Intervention de Jean-Charles Doublet

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 13h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Jean-Charles Doublet, directeur général d'Ingenitec :

Il est important, en effet, que ce ne soit pas l'inverse, car cela ne fonctionne pas, ou seulement un certain temps. Il faut essayer de faire évoluer la situation sur le plan culturel.

Nous proposons des solutions spécifiques. Il en existe qui sont « packagées », pour 1 000 euros, par exemple, mais cela ne marche pas : l'opérateur répond qu'on ne lui avait même pas dit qu'un achat était envisagé et que ce qui a été acquis ne sert à rien. On trouve plein de « mouroirs à matériel non utilisé » dans les entreprises… Quand celles-ci nous disent que les opérateurs ne se servent pas du matériel, on demande s'il y a eu une discussion préalable avec eux : ce sont quand même les opérateurs qui travaillent sur le terrain, et pas le grand chef tout en haut ! D'autant que cela représente des investissements importants : des milliers, voire des dizaines de milliers d'euros pour certaines solutions complexes.

Certaines entreprises ont déjà compris : elles veulent mettre en place un système, quel qu'en soit le prix, car même si elles sont très contentes de leurs équipes, elles savent que celles-ci ne pourront pas faire face si l'activité augmente de 5 % une année et que la prévision est de 15 % pour l'année suivante : il faut donc moderniser. De telles entreprises sont vertueuses, elles ont le bon raisonnement, mais cela peut être plus compliqué ailleurs.

Nous pouvons être amenés à travailler avec les CARSAT, les ergonomes et la médecine du travail – nos trois interlocuteurs principaux. Les « préventeurs » des CARSAT comprennent vraiment la technique. Nous sommes, pour notre part, des techniciens : quand on regarde un poste de travail, on ne raisonne pas de manière théorique, en se disant que ce serait bien si tel élément était plus long, plus court, plus bas ou plus haut ; on a besoin qu'un diagnostic soit posé, par exemple par un ergonome – c'est souvent le cas : l'ergonome voit les problématiques, mais il n'a pas la solution technique. C'est à nous d'intervenir pour positionner une solution technique qui soit en lien avec le poste et avec les moyens de l'entreprise. Une entreprise de dix personnes n'a pas les mêmes moyens qu'une entreprise qui en compte 5 000.

La CARSAT et la médecine du travail sont des sujets légèrement différents. La CARSAT travaille désormais en mode préventif, sans qu'il y ait nécessairement de maladie professionnelle déclarée. Elle apporte des financements, soit pour des investissements de long terme, avec des enveloppes de financement importantes, soit dans le cadre des aides financières simplifiées, qui couvrent à peu près 25 % d'un investissement pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Je suis toujours surpris de constater que ces entreprises ne sont pas au courant que de telles aides existent : leur méconnaissance des mécanismes existants est profonde. Faut-il aller les voir, en s'adressant à elles une par une ? Cela risque d'être un peu long. Les entreprises cherchent la simplicité. Si on commence par leur dire qu'il va falloir remplir un dossier très épais, elles vont renoncer. Mais si elles ne sont pas aidées, elles ne vont rien faire. Les aides simplifiées sont méconnues : elles mériteraient d'être davantage mises en lumière.

On devrait également se demander si l'on ne devrait pas aller au-delà des entreprises de moins de 50 employés. Quand une entreprise a 1 000 salariés, elle a des budgets pour la sécurité, de 500 000 euros par exemple, ce qui donne des moyens pour agir. Une petite entreprise, en revanche, peut avoir un budget de seulement 500 euros pour la sécurité : ce n'est pas du tout la même approche. Il faudrait sans doute renforcer le dispositif, et l'aspect économique est nécessairement un élément important.

Parmi les éléments déclencheurs, il y a aussi la médecine du travail : elle intervient parce que quelqu'un est en difficulté sur le plan de la santé et risque de développer une maladie professionnelle. Parfois, c'est même le maintien en poste qui est en jeu : dans ce cas, la proposition que nous pouvons faire est la dernière chance pour l'opérateur. S'il n'y a pas de solution technique, c'est fini : le travailleur prend la porte. On intervient régulièrement dans ces situations via la médecine du travail, en lien avec un ergonome. Socialement, c'est sensible : on n'est pas dans la même approche, on sent qu'il y a une certaine tension, car c'est la carrière de la personne qui est en jeu. On apporte régulièrement des solutions qui permettent de maintenir les gens en poste.

On est ici dans la réaction car il n'y avait pas de système permettant d'éviter le dommage physique. Il peut s'agir de personnes que l'entreprise a « cassées » parce que ça fait dix ans qu'elles portent des charges avec des gestes et des postures qui ne sont pas adaptés. Il faut donc agir en amont : quand on a une hernie discale, c'est pour la vie. Le week-end et le soir, quand on est avec ses enfants, on a mal au dos. C'est malheureusement un « acquis ».

En ce qui concerne la prévention, certaines fonctions se développent. Les représentants du personnel jouent un rôle. Des postes « qualité, sécurité et environnement » (QSE) ont été créés, alors qu'ils n'existaient pas il y a dix ans. On voit les entreprises animées d'une volonté d'agir pour prendre en compte l'humain, pour améliorer la performance humaine. C'est un peu mon leitmotiv : une entreprise avance si les gens sont bien. Des questions économiques entrent toujours en jeu, mais si on réussit à créer l'environnement qui va bien, alors l'entreprise doit être armée pour faire face aux bons moments comme aux mauvais. Logiquement, ça doit marcher comme ça.

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