Intervention de Sandro Gozi

Réunion du mardi 6 février 2018 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Sandro Gozi, secrétaire d'État auprès du président du Conseil des ministres de la République italienne, chargé des affaires européennes :

En effet, et le Parlement européen, jusqu'au rapport Duff de 2011, est revenu à plusieurs reprises sur le sujet. Aussitôt après le référendum britannique, nous avons lié la question des listes transnationales à celle des 73 sièges jusqu'à présent attribués au Royaume-Uni. Ainsi, au Conseil européen de Bratislava, en septembre 2016, l'Italie a immédiatement proposé qu'on utilise tout ou partie des 73 sièges britanniques pour introduire le principe de listes transnationales. C'était jusqu'alors impossible car chaque pays aurait dû renoncer à une partie des sièges qui lui sont attribués, ce qui était envisageable théoriquement mais plus difficile politiquement. Nous sommes favorables à la présentation de listes transnationales car nous y voyons un moyen de promouvoir des mouvements, des partis politiques vraiment européens. En effet, les partis européens actuels ne sont pas de vrais partis : ils ne font pas de politique et, souvent, même si c'est un choix légitime de leur part, ils ne sont pas très européens. Donner la possibilité à des listes transnationales de se présenter est une partie de la réponse à la nécessité de refonder l'Europe, car je ne connais pas de démocratie dépourvue de partis, de mouvements politiques.

Vous connaissez l'extraordinaire pièce de théâtre du Sicilien – mais très européen – Luigi Pirandello, Six personnages en quête d'auteur. Eh bien, je trouve qu'il y a, en Europe, un peu trop de présidents « en quête d'auteur », si je puis dire. Aussi une simplification s'impose-t-elle. C'est pourquoi nous avons proposé d'unifier le rôle du président de la Commission européenne et celui du président du Conseil européen, même si nous ne sommes pas naïfs : nous savons bien que ce sera difficile – mais tout n'est-il pas difficile ? Reste qu'ainsi nous éviterions la concurrence entre les agendas des deux présidents et améliorerions la lisibilité et le bon fonctionnement des institutions européennes.

L'agenda, à Strasbourg comme à Bruxelles, est plutôt chargé. Demain, le Parlement européen devra s'exprimer sur le rapport Hübner-Pereira sur la réforme de la loi électorale européenne et sur les listes transnationales. J'espère qu'il confirmera sa position traditionnelle. Reste que nous devons construire un compromis entre ceux qui veulent réduire le nombre de sièges, ceux – parmi lesquels la France – qui souhaitent une redistribution des sièges, la règle de la proportionnalité dégressive n'étant pas appliquée à certains pays, et ceux – comme l'Italie – qui donnent la priorité à l'adoption du principe de listes transnationales. L'Italie était initialement seule puis a trouvé un allié important avec la France du président Macron, puis avec l'Espagne, l'Irlande – dont le premier ministre a fait une très bonne intervention devant le Parlement européen –, si bien qu'aujourd'hui au moins une dizaine de gouvernements nous ont rejoints et j'espère qu'ils seront bientôt une quinzaine. Il est donc souhaitable que le Parlement européen tienne compte de ces trois tendances si l'on veut aboutir à un compromis. Il reste peu de temps, d'ici aux élections de 2019, mais trouver un accord, d'ici à juin 2018, n'est pas impossible. Il est évident que si le Parlement européen rejetait cette proposition, la tâche s'en trouverait compliquée…

Nous envisageons les consultations citoyennes d'un bon oeil. Nous avons nous-mêmes fait une expérimentation, d'un format beaucoup plus modeste mais procédant d'un même esprit et visant les mêmes objectifs, en vue du soixantième anniversaire du traité de Rome. Dans le cadre de notre travail avec la présidence maltaise, avec le président Tusk, avec le président Juncker et avec tous nos partenaires, nous avons organisé plusieurs débats dans les universités et nous avons consulté les communes, par la voie de l'association des maires d'Italie, pour leur demander ce qu'elles attendaient de la déclaration de Rome. Nous avons recouru à la même méthode pour définir notre position sur le premier cadre financier pluriannuel de l'après-2020, en commençant par une consultation des maires et des présidents de région. Nous avons aussi organisé un concours dans les écoles italiennes, demandant aux élèves par quoi il faudrait commencer s'il s'agissait de rédiger aujourd'hui le traité de Rome ; ils pouvaient répondre via leurs smartphones, via des vidéos, par les moyens les plus courants pour eux, et nous avons reçu de très intéressantes réponses. Nous avons également organisé, évidemment, une série de conférences avec les autres gouvernements, dont les représentants ont été invités au Parlement italien. Pour nous, c'est donc une bonne méthode. Bien sûr, ce que le président Macron a proposé à la Sorbonne requiert une organisation beaucoup plus importante, des objectifs partagés. Nous devons nous accorder sur les grands thèmes à aborder et sur l'usage qui sera fait des contributions des universités, des collectivités locales, des régions… Ce n'en est pas moins un travail utile. Nous avons commencé à nous préparer, à la lumière des premières indications dont nous disposons. La consultation devrait, selon la proposition du gouvernement français, commencer aux alentours du mois d'avril pour se terminer à l'automne. J'ai estimé de mon devoir de préparer les instruments, y compris budgétaires, qui permettront au gouvernement qui se mettra en place après le 4 mars prochain de participer, s'il confirme son intérêt, à ces conventions démocratiques et consultations citoyennes.

J'en viens au troisième point. Je crois particulièrement pertinente l'expression employée par votre ministre de l'intérieur pour désigner la nouvelle loi sur l'asile : une brique d'un ensemble. Il est clair que la question de l'immigration et de l'asile n'appelle pas uniquement des réponses nationales, et cela vaut aussi pour les migrations économiques et la lutte contre l'immigration irrégulière au sens large. Je suis tout à fait d'accord, sur un plan juridique, pour distinguer nettement les demandeurs d'asile, les migrants économiques et d'autres types de migrants. Malheureusement, sur le terrain, cette distinction juridique ne suffit pas à nous permettre de reprendre le contrôle des flux. Sans doute nous faut-il un système d'asile commun européen. Le système de Dublin, qui a largement démontré son inadéquation aux nouveaux défis que nous devons relever, doit donc être réformé, en confirmant tant la nécessité de la responsabilité que celle de la solidarité.

Il y a une semaine, l'opération Thémis a succédé à l'opération Triton, ce qui répond sans doute à notre demande. Au début, nous étions dans un isolement qui n'avait rien de splendide. Maintenant, l'Union européenne assume ses responsabilités en Méditerranée, face à la Libye et à l'Afrique. Nous sommes absolument convaincus qu'il faut faire davantage pour la gestion des frontières extérieures, qu'il faut être plus efficace dans l'identification, qu'il faut accélérer les procédures d'asile. Nous avons d'ailleurs doublé le nombre de commissions territoriales d'asile en Italie et accéléré l'examen des demandes. Nous avons organisé un système de répartition des demandeurs d'asile sur tout notre territoire, pour éviter de trop grandes concentrations dont la gestion peut être difficile en certains endroits, mais nous sommes convaincus qu'il faut faire beaucoup plus sur la dimension extérieure. Nous avons avancé au sommet d'Abidjan en ce qui concerne l'Afrique subsaharienne et de même vis-à-vis de la Libye, mais tout cela doit s'accompagner de mécanismes de solidarité qui s'appliquent en cas de crise migratoire majeure. Nous voulons un système de relocalisation des demandeurs d'asile, non dans le cadre de leur gestion ordinaire, mais dans celui de crises importantes, comme celles que nous avons vécues en Syrie ou en Tunisie. Les deux doivent aller de pair. On ne peut être sanctionné deux fois par sa géographie. Je répondrai volontiers aux questions, qui ne manqueront sans doute pas, mais un chiffre témoigne d'une efficacité accrue en raison de l'action menée par l'Italie. Au mois d'octobre 2016, le nombre de migrants arrivés par la mer – je n'ose dire « par bateau », vu les embarcations dont il s'agissait – était de 27 384 ; au mois d'octobre 2017, il était de 6 984.

J'anticipe une question qui fait – et doit faire – débat. Si la présence du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) est aujourd'hui plus importante en Libye, c'est grâce à l'accord auquel nous sommes parvenus avec ce pays et à notre action. Sans cela, nous n'aurions pas cette présence, qu'il faut encore renforcer. Comment faire cesser ces violations des droits de l'homme que l'on constate en certaines zones de Libye ? En évitant tout contact avec ce pays ou bien en nous y engageant en tant qu'Européens et en y renforçant notre présence, en y travaillant pour faire des centres de détention des lieux où les droits fondamentaux sont respectés ? Nous devons y réfléchir ensemble.

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