Intervention de Sibyle Veil

Réunion du mercredi 13 juin 2018 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France :

Madame Calvez, on n'évoque pas suffisamment, en effet, les radios associatives locales qui jouent un rôle très important sur les territoires en termes d'hyperproximité. Elles diffusent en effet vers des bassins d'auditeurs encore plus fins que ceux de nos quarante-quatre stations locales. Bien évidemment, en tant que service public, notre rôle est de soutenir ce maillage extrêmement fin et dense, qui a aujourd'hui toute sa place pour représenter les territoires et les Français, partout en France.

Nous faisons tout ce que nous pouvons pour faciliter le travail quotidien de ces radios : le réseau France Bleu s'y emploie. C'est aussi l'objet de la charte signée il y a six ans. Certes, son application n'a pas donné lieu à un bilan en tant que tel, mais des engagements sont suivis au quotidien, et je serai attentive à la manière dont les choses sont mises en oeuvre par les différentes stations de France Bleu sur le territoire. Je relève un engagement très important relatif aux manifestations rayonnant en hyperproximité : nous laissions les radios associatives assurer en premier la couverture de ces événements. Cela contribue à leur donner toute leur place, et permet de renforcer ce réseau de radios associatives, qui joue aujourd'hui un rôle important pour les Français. Je partage donc l'intérêt que vous portez à ce qui constitue, à mes yeux, un véritable enjeu.

Madame Duby-Muller, j'estime que les médias de proximité sont un enjeu démocratique. Ils permettent de représenter cette France périurbaine et rurale, qui a besoin d'avoir sa place dans le débat politique, dans le traitement des enjeux économiques, dans la diversité culturelle des territoires. Ces médias jouent donc un rôle majeur.

Nous nous employions à remplir ce rôle à Radio France, avec le réseau des quarante-quatre stations locales. Le fait que France Télévisions soit encore davantage présente en termes de proximité grâce à France 3, qui sera encore plus régionalisée, constitue un plus pour les Français. Nous réfléchissons avec l'ensemble du réseau local à des partages de contenus qui pourront favoriser cette présence de France 3.

Ces rapprochements existent depuis de nombreuses années s'agissant du numérique, et dans plusieurs départements et régions la proximité s'incarne déjà au travers de partenariats entre France Bleu et France 3. Cela a été le cas pour la couverture des élections présidentielles, par exemple, mais cela vaut aussi régulièrement pour des manifestations sportives et culturelles. En Bretagne, l'antenne locale de France 3 et celle de France Bleu Breizh Izel viennent par exemple de couvrir ensemble un festival musical. Nous avons des liens ; il faut que nous leur donnions plus de contenu dans une démarche partagée qui doit prendre en compte les enjeux différenciés selon les territoires.

Nous constatons avec le maillage de France Bleu que les demandes sont, par exemple, différentes selon que l'on a affaire à des stations d'agglomération ou à des stations rurales. Il nous faut construire une offre différenciée sur les territoires qui repose sur une proposition numérique commune plus puissante, conçue pour apporter des services supplémentaires aux citoyens.

Ces services peuvent reposer sur la mise en lumière des enjeux économiques, d'emplois ou de formation. Le 28 mai dernier, lors d'une journée commune, les antennes de France 3 et celles de France Bleu ont ainsi essayé de traiter ensemble tous les enjeux relatifs à l'apprentissage sur le territoire. Cela permet de donner un coup de projecteur d'autant plus fort qu'il allie les moyens des antennes radio, de la télévision et des différentes antennes numériques.

Je parle d'antennes numériques parce qu'il faut penser le numérique aujourd'hui comme une nouvelle antenne au travers des différents réseaux sociaux sur lesquels notre présence commune doit être forte. Nous y travaillons avec de nouvelles offres de proximité. J'emploie à dessein les mots « nouvelles offres », car ces dernières sont plurielles et qu'elles doivent être pensées par bassin de population.

Vous m'avez également interrogée sur la RNT. Il s'agit d'un enjeu important. Pendant longtemps, les acteurs de la radio ont pensé la RNT comme une extension du réseau et donc une concurrence nouvelle – la RNT permet d'accorder davantage d'espace à des radios qui ne sont pas très présentes aujourd'hui sur le réseau hertzien. En fait, la concurrence de demain se fera sur le numérique où nous serons confrontés à bien d'autres acteurs. La RNT doit plutôt être pensée par rapport à nos auditeurs : pour eux, elle représente une qualité de son très supérieure à ce que propose le réseau hertzien, mais également une qualité en termes de données associées et de descriptions de nos contenus.

C'est la raison pour laquelle il est important pour nous d'être aussi présents en RNT. Cette présence doit se penser sur la base d'un maillage national, mais aussi local – une nouvelle présence de FIP est par exemple prévue à Lille en RNT. Elle doit se penser en complémentarité par rapport à notre présence hertzienne, et elle doit se penser aussi avec l'ensemble des acteurs de la radio de notre pays. C'est pourquoi j'entends discuter de ce sujet avec les autres acteurs de la radio privée en France. L'une des difficultés importantes que nous rencontrons est liée au fait que, aujourd'hui, seulement 6 % des postes de radio sont équipés en RNT. Tant que la perspective du développement de cette diffusion n'est pas affichée clairement, il n'y a pas d'enjeu d'équipement pour les Français.

Cette question d'équipement constitue évidemment un enjeu économique, l'autre enjeu économique majeur étant celui du coût de la double diffusion. Il faut que nous trouvions, avec les autres acteurs de la radio privée, un modèle économique pour que la situation devienne économiquement supportable, car nous ne pouvons pas nous permettre de payer une diffusion à la fois sur le hertzien et sur la RNT.

Ce modèle est donc en construction. Nous devrons discuter de ses termes avec le CSA. Je suis, en tout cas, d'accord avec vous, madame Duby-Muller : il s'agit d'un mode de diffusion d'avenir, et il faut que l'on regarde aujourd'hui ce qui peut être fait, compte tenu de nos différents enjeux de concurrence et de l'amélioration des usages susceptibles d'être offerts à nos publics.

Vous avez enfin évoqué les requêtes vocales qui sont effectivement un enjeu très important. Le développement des enceintes connectées et des assistants vocaux redonnera une forte visibilité aux contenus vocaux, alors que, jusqu'à présent, la révolution numérique a été une révolution de la vidéo. Les radios ont évidemment un train d'avance en la matière puisqu'elles produisent des contenus. Il faut qu'elles conservent cette avance en continuant à produire des contenus adaptés. Nous l'avons fait à Radio France en commençant à constituer une offre de services de contenus vocaux pensés pour le numérique. Nous avons lancé des fictions purement numériques, comme le podcast natif produit par France Culture intitulé Hasta Dente ! Nous avons des offres de podcasts purement numériques mises en ligne par France Culture, et, plus récemment, par France Inter, avec un podcast politique conçu par Thomas Legrand : À la hussarde.

Nous devons développer ce type d'initiative. Bien évidemment, si nous voulons commencer à créer des contenus pensés pour le numérique qui ne soient pas une simple rediffusion de nos contenus radio, il faut des moyens de production spécifiquement dédiés. Il s'agit d'un chantier important qui porte sur nos outils de production et sur nos métiers. Si nous voulons nous transformer pour devenir un média numérique, il faut que nous pensions l'organisation complète de nos moyens de production pour produire à la fois pour la radio et pour le numérique. Il s'agit de l'un des enjeux de transformation auxquels nous sommes confrontés pour notre avenir.

Madame Pau-Langevin, le réseau Mouv' a une très forte originalité puisqu'il a vraiment été pensé pour s'adresser à des publics auxquels les autres médias ne s'adressaient pas. Il y a, en particulier, une jeunesse peu touchée par les autres médias : elle est souvent oubliée et nous avons essayé de nous adresser à elle en comprenant non seulement ses usages numériques, mais aussi ses codes culturels. Nous avons eu recours à des personnalités et à des incarnations qui lui parlent. C'est doublement vertueux puisque, grâce à ces incarnations, nous parvenons à toucher cette jeunesse et qu'en même temps nous lui donnons des signaux en montrant qu'il existe de vraies réussites sociales, par exemple de chanteurs. Cela montre à cette jeunesse que l'on peut sortir des quartiers et se projeter dans des réussites culturelles ou économiques. Nous essayons de valoriser et de mettre à notre antenne des profils qui incarnent des réussites pour ces jeunes. Il s'agit de l'un des éléments qui nous a permis de toucher ces jeunes et constitue un facteur clé du succès d'une antenne comme celle de Mouv'.

Aujourd'hui, j'estime que nous devons réfléchir à l'allocation des moyens du service public en direction de ces jeunes. Les moyens consacrés à une antenne comme Mouv' restent très limités. Si nous voulons toucher plus largement ces jeunes, il faut prioriser ce type d'offre qui s'adresse à des publics trop souvent oubliés. Il s'agit pour moi d'un enjeu de priorisation des moyens au sein d'un groupe de service public comme Radio France.

Les fake news constituent un enjeu d'actualité. Nous avons mis en ligne la semaine dernière une offre numérique spécifique avec l'ensemble des médias du service public audiovisuel : France Télévisions, l'INA, France Médias Monde, Arte et TV5. Chacun d'entre nous a sélectionné parmi ses offres d'éducation aux médias et de décryptage de l'information, celles qui peuvent contribuer à expliquer, à analyser les fausses nouvelles, et à comprendre la manière dont l'information se fabrique. Ces contenus apparaissent sur un onglet de la plateforme Franceinfo sous le titre Vrai ou fake. Nous leur donnerons la plus large publicité afin qu'ils soient connus du grand public et diffusés largement sur les réseaux sociaux. Ils proposeront un véritable décryptage et une aide à la compréhension de la fabrique de l'information, ainsi que des outils pour différencier ce qui est vrai de ce qui est faux. Nous portons par exemple une attention très particulière aux images : nous voulons essayer d'expliquer aux Français comment déceler une image qui comporte une fausse information. Je vous invite à regarder le très riche onglet qui se trouve sur l'application Franceinfo. Il apporte des contenus nouveaux de décryptage des fausses informations qui circulent sur le numérique.

La question des rapprochements entre France Bleu et France 3 est avant tout pour moi une question démocratique. Il faut que nous parvenions à bâtir une vraie offre de services publics de proximité. Elle comportera trois piliers qui se différencient très largement.

L'offre radio doit rester une offre d'hyperproximité, qui rend des services au quotidien dans l'interactivité et fait appel à la présence des auditeurs en ligne – nos matinales reflètent particulièrement cela.

L'offre de télévision sera opérée par France Télévisions sur un bassin beaucoup plus large, puisqu'il s'agit d'une offre régionale avec les antennes de France 3 dont le réseau correspond au maillage des treize régions administratives métropolitaines, et aux vingt-quatre antennes à dimension plus régionale. Cette offre est complémentaire de celle de la radio, et il faut que l'on favorise la complémentarité entre nos deux réseaux, car nous sommes confrontés à des enjeux différents, à des échelles différentes. Dans la région Aquitaine, selon que vous êtes à Pau ou à Bordeaux, les événements culturels, les centres d'intérêt, les enjeux économiques sont différents. Cette diversité des territoires doit s'incarner à la fois dans un maillage d'hyperproximité et dans une réflexion plus régionale. Certaines questions politiques s'incarnent au niveau régional : elles doivent pouvoir avoir par un écho régional grâce à l'offre de télévision. La convergence peut se faire plus facilement sur le numérique, qui permettra de donner à voir cette richesse des territoires à plusieurs niveaux, avec une présence très forte des journalistes.

L'information est effet l'un des piliers de nos différentes offres de service public et de nos forces. Le maillage de l'information dans le réseau de France Bleu, comme dans celui de France 3, est tout à fait inédit et apporte un contenu qui n'est fourni par aucun autre média en France aujourd'hui. Cette information nourrit aussi nos antennes nationales : ce que fait France Bleu aujourd'hui est réutilisé au niveau national par nos différentes chaînes, que ce soit France Info, France Inter ou les autres antennes. Elles développent des informations de proximité nourries par ce réseau et ce maillage très fin de nos antennes locales.

Monsieur Garcia, j'ai souvent évoqué le rôle de Radio France comme fer de lance de la mutation du service public audiovisuel, parce que j'ai la conviction que Radio France a fait un travail très important sur ses contenus et sur ses missions de service public. L'une d'entre elles, que je n'ai pas encore évoquée ce matin, consiste à créer du lien social et à fédérer. Une chaîne généraliste comme France Inter et les chaînes qui s'adressent à des populations plus spécifiques, comme France Bleu ou comme Mouv', ont vocation à créer du lien, à fédérer.

De ce point de vue, les différentes offres de Radio France, qui s'adressent à des publics spécifiques, qui traitent de thématiques de service public, qui sont des offres généralistes ayant vocation à créer du débat, à fédérer, à faire réagir les auditeurs sur des sujets d'actualité, des sujets de société, ont une valeur ajoutée aujourd'hui dans la création de liens, d'animation et de vie du débat démocratique. Je pense qu'il s'agit d'une dimension très importante qu'il faut que l'on fasse vivre, quels que soient les supports. Que ce soit sur nos antennes hertziennes ou sur les différentes offres numériques, il faut que nous arrivions à créer des agoras, des lieux de débats. Nos différentes chaînes de service public sont très bien positionnées pour cela aujourd'hui.

Elles sont également bien positionnées pour initier des coopérations avec les autres acteurs du service public. Nous nous y employons avec l'offre d'information Franceinfo, qui se fonde sur la radio France Info, créée en 1987, à laquelle a été donnée une seconde vie en tant que média global : numérique, radio, télévision. Nous le ferons aussi avec les offres culturelles de proximité en créant des médias globaux complémentaires des autres chaînes et entreprises du service public audiovisuel.

Monsieur Bournazel, la pérennité de l'exercice des missions de service public est un enjeu d'organisation et de financement. La trajectoire économique et financière des prochaines années est tout à fait déterminante. Nous ne pourrons bâtir une véritable stratégie et un vrai programme de transformation de nos offres, de nos métiers, de nos organisations que si nous avons une visibilité pluriannuelle. Nous ne pouvons pas nous contenter d'une visibilité au moment de la loi de finances, qui nous conduit à appliquer la logique du rabot, bien connue des administrations de l'État. Il faut que nous puissions bénéficier d'une véritable logique de transformation, comme ce qui se fait dans les entreprises, avec une visibilité sur notre trajectoire pour plusieurs années – c'est-à-dire en connaissant les moyens qui nous sont accordés, car cette trajectoire est avant tout financière.

Si nous avions une véritable visibilité de nos contraintes et de nos trajectoires budgétaires sur la durée, nous pourrions bâtir des accords avec les partenaires sociaux qui sont des interlocuteurs importants pour créer un consensus sur les évolutions de nos métiers et de nos organisations au sein des entreprises.

Madame Buffet, la concertation qui va être lancée – elle a été annoncée la semaine dernière – constitue un enjeu très important. Elle comporte deux aspects : un aspect « publics », et un aspect interne aux différentes entreprises. S'agissant des publics, il est important pour nous, en tant que média du service public audiovisuel, d'avoir un retour des attentes de nos auditeurs et de la manière dont ils nous perçoivent.

Je suis extrêmement sensible à cette question. Les audiences du média radio sont mesurées chaque trimestre grâce à des indicateurs quantitatifs pilotés par Médiamétrie, qui ne nous fournissent pas suffisamment d'informations qualitatives sur nos contenus et la manière dont ils sont perçus au regard de nos missions de service public et de nos différences par rapport aux autres acteurs médiatiques en France.

Il est important que nous développions un retour beaucoup plus qualitatif sur ce que nous sommes. La concertation publique qui sera lancée dans les prochaines semaines comportera, d'une part, une analyse qualitative de nos contenus auprès de l'opinion publique et, d'autre part, une dimension beaucoup plus participative qui sera mise en oeuvre à la rentrée autour des marques de nos différentes chaînes pour avoir un véritable retour de nos auditeurs sur ce que nous sommes, et la façon dont nous pourrions penser l'évolution de nos contenus et leur adéquation à l'évolution des usages des Français.

Ce « retour » des auditeurs est une nécessité démocratique pour un média de service public financé par une contribution à l'audiovisuel public. C'est aussi un enjeu de transformation interne.

La concertation doit également être interne, car la transformation de nos offres passe par celle de nos métiers et de nos organisations. Je mettrai à profit la très forte intelligence de nos différents collaborateurs pour penser cette évolution de nos métiers et de nos offres. Je veux le faire avec l'ensemble des collaborateurs de Radio France au travers d'une concertation qui s'organisera dans les différentes chaînes, en particulier dans le réseau France Bleu, réseau particulièrement impliqué dans la réforme de l'audiovisuel public. Cette concertation se déroulera de la façon la plus participative possible dans les prochaines semaines.

J'en viens enfin à la question relative aux événements sportifs. Il s'agit d'un élément important pour nos antennes, car le sport véhicule aussi des valeurs de lien social et d'engagement. Nos différentes chaînes sont particulièrement positionnées sur ces événements. Toutes les locales de France Bleu mettent en avant les manifestations sportives sur l'ensemble des territoires. Nos différentes chaînes, en particulier Franceinfo, sont aussi très présentes pour donner à voir l'ensemble des manifestations sportives. J'ai par exemple signé hier une convention avec la fédération française de handball afin que nous puissions montrer l'Euro de handball féminin. Nous devons promouvoir l'ensemble des compétitions sportives dans toutes leurs diversités. Nous sommes aussi très impliqués dans les manifestations de handisport.

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