Intervention de François Jolivet

Réunion du mardi 12 juin 2018 à 8h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Jolivet, rapporteur spécial pour le logement et l'hébergement d'urgence :

À l'occasion de ce premier exercice d'évaluation des politiques publiques, j'ai choisi de m'intéresser à la production de logement sociaux dans deux régions : l'Île-de-France, qui est évidemment celle où la situation est la plus tendue ; et Centre-Val de Loire, que je connais bien, afin d'avoir un élément de comparaison radicalement différent.

Une des questions auxquelles j'ai cherché à répondre et sur laquelle je vais focaliser cette intervention est la suivante : l'État est-il capable de suivre la production de logements sociaux et le pilotage de cette production à l'échelle d'une région ? La question est simple, mais la réponse est beaucoup plus difficile.

Comment produit-on un logement social ? L'État, chaque année, fixe des agréments par territoire, déclinés dans différents documents de programmation locaux. Ensuite, ces agréments, qui valent autorisation de financement, sont dédiés aux bailleurs, sur la base de dossiers déposés par ceux-ci. Chaque agrément vaut engagement de l'État à financer sa part du logement social. Puis le projet suit son cours chez le bailleur : permis de construire, mise en chantier, mise en service, avec d'éventuels obstacles – notamment, des obstacles contentieux, mais aussi liés aux échéances électorales et au rythme des événements de la production d'un logement. Le rythme de la production d'un logement est un temps long.

Face à la crise du logement social, en particulier en Île-de-France où l'on comptait en 2017 presque neuf fois plus de demandes que d'attributions, on attend de l'État qu'il joue un rôle de pilotage, un rôle facilitateur pour tous les acteurs. Il s'agit « d'embarquer » ces derniers dans une démarche de performance, pour que les logements qu'attendent nos concitoyens sortent du sol aussi rapidement que possible.

Malheureusement, j'ai constaté, à l'occasion du travail de contrôle effectué pour cet exercice, qu'aujourd'hui l'État n'a pas toutes les capacités pour jouer ce rôle de chef de file. À ce stade, il ne fixe, et donc ne se fixe, que des objectifs d'agréments et ne communique que sur la délivrance de ces derniers, et pas sur le nombre de logements mis en service chaque année.

Mais combien d'agréments ne donnent jamais lieu à un logement in fine ? Combien de temps se passe-t-il entre la délivrance de l'agrément, l'obtention du permis de construire, la mise en chantier et la mise en service de ces logements ? Où en est la production des logements agréés il y a un an, deux ans, trois ans, quatre ans, dix ans ? Combien de projets sont touchés par les contentieux ? 100 % selon la direction régionale interdépartementale de l'hébergement et du logement (DRIHL), ou plutôt 10 à 15 % selon l'agence régionale des organismes HLM d'Île-de-France (AORIF) ? Quels logements sont mis en service et avec quels agréments rattachés à l'année de délivrance ? Les objectifs fixés chaque année sont-ils atteints ? Autant de questions. Or, à toutes ces questions, l'État ne sait pas répondre.

Ainsi, en Île-de-France, en 2016 et 2017, 18 000 à 20 000 logements sociaux ont été mis en service chaque année, alors que le nombre annuel d'agréments délivrés était d'environ 30 000. Que sont devenus les 10 000 agréments des années précédentes ? Il est aujourd'hui impossible de le dire, bien que les conventions d'utilité sociale contiennent a priori ces informations : elles ne sont pas toutes correctement remplies, le nombre d'indicateurs est trop important, et l'État n'a pas les moyens d'en faire le suivi.

Ainsi, à Paris, en 2017, près de la moitié des agréments concernent, non pas des constructions nouvelles, mais des acquisitions-améliorations, ou des conventionnements sans travaux de logements, ce qui signifie que ces logements sociaux sont déjà habités, et ne constituent donc pas une offre nouvelle.

Le temps de mise en service de ces nouveaux logements sociaux est significativement plus court que celui des constructions neuves. Mais cela signifie que la transformation en logements sociaux de logements privés déjà existants aura pour conséquence de renforcer la tension sur le même marché privé, en diminuant l'offre. N'est-ce pas un élément déterminant de la politique publique du logement qui est ici ignoré ?

L'administration n'est pas en cause. Les responsables des directions régionales que j'ai rencontrés sont de bons professionnels, très compétents, et travaillent de manière efficace avec les bailleurs et leurs organisations représentatives. Tous sont bien conscients de l'enjeu et réclament depuis de nombreuses années des outils de pilotage de cette politique puisqu'au titre de la loi Besson, c'est bien l'État qui met en oeuvre la politique du logement social.

Cela a forcément des conséquences en termes d'efficacité budgétaire.

Les agréments constituent en effet aujourd'hui la base des autorisations d'engagement au titre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Or, un agrément qui ne donne pas lieu à une production n'est pas toujours identifié, et la dépense engagée n'est jamais annulée. Par conséquent, les actes d'engagement associés ne sont jamais annulés. La DRIHL estime que, globalement, le taux de perte serait de 5 à 10 % des agréments, mais elle est incapable de suivre le niveau de production par département, comme la mise en service.

En 2017, les actes d'engagement ouverts sur les programmes 135 en Île-de-France s'élevaient à 184 millions après décret d'avance, pour une consommation de 179 millions.

Pour les mêmes raisons, la gestion des crédits de paiement est également peu efficiente. Les projets n'étant pas suivis, il n'est pas possible, pour les directions départementales des territoires, de programmer des décaissements en fonction de l'avance de chaque chantier. Ceux-ci se font par conséquent au fil de l'eau, suivant les problématiques propres à chaque région. Ainsi, si la trésorerie est suffisante en région Centre-Val de Loire pour ne pas avoir à établir de priorités au détriment d'autres, en région d'Île-de-France, c'est la fragilité du bailleur qui rend prioritaire le paiement des aides de l'État. Alors que le reste à payer de l'État envers les bailleurs, toujours en Île-de-France, est de 800 millions, les crédits de paiement pour 2017 s'élevaient à 216 millions.

Cependant, outre un meilleur suivi des projets de construction, des services mutualisés de paiement des bailleurs permettraient sans doute de rationaliser cette activité. Aussi bien la DRIHL que la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) Centre- Val de Loire envisagent cette hypothèse.

Cela me conduit, monsieur le secrétaire d'État, à vous poser la question suivante : quelle est la position de votre ministère sur la mutualisation des services de paiement ?

Système d'information récemment déployé, SPLS, pour suivi et programmation des logements sociaux, pourrait résoudre une partie des enjeux de suivi d'un projet de production du logement social. Mais, outre le caractère récent de son déploiement, en particulier en Île-de-France, qui est une des dernières régions à l'avoir adopté, trois obstacles l'empêchent de fonctionner.

Le premier est que son renseignement repose sur les bailleurs. Ainsi, l'État demande aux bailleurs, qui n'y ont que peu d'intérêt propre, de renseigner le système d'information servant à son pilotage interne. Envisagez-vous d'impliquer plus les services de l'État, par exemple en contrôlant davantage la manière dont ce système d'information est renseigné ?

Le deuxième obstacle, selon les interlocuteurs que nous avons rencontrés, est que ce système d'information, sans être complexe, nécessite un minimum de formation pour être correctement utilisé. En Centre- Val de Loire, la DREAL a organisé des sessions de formation en direction des bailleurs. En Île-de-France, les bailleurs attendent toujours les formations, et donc ne peuvent pas renseigner le système. Monsieur le secrétaire d'État, envisagez-vous de faire en sorte que l'ensemble des bailleurs de chaque région soient correctement formés au SPLS afin d'en assurer le bon fonctionnement ? Que penseriez-vous d'un système d'information intégré, couvrant la production et la réhabilitation des logements du parc social ?

Les réserves que j'ai exprimées sur la production de logements neufs concernent également tous les logements qui font l'objet de programmes de réhabilitation, et qui font l'objet d'agréments. Le système SPLS aujourd'hui produit par l'État ne permet de suivre les agréments pour les réhabilitations. Voilà pourquoi, lorsque l'on interroge le ministère de l'écologie et du développement durable, il nous répond qu'il appartient à la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) de produire le nombre de logements qui font effectivement l'objet, sur le terrain, de réhabilitations, et qu'il attend ces informations.

Seriez-vous d'accord pour cesser de communiquer sur les seuls agréments, et pour communiquer chaque année sur les logements qui sont mis en service, et qui constituent une offre nouvelle de logement social à l'intention de notre population ?

Permettez-moi aussi de vous interroger sur l'exécution des crédits de la mission, en particulier de ceux du programme 177 Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables. Vous le savez, ce programme dépasse régulièrement en exécution les crédits initialement programmés, et l'année 2017 n'a pas dérogé à cette règle, faute d'une programmation sincère par le précédent gouvernement. Vous avez pris vos responsabilités à deux reprises : en ouvrant 276 millions de crédits supplémentaires à l'occasion du décret d'avance de juillet 2017, puis de la loi de finances rectificative de décembre 2017 ; puis en rebasant ces crédits en loi de finances pour 2018, dans laquelle les crédits programmés sont à la hauteur de ceux consommés en 2017.

On peut toutefois s'interroger sur la soutenabilité du programme. Par exemple, le taux d'occupation des structures atteint, voire dépasse 100 %. Si cette tendance devait se confirmer, le montant des crédits déjà inscrits serait insuffisant.

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