse de l'exécution budgétaire, même si elle intervient à froid, à une époque où, on peut le dire, le temps politique ou médiatique donne rarement l'occasion de prendre le recul nécessaire.

Vous m'avez interpellée sur les dispositifs d'aide économique en faveur des outre-mer. Je veux redire qu'ils constituent un écosystème indispensable pour permettre à la chose économique de se produire sur notre territoire, et donc de créer des richesses et des emplois. Je souhaite, devant la représentation nationale, ouvrir une parenthèse et partager avec vous une observation : si la France est ce qu'elle est, c'est grâce aux territoires d'outre-mer – et le Président de la République a pu le dire. Elle est également ce qu'elle est parce que nous assumons un modèle social et sociétal éclairé ; or ce modèle a un coût, qu'il faut l'assumer, et je l'assume.

Il faut donc permettre aux entreprises d'outre-mer, sans jamais renier nos valeurs, de réaliser leurs activités dans des conditions de compétitivité et de performance satisfaisantes. C'est dans cet esprit que j'ai souhaité revoir l'écosystème économique de nos territoires, pas par plaisir de réformer, mais pour l'inscrire dans un temps long, tout en rendant plus efficientes les mesures particulières qui le composent. Nous avons commencé par là parce que le développement économique des outre-mer n'a jamais été, à mon sens, considéré comme une priorité offensive. J'ai donc souhaité repenser en profondeur les fondements de l'intervention de l'État : l'économie ultramarine, par sa diversité, sa créativité, mais aussi ses fragilités, que vous connaissez, nécessite un accompagnement particulier ; c'est ce qui justifie les 2,5 milliards d'euros annuels d'aides, placés sous la revue que nous sommes en train de terminer ensemble.

L'objectif de cette transformation est de favoriser l'émergence d'un climat des affaires compétitif, attractif et performant, adapté aux défis de nos entreprises ; par définition, cette transformation fera bouger les lignes. Nous n'abandonnerons personne ; nous souhaitons en revanche mener une politique plus lisible et plus efficace. Nous avons préparé cette réforme sur quatre champs : celui des territoires, où nous allons mettre en place un nouveau dispositif de zone franche économique ; celui des investissements, où l'aide fiscale à l'investissement outre-mer sera préservée, mieux encadrée, simplifiée ; celui du coût du travail, où nos propositions se concentrent sur un effet de renforcement de la compétitivité du facteur travail autour du SMIC ; celui enfin du financement des entreprises et de l'économie.

Je reviens rapidement sur les investissements, particulièrement sur l'aide fiscale à l'investissement productif, point sur lequel je partage votre analyse, monsieur le rapporteur spécial. Ces dispositifs doivent être maintenus et prolongés dans leur forme actuelle. Mon objectif, je le répète, est qu'ils soient maintenus au moins jusqu'à la fin du quinquennat, sinon, je l'espère, et c'est un combat que nous allons mener, jusqu'en 2025.

La défiscalisation a un effet procyclique et c'est bien ce que nous recherchons : nous souhaitons que tous les bons projets soient accompagnés sans que cet accompagnement ne puisse être plafonné. Ma position actuelle tient compte de votre souhait que cette aide ne soit pas budgétisée. En revanche, si nous voulons la prolonger, il faudra la rendre plus robuste. Vous l'avez dit, pour la partie nécessitant un agrément, les choses sont sécurisées ; il faut certes encore pouvoir renforcer la relation entre le porteur de projet et l'administration : c'est au coeur des travaux que mène mon ministère ainsi que le ministère de l'action et des comptes publics, en concertation, bien entendu, avec les acteurs socioprofessionnels.

Il s'agit donc de clarifier la procédure, les définitions des types d'investissement et les pièces constitutives des dossiers. Il faut simplifier ; c'est l'engagement que nous avons pris. Mais les projets doivent aussi être en cohérence avec les stratégies de territoire ; plus de cohérence dans l'action publique, c'est le moins que l'on puisse demander. Mais le gros des dossiers échappe à ce contrôle, dans la mesure où ils ne nécessitent pas d'agrément, et c'est pourtant ce que nous devons sécuriser. Sécuriser l'action publique avec les acteurs socioprofessionnels, c'est quelque chose qui me tient à coeur. J'ai évoqué des pistes de sécurisation : une implication des commissaires aux comptes, qui pourraient ainsi agréer la réalité des investissements, constituerait, me semble-t-il, une solution intéressante. Nous en débattons en ce moment ; je défends cette position sur l'aide fiscale à l'investissement productif, bien entendu.

D'autres dispositifs plus anciens ont besoin aussi d'être repensés ; ils sont souvent trop passifs et constituent des dépenses qui doivent être réactivées. Ainsi en est-il de la TVA non perçue récupérable, que je souhaite supprimer, je l'ai dit devant les chefs d'entreprise. Cela se fera sans pertes, car je souhaite rebudgétiser l'intégralité de ce montant afin de déployer de nouveaux outils plus dynamiques pour les entreprises d'outre-mer – l'enjeu est tout de même de l'ordre de 100 millions d'euros.

Je pense à un dispositif qui permettrait de réduire drastiquement les délais de paiement pour les entreprises – je sais que vous y travaillez, monsieur le député Serva : en tant qu'expert-comptable, vous êtes au quotidien dans l'accompagnement des entreprises qui peuvent subir des délais de paiement pouvant quelquefois dépasser 200 jours dans certains territoires, notamment en Guadeloupe ; ce n'est absolument pas tolérable. Je partage votre avis : les entreprises ne peuvent être les banques des acheteurs publics. Nous mettons la dernière main à un dispositif qui leur permettra de céder leurs créances, et ainsi de récupérer de la trésorerie.

Je pense aussi à des dispositifs de préfinancement de l'investissement dans le cadre du crédit d'impôt ; je sais que vous y tenez également, et nous souhaitons poursuivre la dynamique qui nous fera passer de la défiscalisation au crédit d'impôt. En outre, nous finalisons un outil qui répondra aux besoins des entreprises, alors que ce n'est pour l'heure pas le cas. Nous maintiendrons un droit d'option entre les deux systèmes. Je sais que vous serez à mes côtés, car nous partageons la même ambition : sécuriser ces dispositifs essentiels à la réalisation des projets qui nous tiennent à coeur outre-mer. Nous ferons ainsi des territoires d'outre-mer de véritables territoires de conquête.

Sur le logement, monsieur le rapporteur pour avis Letchimy, monsieur Nilor, la ligne budgétaire unique (LBU) a été exécutée à hauteur de 199 millions d'euros, soit un recul de 17 millions d'euros par rapport à 2016. Cela étant, ce chiffre est stable par rapport à 2015. On peut ne pas s'en satisfaire, mais quelles sont les causes de cette situation ?

En premier lieu, la crise de grande ampleur en Guyane et aux Antilles a entraîné des difficultés pour les opérateurs, qui n'ont pas toujours réussi à produire les dossiers dans le calendrier prévu : certains ne sont donc jamais remontés et n'ont donc pas pu être financés.

En second lieu, la disponibilité du foncier et les délais d'obtention des permis de construire ont posé des difficultés sur certains territoires : ainsi, à La Réunion, près de 20 millions d'euros de projets ont été reportés à 2018, en l'absence de délivrance de permis de construire. En conséquence, le nombre de logements sociaux financés a chuté d'environ 10 %. Il s'établit cependant au même niveau – 9 300 logements – qu'en 2015, année qui n'avait pourtant pas connu de crise de l'ampleur de celle de 2017.

Malgré cette situation budgétaire exceptionnelle, nous avons maintenu localement un effort significatif. Le nombre de logements livrés ou mis en chantier est en hausse de plus de 6 %. En matière d'accession à la propriété, l'objectif initial a été largement dépassé avec 476 opérations et une hausse de 15 % des crédits consommés. Le coût de la subvention par logement a diminué de 2,4 %.

Ce bilan est très positif pour l'avenir. Je suis confiante dans nos capacités collectives à remplir les objectifs ambitieux du Plan logement pour l'outre-mer. Depuis plusieurs mois, vous le savez, nous travaillons à l'élaboration d'une stratégie globale de relance de ce Plan. Elle sera présentée lors des assises des outre-mer, en complément des dispositions du projet de loi relatif à l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), actuellement en débat.

Vous avez raison, monsieur Letchimy : nous devons nous interroger sur notre capacité à retenir nos jeunes outre-mer et à y faire germer les talents. Avec un chômage de masse – entre 44 et 47 %, contre 24,6 % au niveau national, leur insertion est un enjeu majeur pour l'avenir de nos territoires.

Nous ne savons pas suffisamment leur parler d'avenir. Or, si leur avenir est obscur outre-mer, ils font d'autres choix. C'est pourquoi j'ai voulu leur redonner la parole : la préparation des assises des outre-mer a mobilisé plus de 25 000 contributeurs. Les débats ont souligné leur fierté et leur envie de rester dans leur territoire, tout en partageant son développement. Mais en même temps, ils ont besoin que nous leur donnions une vision d'avenir.

Je vous rejoins : l'avenir de la jeunesse arrive en tête des préoccupations de nos concitoyens ; il doit donc être notre principale préoccupation. Chaque jeune doit pouvoir avoir le choix de son avenir, dans un territoire d'outre-mer ou ailleurs.

On dit souvent que l'on transmet deux choses à nos enfants : des racines et des ailes. Les racines sont solides dans nos territoires, mais nous devons leur donner ces ailes : des solutions seront proposées dans le cadre des assises, mais également par le biais du plan d'investissement dans les compétences qui représente 800 millions d'euros sur le quinquennat, à destination de la formation et de l'insertion professionnelle.

Cela ne suffira pas : à compétences égales, tous, sans distinction d'origine ou de conditions, doivent avoir accès à l'entreprise et à l'emploi. Je sais que c'est votre combat, monsieur Letchimy. Je fais volontiers mienne cette ambition pleine d'humanisme. Le nouvel écosystème économique que nous allons présenter ne sera pas la solution à tous les problèmes, mais il permettra à la jeunesse de rester davantage dans nos territoires, devenus plus performants, plus compétitifs et donc plus attractifs.

Monsieur Nilor, vous m'avez interrogée sur l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM). J'ai obtenu le maintien de la subvention de LADOM sur le quinquennat. Ce n'était pas gagné… L'exécution 2017 est équivalente à celle de 2016. Et en 2019, 3 millions d'euros seront bien budgétisés au titre du renouvellement de son parc informatique.

Au-delà, nous devons évaluer précisément les difficultés rencontrées et proposer un plan de redressement et de réorganisation de cette agence. LADOM a-t-elle vocation à être une agence de voyages ? Je ne le crois pas. L'objectif assigné à LADOM est de mieux accompagner les jeunes des territoires d'outre-mer. Or une grande part de ses personnels est occupée à des tâches de réservation et des modifications de billets d'avion… Il doit être possible de travailler autrement.

La mission conjointe de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des finances (IGF) que nous allons diligenter nous permettra de disposer d'un état des lieux des procédures de fonctionnement de l'agence et d'une évaluation de l'adéquation des moyens humains avec ses objectifs. J'ai signé la lettre de mission ; elle est désormais sur le bureau de M. Darmanin et sera très vite publiée.

Sur les sargasses enfin, monsieur Nilor, sachez que le sujet est géré au plus haut niveau : six ministères sont impliqués – santé, écologie, intérieur, recherche et bien sûr économie, le tout coordonné par le ministère des outre-mer. C'est la première fois qu'un Gouvernement prend pleinement conscience de l'ampleur du phénomène, alors qu'il est apparu en 2011. Vous avez raison, il n'y a rien de nouveau, nous ne découvrons pas le problème. Mais ce que je découvre en arrivant au ministère, c'est que rien n'a été programmé : quand on appuie sur un bouton, rien ne se déclenche… C'est totalement anormal. Personne ne sait qui paie quoi, qui fait quoi ni comment, avec quels moyens humains. Nous avons donc mis en place un plan national afin que les différents ministères sachent qui doit s'engager sur quoi. Ce plan sera présenté en fin de semaine à la Martinique et en Guadeloupe par Nicolas Hulot et moi-même. Ensuite, différents plans régionaux ou locaux seront déclinés.

Nous avons doublé les fonds habituellement alloués à la lutte contre les sargasses car le problème est exceptionnel cette année : nous y consacrerons 3 millions d'euros. Cela ne suffira peut-être pas. Nous serons peut-être obligés de réévaluer l'enveloppe en fonction des besoins. Effectivement, il nous faut prendre en considération le fait que c'est une catastrophe, qu'elle est naturelle, et qu'elle appelle un dispositif particulier.

Je n'ai pas pu répondre à mon ami Joël Giraud, mais je suis sûre que les prochaines questions me permettront de le faire !

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