Intervention de Sibyle Veil

Réunion du mercredi 13 juin 2018 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je commencerai par présenter les orientations stratégiques pour Radio France, qui sont celles que j'ai soumises au Conseil supérieur de l'audiovisuel dans le cadre de la procédure de sélection des candidats au poste de président-directeur général qui a mené à ma nomination.

Je tiens à rappeler l'essence des missions des médias de service public : ils ne sont pas là seulement pour faire ce que les médias privés ne savent pas faire mais pour le faire autrement, avec des programmes qui fédèrent tous les publics, des émissions et des contenus qui créent du lien et qui fabriquent l'air du temps.

Ces dernières années, Radio France a pris une importante avance, qu'elle doit conserver afin de relever trois défis pour les prochaines années.

Premier défi : elle doit se penser comme une entreprise à l'ère numérique. Cela implique de redéfinir la manière d'offrir nos contenus et la richesse de tous nos programmes aux publics dont les usages évoluent. Deuxième défi : elle doit être une entreprise dont les missions de service public sont réinterrogées légitimement par l'État, à l'heure d'une certaine convergence entre les médias qui se concrétise autour des offres numériques. Troisième défi : elle doit s'inscrire dans une trajectoire économique et financière soutenable et accompagner l'ensemble de ses personnels pour leur permettre de s'adapter à l'évolution des savoir-faire d'un média qui devient de plus en plus numérique.

Pour évoquer le premier des défis, il importe de revenir sur la période précédente, chose qui m'est d'autant plus facile que j'assume pleinement le bilan de ces dernières années, ayant été directrice déléguée. Un travail important a été mené depuis 2014 sur les offres linéaires de nos chaînes de radio pour positionner chacune d'elles autour de marques fortes – connues par les citoyens, comme le montrent toutes les enquêtes effectuées ces dernières années – et mettre en avant un contenu différent du secteur privé. Le but était de faire en sorte de ne pas dupliquer les publics et nous sommes parvenus à une augmentation des audiences accompagnée d'une plus forte diversification des auditeurs. Cette évolution porte sur l'âge. À rebours des tendances observées pour la radio en général, qui a vu la moyenne d'âge de ses auditeurs augmenter, les sept antennes de Radio France ont gagné 800 000 auditeurs de moins de trente-cinq ans, soit un rajeunissement général d'un an. Cela reflète une stratégie gagnante de différenciation de nos offres et de présence plus forte sur les médias numériques.

Cette stratégie numérique a porté à la fois sur les carrefours d'audience digitaux et sur le développement d'offres propriétaires sur nos sites et nos applications. Ces deux dimensions sont complémentaires : il nous faut être présent là où sont nos auditeurs mais aussi maîtriser la relation à nos auditeurs car des acteurs nouveaux s'interposent entre les contenus et eux. Il s'agit de penser nos offres, notre présence et notre visibilité d'ici à cinq ans, quand la part du numérique dans les écoutes pourra atteindre 25 % à 30 % contre 12 % aujourd'hui.

Il nous faut maintenir notre visibilité dans les voitures connectées, sur Apple CarPlay ou Android Auto, mais aussi sur les enceintes numériques. Continuer à être référencé est un enjeu essentiel pour nous. Nous devons proposer des offres en parfaite adéquation avec les nouveaux usages. Nous travaillons ainsi à une interface commune avec l'ensemble des radios privées afin de peser face aux nouveaux acteurs et négocier avec les fabricants automobiles. Pour ce qui des enceintes connectées, à l'heure où Amazon lance sa nouvelle enceinte, nous devons imposer notre présence. Nous sommes en concurrence non seulement avec tous les médias audiovisuels mais aussi les médias issus de la presse écrite qui développent de plus en plus de contenus adaptés. On sait en effet que la nouvelle révolution numérique passe par la voix, avec le développement de nouveaux assistants vocaux. Une réponse unique sera donnée à l'usager et il importe que nos contenus soient choisis après qu'il a formulé sa requête.

Il nous faut nous adapter aux modes de référencement sur ces nouveaux supports d'innovation : il s'agit d'un enjeu majeur. Cela implique de transformer la manière dont on fait de la radio. Ces dernières années, nous avons mis en ligne nos contenus sur différents sites. À l'avenir, nous devrons concevoir des contenus spécifiquement pensés pour le numérique, des contenus natifs, pourrait-on dire.

Pour faire face au risque de déréférencement ou de disruption, nous investissons beaucoup pour comprendre comment les algorithmes sont élaborés et comment nous pouvons continuer à être présents partout où nous pouvons diffuser nos contenus afin de nous faire connaître des auditeurs et d'élargir notre audience.

Le deuxième défi concerne les missions de service public.

Ces dernières années, nous avons mené un travail de clarification de nos offres, qu'il s'agisse du public que l'on vise ou de la différenciation avec le secteur privé.

Plusieurs de ces offres font l'objet de priorités politiques, qui ont été réaffirmées la semaine dernière par la ministre de la culture lors de l'annonce de la réforme de l'audiovisuel public. Il s'agit de l'information, de la culture – et plus particulièrement l'accès aux connaissances – et de l'éducation, ainsi que de la capacité à toucher des publics de proximité et des publics jeunes.

L'information se présente sous la forme d'une offre de média global, qui combine chaîne radio, chaîne télévisée et offre numérique, laquelle est régulièrement première. Elle l'a été pendant la période électorale l'année dernière et elle reste la première application d'information en continu en France. Cela montre qu'en associant les différents médias du secteur audiovisuel public, en agrégeant leurs contenus, on atteint une puissance qui renforce notre présence et donc notre visibilité. C'est un enjeu majeur dans la construction des collaborations entre les différentes entreprises du secteur audiovisuel public.

Votre assemblée vient d'examiner une proposition de loi destinée à lutter contre les fausses informations. Un autre enjeu en matière d'information est de conserver un lien de confiance avec les auditeurs avec des informations vérifiées qui apportent une profondeur d'analyse et un certain recul, loin de l'immédiateté, de l'urgence et du sensationnalisme. C'est ce que nous avons cherché à mettre en avant dans les différentes offres de service public. Franceinfo agrège les contenus de France Télévisions, de Radio France, mais aussi de France Médias Monde et de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), pour approfondir le décryptage de l'information.

La deuxième priorité du service public est la culture, la connaissance et l'éducation. Radio France a une chaîne très bien placée pour cela, France Culture, qui diffuse des émissions vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ses contenus ne sont pas des contenus de flux, ce sont des contenus patrimoniaux qui ne se périment pas et auxquels le numérique offre une seconde vie. Ils peuvent être écoutés et réécoutés à tout moment. Le numérique a régénéré cette chaîne en ouvrant la possibilité d'écoutes individualisées, ce qui constitue un enjeu de développement très important pour nous.

Pour faire connaître nos contenus, nous allons en ce domaine aussi nous allier avec les autres acteurs du secteur public de l'audiovisuel. Dans les prochaines semaines, sera lancé un média social de la culture qui donnera une visibilité partagée à l'ensemble des contenus culturels de différents acteurs, qu'il s'agisse de France Télévisions ou d'Arte avec laquelle nous avons noué une coopération historique, en particulier dans le domaine de la musique. Nous avons une plateforme commune qui donne à voir les concerts de nos formations musicales en live et gratuitement, ce qui constitue une offre unique au monde. Elle donne accès à un patrimoine musical européen très recherché au niveau international. Nous avons lancé le site avec une déclinaison « .com » en version anglaise, qui rencontrera, nous l'espérons, un grand succès auprès du public asiatique, très demandeur de ce genre de contenus.

Nous collaborerons également à une plateforme éducative du secteur public audiovisuel appelée à se développer.

Autre enjeu : les publics à toucher.

Il s'agit d'abord des publics de proximité. Nous pouvons nous appuyer sur le réseau des quarante-quatre stations de France Bleu, qui nous assure un maillage dense sur tout le territoire français avec dix heures de programmes locaux chaque jour qui mettent en valeur toute la richesse des territoires, de l'activité économique jusqu'aux événements culturels et sportifs. Cela correspond à une exigence démocratique très forte.

Nous nous tournons aussi vers France 3, dont la ministre a annoncé un plus fort ancrage territorial des programmes, pour penser une offre numérique commune qui permettra d'apporter plus d'interactivité, plus de contenus d'information et plus de services aux citoyens. C'est un élément fort de développement sur lequel je ferai travailler l'ensemble du réseau. Nous lancerons à la rentrée des premières expérimentations en Provence et en Île-de-France avec des matinales communes des émissions politiques hebdomadaires et des retransmissions d'événements culturels et sportifs, valorisées en commun par la radio et la télévision. À cela s'ajouteront des initiatives locales car chaque territoire a son identité, plus ou moins rurale ou plus ou moins urbaine. Il ne faut pas s'interdire de mettre en oeuvre des projets différents selon les régions.

Autre public à toucher, le public jeune. Radio France a une marque qui leur est dédiée, la marque Mouv' sur laquelle nous avons opéré un changement éditorial important ces dernières années en rebaptisant Le Mouv' en « Mouv' ». L'offre, destinée à la tranche d'âge des 13-29 ans, est centrée sur les musiques urbaines. Nous avons voulu tisser un lien de confiance avec un public très peu touché par les autres médias institutionnels. Ces jeunes ont grandi avec les réseaux sociaux et les offres numériques à travers lesquels ils ont développé des habitudes d'interactivité et des pratiques comme les like ou le partage. Nous devons prendre en compte cette évolution forte dans les rapports aux contenus des médias, qui ne sont plus caractérisés par la verticalité mais par l'horizontalité. Il faut être en adéquation avec les usages et la culture des jeunes.

Si nous cherchons à les toucher, c'est aussi parce que nous voulons que les médias de service public leur apportent une offre d'information à laquelle ils n'ont pas accès par ailleurs. Une antenne comme Mouv' accorde une grande importance aux échanges sur les questions de société et à la vie quotidienne, aux débats, aux éclairages sur l'actualité, à l'engagement citoyen, à la diversité, y compris au handicap, sujet régulièrement abordé sur l'antenne.

Pour les prochaines années, nous devrons veiller à garder une offre de service public à travers des contenus qui répondent aux nouveaux usages, notamment aux habitudes de personnalisation des contenus acquises avec Netflix et Amazon. Il importera d'assurer une grande visibilité à nos offres sur le numérique, qui sera d'autant mieux garantie que nous nous coordonnerons avec les autres acteurs du service public audiovisuel. Il faut avoir à l'esprit que les nouveaux modes de consommation des médias, loin de cannibaliser les modes de consommation traditionnels, se superposent à eux. La force du service public audiovisuel est qu'il est présent sur de multiples supports : les téléphones portables, les postes de télévision et les postes de radio qui concentrent encore 88 % de l'écoute.

Nous comptons apporter ainsi aux jeunes des contenus éducatifs et culturels comme aucune autre institution publique culturelle en France ne peut le faire. C'est toute la valeur ajoutée du secteur public audiovisuel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.