Intervention de Marc Le Fur

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 8h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Le Fur, rapporteur spécial :

L'année 2017 a été marquée par un rebond de l'aide française au développement, au titre de laquelle 10,1 milliards d'euros ont été déclarés à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L'augmentation sensible, égale à 16 %, de ce montant par rapport à 2016 ne se concentre toutefois pas sur la seule mission Aide publique au développement proprement dite.

Au regard des crédits ouverts dans la loi de finances initiale (LFI), la mission Aide publique au développement a été exécutée à hauteur de 96,8 % en autorisations d'engagement (AE) et de 95,7 % en crédits de paiement (CP). Elle représente 3,7 milliards d'euros en AE et 2,5 milliards d'euros en CP. Les plafonds de dépense de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) ont donc été respectés.

Je souhaiterais, monsieur le ministre, vous interroger sur quatre sujets : les conséquences des annulations de crédits intervenues en juillet 2017, l'aide de la France au Mali, les récentes annonces du ministre de l'action et des comptes publics sur les effectifs, et enfin le respect des engagements du récent Conseil interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) visant à porter l'aide publique française à 0,55 % du revenu national brut (RNB).

La mission Aide publique au développement a été l'une des plus touchées par les annulations de crédits du décret d'avance de juillet 2017. Elle a subi une diminution de 158 millions d'euros au titre des AE et de 136 millions d'euros au titre des CP.

Chacun comprend la nécessité de maîtriser les dépenses publiques. Dans le domaine qui nous intéresse toutefois, celle-ci coïncide avec des propos politiques qui tracent une orientation sensiblement différente. Le discours évoque en effet une augmentation des crédits de l'aide publique au développement (APD), un accroissement proportionnel du bilatéral par rapport au multilatéral, ou encore une politique de don susceptible de répondre de façon adéquate aux préoccupations d'États jugés prioritaires, en particulier les 19 pays identifiés comme les plus pauvres et les cinq pays appartenant à la zone sahélienne. Sans contester les impératifs budgétaires, je mets donc en relation des annonces très ambitieuses avec des décisions aboutissant à une réduction sensible des crédits. En outre, l'unique levier d'ajustement résidant dans les dons, ce sont finalement les pays les plus pauvres qui ont subi le plus fortement cette diminution. L'Agence française de développement (AFD) a dû reporter 15 projets, pour un montant de 77 millions d'euros. Certains d'entre eux étant déjà lancés, elle a dû les financer en fonds propres.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que l'équilibre budgétaire de l'AFD sera assuré pour la prochaine loi de finances ?

D'autres choix étaient possibles, comme la direction du budget l'a indiqué à la Cour des comptes et comme l'a reconnu cette dernière. Ainsi, l'effort aurait pu porter non sur le bilatéral, les dons et les pays les plus pauvres, mais sur le multilatéral, à l'égard duquel notre degré de contrôle est très limité, en particulier pour les crédits que nous accordons via l'Organisation des Nations unies (ONU). Il y a, certes, une facilité à accorder ces crédits : à peine sont-ils décidés qu'ils sont décaissés. En termes d'exécution, ils contribuent donc plus aisément à l'objectif de 0,55 % du revenu national brut fixé à l'aide publique française.

Monsieur le ministre, quelles raisons vous ont conduit à faire porter les annulations sur les dons bilatéraux, stratégiques pour la France et affichés par votre gouvernement comme une priorité ?

J'en viens au deuxième volet de mon propos, qui traitera du Mali. Si j'ai choisi de me rendre dans ce pays, c'est parce que le Mali fait partie des 19 pays prioritaires de notre aide et des 5 pays de la bande sahélienne, et que s'y croisent des préoccupations touchant à l'APD mais aussi à notre défense et à la politique migratoire. Le Mali compte en effet parmi les zones qui envoient le plus de migrants vers la France.

Avec 18 millions d'habitants, le Mali est doté d'un budget de quelque 3 milliards d'euros, tandis que l'aide publique au développement dont il bénéficie, tous pays et organisations confondus, atteint un milliard d'euros. Si cette comparaison fournit une appréciation des échelles en jeu, elle doit néanmoins être maniée avec précaution, sachant que l'aide publique au développement ne contribue pas nécessairement au budget de l'État.

La France se classe derrière les États-Unis et l'Union européenne parmi les contributeurs de l'aide publique au développement perçue par le Mali. Ce pays est le quatorzième pays bénéficiaire de l'aide française, pour 2,9 % des crédits de la mission en 2017. Les montants attribués par la France, s'ils apparaissent relativement modestes, sont néanmoins déterminants. Ainsi avons-nous décaissé 71 millions d'euros à son intention, pour un tiers sous forme de dons et pour deux tiers sous forme de prêts très avantageux. Ajoutons que la France place le Mali au rang des pays prioritaires de son aide et qu'elle y envoie des soldats.

Monsieur le ministre, considérez-vous que l'aide publique que nous accordons au Mali est à l'échelle de notre engagement politique ?

Au titre des réalisations, un projet a particulièrement retenu notre attention, l'assainissement de plusieurs quartiers de Bamako, bénéficiant à 2 millions d'habitants. Outre le bénéfice qu'il apporte à la population, il présente un intérêt pour nos entreprises, puisque des compagnies françaises en assurent la maîtrise d'oeuvre.

Au-delà des questions de moyens, nous distinguons deux véritables difficultés pour l'aide publique française au Mali. La première d'entre elles tient à une faiblesse gouvernementale. Le gouvernement malien ne maîtrise en effet que la partie centrale du pays, tandis que le Nord voire le centre lui échappent relativement. Or, pour déployer une politique de don, il faut avoir un interlocuteur qui soit un maître d'ouvrage. En l'occurrence, le maître d'ouvrage gouvernemental est à certains égards défaillant. La deuxième difficulté tient à des questions de sécurité. À titre d'exemple, l'Union européenne a dû arrêter en décembre 2017 le chantier de construction de la route Niono-Tombouctou, pour ne pas exposer les travailleurs à des risques. Comment éviter ces difficultés ? Il peut être envisageable de passer par les collectivités et les organisations non gouvernementales (ONG). Nous continuons d'aider ces dernières dans le Nord Mali, dans des zones où nos propres diplomates peinent à accéder.

Le Mali connaît en outre une explosion démographique, et la France est une terre d'accueil pour nombre de ses ressortissants. Or les autorités maliennes s'avèrent très peu coopératives en matière de délivrance de laissez-passer consulaires lorsque des immigrés illégaux sont appréhendés en France et font l'objet d'obligations de quitter le territoire.

J'en viens à ma troisième interrogation. Le gouvernement a annoncé une réduction très sensible des effectifs des agents du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères à l'étranger. Or l'aide publique au développement, singulièrement en termes de dons, exige des collaborateurs sur le terrain. L'aide publique à la santé, qui a joué un rôle conséquent au Mali, est par exemple liée à la présence de quelques spécialistes des questions de pandémie en Afrique.

Monsieur le ministre, comment se traduira la réduction de 10 % des effectifs de fonctionnaires à l'étranger annoncée par le gouvernement ?

Enfin, quelle trajectoire permettra d'atteindre l'objectif d'une aide publique correspondant à 0,55 % du RNB ? En termes d'AE, cela nécessite une augmentation d'un milliard d'euros au titre de l'année 2019. Elle est d'ailleurs annoncée. Qu'en sera-t-il pour les crédits de paiement ? Peut-être ne pourront-ils pas croître dans les mêmes proportions dans un premier temps, mais ils devront au moins rester à l'échelle.

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