Intervention de Général Pierre de Villiers

Réunion du mercredi 12 juillet 2017 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

Permettez-moi de revenir sur l'annulation de 850 millions d'euros de crédits en gestion 2017 qu'a annoncée M. Darmanin par voie de presse. Que les choses soient claires : il s'agit d'annulations alors qu'à l'heure actuelle, les crédits ont été gelés à hauteur de 2,7 milliards : 1,6 milliard au titre de la réserve de précaution, 715 millions de report de crédits et 350 millions de surgels. Le ministre des Comptes publics a donc cette fois annoncé une annulation de 850 millions d'euros sur la base du montant du budget total, soit 32,8 milliards, et l'ouverture simultanée d'un décret d'avance de 650 millions d'euros hors pensions, c'est-à-dire au titre du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». Reste donc un delta net de 200 millions d'euros. Il m'est un peu délicat de parler de ceci ce matin, dans la mesure où le président de la République n'a pas encore rendu son arbitrage : il le fera certainement demain soir à l'occasion du discours qu'il prononcera à l'hôtel de Brienne.

Quoi qu'il en soit, avant d'envisager les conséquences possibles d'une telle annulation de crédits, il m'importe d'abord de savoir si elle ne sera pas suivie en fin d'année d'autres annulations. Autrement dit, pour garantir le fonctionnement des armées, l'exécution budgétaire de fin d'année ne doit pas être inférieure aux montants inscrits en loi de finances initiale, sans quoi nous nous trouverions dans une situation insoutenable. En outre, aucune autre annulation ni aucun gage ne doivent être décidés d'ici au 31 décembre. Puis le reliquat du surcoût des opérations extérieures – de l'ordre de 300 millions d'euros environ – devra être couvert en fin d'année. Ensuite, il faudra déterminer le niveau du report de charge consenti ; je rappelle qu'en 2016, il s'établissait à environ trois milliards d'euros. Enfin, quid des reports de crédits de 715 millions d'euros : seront-ils reportés sur 2018 ou engagés et ouverts ?

En résumé, la gestion des crédits pour 2017 doit être appréhendée globalement. Il est encore impossible de formuler des avis trop tranchés sur cette question, et c'est pourquoi je n'ai pas évoqué l'annulation de 850 millions d'euros de crédits. En effet, j'attends d'une part que les arbitrages soient rendus, d'autre part de connaître les conditions qui entoureront cette annulation. En outre, la fin de gestion 2017 conditionnera le projet de loi de finances pour 2018, ne serait-ce que pour déterminer le niveau des reports de crédits et des reports de charges.

J'en viens au financement des opérations extérieures. Le Gouvernement a eu l'idée judicieuse – à laquelle je souscris – de rehausser la provision consacrée au surcoût des OPEX, actuellement fixée à 450 millions d'euros, à un niveau réaliste – disons de l'ordre d'un milliard d'euros. Je rappelle qu'au cours des deux dernières années, le surcoût des OPEX et des missions intérieures s'est élevé en moyenne à 1,3 milliard, alors que la provision s'établissait à 450 millions. Le complément est couvert en cours de gestion par un montage interministériel quelque peu acrobatique selon des clefs de répartition par ministère – ce qui ne constitue pas un mode de gestion sincère. Pour que le budget soit sincère, il faudrait rehausser la provision dédiée aux OPEX. Gardons-nous de l'augmenter brutalement en 2018, car les armées s'en trouveraient démunies ; en revanche, je ne suis pas opposé à une montée en charge progressive.

Pour 2018, je vous ai indiqué l'équation suivante : un socle budgétaire de 34 milliards, et des besoins minimaux en matière de protection. Ajoutons-y une première augmentation de la provision consacrée au surcoût des OPEX et les ressources exceptionnelles, qui devraient atteindre 150 millions d'euros en 2018 en application de la précédente loi de programmation militaire. Il ne faut pas oublier, toutefois, d'y intégrer la fin de gestion de l'année en cours, notamment les reports de charges et de crédits. Autrement dit, notre premier horizon temporel est celui des deux années 2017 et 2018, l'horizon suivant est celui de la loi de programmation militaire pour 2019-2025. Vient enfin le temps du modèle 2030, compte tenu des délais nécessaires pour renouveler les équipements.

Pourquoi ne faut-il pas de quatrième armée de cyberdéfense ? La raison est simple : une armée, c'est une culture dans un milieu. Les unités des forces spéciales – les commandos marine, les commandos parachutistes de l'air, la brigade des forces spéciales de l'armée de terre – sont rattachées organiquement à leur armée respective. Pour ce qui est des opérations, elles relèvent toutes du commandement des opérations spéciales. L'idée est donc de préserver la cohérence organique des armées. Cela fonctionne bien et selon notre culture, et de constituer un commandement de cyberdéfense, à l'image des forces spéciales, qui regroupe ceux que nous appelons les « combattants numériques ». Nous avons pris la mesure de l'importance de ce domaine depuis un certain temps – c'est tout à l'honneur de la France. Dès 2008-2009, l'intuition d'investir dans ce domaine était bonne. Les moyens, à la fois humains et matériels ont été maintenus depuis, et ce, tout au long des différents quinquennats. Le dialogue est excellent entre la plateforme de la DGA à Bruz et les industriels concernés car, sur ces sujets sensibles, nous devons préserver notre autonomie industrielle. Le dialogue avec les armées est également satisfaisant, le commandement cyber relevant du chef d'état-major des armées tel qu'il a été désigné voici quelques mois. En clair, le système fonctionne bien, permet de conduire des opérations de qualité et garantit notre compétitivité.

J'ajoute que la cyberdéfense comporte deux dimensions. La dimension défensive, d'une part. Elle relève du cadre interministériel et de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), qui dépend du SGDSN. La dimension opérationnelle, d'autre part, qui recouvre la contre-influence et la « guerre cyber ». Elle est pilotée par le ministère des Armées. Cette organisation fonctionne bien et une quatrième armée n'est donc pas nécessaire. Il faut toutefois poursuivre nos efforts, car nous serions dépassés à la moindre baisse de régime. Dans ce domaine comme dans le secteur numérique, les mutations sont très rapides et nous devons être en mouvement permanent. Les effectifs doivent poursuivre leur montée en puissance. Nous devons former en permanence et fidéliser ces personnes très spécialisées. C'est tout un modèle de gestion des ressources humaines au niveau de l'État qu'il faut ériger, et je sais le président de la République très sensible à ces sujets. Une revue stratégique sera sans doute bientôt lancée à ce propos. En somme, la cyberdéfense est essentielle.

La question du rapport entre l'efficacité et le poids de l'opération Sentinelle est pertinente ; elle est mon souci. Je rappelle que nous avons augmenté de onze mille hommes la force opérationnelle terrestre, à effectifs militaires constants – en dégraissant les soutiens, en quelque sorte. Nous sommes d'ailleurs allés un peu loin dans ce domaine. C'est à ce prix que nous pouvons maintenir ce seuil de sept mille hommes en permanence sur le territoire national. Je vous ai dit vouloir davantage de modularité pour privilégier les missions et non les postures statiques, ce qui nous donnerait plus de souplesse, afin que le dispositif soit moins pénalisant en termes d'effectifs.

En tout état de cause, l'opération Sentinelle est efficace. Sans l'intervention de la patrouille Sentinelle qui a abattu le terroriste à Orly, il se serait produit un drame. Le trinôme fut héroïque : ceinturée par le terroriste, la jeune femme est parvenue à se dégager pour que son camarade puisse abattre l'individu sans la toucher, tout cela les yeux dans les yeux, à très courte portée, comme c'est souvent le cas avec les terroristes – voilà la réalité de ce combat. Pour réagir de cette manière, il faut des gens courageux, et cela ne s'improvise pas. C'est une des raisons pour lesquelles nos alliés, notamment les Américains, nous admirent. Au Louvre, de la même manière, imaginez le désastre qui se serait produit si nous n'avions pas tiré : le terroriste, se dirigeait vers la clientèle.

Depuis la création de la force Sentinelle, nos soldats ont ouvert le feu à cinq reprises ; à chaque fois, de façon maîtrisée et efficace. Je note que cette opération extrêmement exigeante nécessite des professionnels de très haut niveau. Encore une fois, nos alliés nous observent avec admiration, et parfois quelque étonnement, tant il est vrai que ce dispositif est singulier. En somme, j'estime que notre dispositif, déployé en janvier 2015, est bon, mais qu'il faut le faire évoluer dans la direction que j'ai indiquée.

S'agissant du nombre de réservistes, nous sommes « sur le trait », notamment pour ceux qui, en posture permanente et dans la force Sentinelle, sont mobilisés pour la défense du territoire ; la durée de mobilisation passera de trente à trente-six jours – je vous passe les détails. En termes budgétaires, en revanche, nous ne sommes plus sur le trait : je serai peut-être contraint d'interrompre ce dispositif si je ne dispose pas du budget nécessaire, en l'occurrence les 200 millions d'euros affectés au service militaire volontaire, à la garde nationale et à la condition du personnel.

Le MCO aéronautique demeure – soyons clairs – un chantier du quinquennat qui débute. Je ne suis pas ici pour vous « vendre » des armées idylliques en prétendant que tout est parfait ; s'agissant du MCO aéronautique, donc, il reste beaucoup de travail à effectuer, aux différents niveaux techniques d'intervention, avec les industriels et tous les acteurs étatiques. Concernant le MCO du Rafale par exemple, qui fut le chantier du quinquennat précédent, nous avons accompli d'énormes progrès, au point que le taux de disponibilité de ces appareils est désormais sans commune mesure avec celui d'il y a cinq ans. Il faut maintenant s'attacher au MCO des hélicoptères.

Pour ce qui est des conséquences du Brexit sur l'Europe de la défense. Il y a là un paradoxe : plus les Britanniques s'éloignent de l'Europe, plus ils se raccrochent à l'accord de Lancaster House. Cet accord de défense conclu en 2010, sur le volet militaire duquel j'ai été étroitement associé depuis sept ans et auquel je crois, consiste en plusieurs programmes communs de coopération et, surtout, en un état-major conjoint avec une force interarmées non permanente pouvant compter jusqu'à dix mille hommes – la Combined Joint Expeditionary Force, ou CJEF – et disposant d'une véritable capacité interopérable de commandement et de systèmes d'information. Ce dispositif a été testé en 2016. Nous devons poursuivre dans cette direction. Paradoxalement donc, le Brexit est une occasion à saisir – c'est ainsi que je le vis en tant que chef d'état-major. Cela étant, la défense de l'Europe se fera sur la base des trois piliers que je vous ai indiqués : le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France, auxquels s'ajouteront ensuite, au cas par cas, d'autres pays, de manière flexible et en fonction de projets concrets et à géométrie variable. Quoi qu'il en soit, cette Europe existe déjà en opérations, et elle fonctionne plutôt bien. Là encore, nous n'avons pas le choix, car nous ne pourrons pas régler seuls les affaires du monde.

Il va de soi que le programme Scorpion est l'un des enjeux majeurs du combat budgétaire que nous menons avec Mme Parly. Il en va en effet de la protection des forces. Je rappelle que les véhicules de l'avant blindé (VAB), qui devraient être remplacés dans le cadre de Scorpion, ont en moyenne trente-cinq ans d'ancienneté. Si nous ne disposons pas des crédits nécessaires, nous devrons donc reporter ce programme, avec toutes les conséquences que cela entraînera. Il faut en effet tenir compte non seulement du programme à proprement parler, mais aussi de son environnement. Sans crédits, le programme Contact, par exemple, qui concerne les systèmes d'information – l'ancienne radio – ne pourra pas être déployé. Sans Contact, Scorpion ne pourra pas être mis en oeuvre. Nos armées sont interdépendantes non seulement au combat, mais aussi en matière technologique. Le programme Scorpion n'est pas qu'un véhicule de combat, c'est un tout cohérent : il doit être doté de munitions, de pièces de rechange, mais aussi de ses systèmes d'information et servi par un conducteur et un tireur formés et entraînés. Encore une fois, sans budget, nous continuerons de retarder le programme Scorpion. Or, pouvons-nous encore nous permettre d'envoyer nos soldats au combat dans des VAB vieux de trente-cinq ans, dont vous imaginez le taux d'usure et le niveau de protection ? Je réponds non.

Pour conclure, la question du service national universel est d'ordre politique et je ne peux y répondre. Je dirai simplement deux choses : cette question est de nature interministérielle, et elle doit être examinée en toute étanchéité financière par rapport au modèle d'armée – car, comme vous l'avez sans doute compris, la charge qui pèse sur les armées est déjà très importante.

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