Intervention de Marlène Schiappa

Réunion du jeudi 20 juillet 2017 à 11h00
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Marlène Schiappa, secrétaire d'état auprès du premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes :

Merci beaucoup, madame la présidente. Merci à toutes et à tous. C'est un vrai plaisir pour moi d'être là aujourd'hui.

Je tiens à féliciter d'abord les membres de cette délégation, qui ont manifesté leur volonté de s'engager sur la question des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes. Je félicite également votre présidente, Mme Marie-Pierre Rixain, pour son élection à la tête de cette délégation. Je ferai en sorte que nous ayons un dialogue permanent sur ces sujets qui sont nos engagements communs.

Vous êtes parlementaires et quels que soient vos groupes politiques respectifs, vous représentez le peuple français, les femmes et les hommes, les citoyennes et les citoyens, et j'entends bien écouter les propositions que vous formulerez pour enrichir ma feuille de route et mes projets. J'entends également vous rendre des comptes sur les actions qui seront menées en matière d'égalité entre les femmes et les hommes au sein du Gouvernement, et par votre intermédiaire, rendre des comptes à l'ensemble de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

Madame la présidente, j'ai ouvert en conseil des ministres un débat visant à enrichir la réflexion sur ces questions de l'égalité entre les femmes et les hommes, en m'adressant à l'ensemble des membres du Gouvernement. Comme vous l'avez vous-même souligné, l'enjeu est interministériel.

Mon secrétariat d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes – et non plus aux droits des femmes, pour bien marquer que nous entrons dans une nouvelle ère – est rattaché à Matignon, ce qui est une première dans l'histoire de la Ve République et lui donne un poids politique supplémentaire. Le Premier ministre adresse lui-même à l'ensemble des membres du Gouvernement des feuilles de route avec des volets et des objectifs très précis sur l'égalité entre les femmes et les hommes, dans tous les domaines qui sont couverts par leurs portefeuilles ministériels.

Ces débats avec mes collègues membres du Gouvernement ont eu lieu hier en conseil des ministres. Ils seront actés par la lettre de mission officielle du Premier ministre, qui me sera rendue dans le courant de l'été, une fois enrichie par l'ensemble des travaux de mes collègues.

J'en profite pour saluer l'engagement de mes collègues du Gouvernement. Si l'on peut arriver à un tel budget interministériel – vous avez fait état de 310 millions d'euros, on parle aussi de 400 millions – c'est précisément parce qu'ils portent collectivement ce qui est la grande cause nationale du quinquennat du Président de la République : l'égalité entre les femmes et les hommes.

La loi a considérablement évolué. Les droits des femmes ont sans cesse été renforcés au cours des dernières années, tout particulièrement au cours du dernier quinquennat, notamment grâce au travail mené par les parlementaires. Je sais que vous veillerez à poursuivre ce travail, car je connais votre sincérité et la profondeur de votre engagement.

« La loi a changé, maintenant la vie doit changer », comme l'a souvent dit le Président de la République. En effet, si l'on constate que les lois sur l'égalité professionnelle étaient nécessaires parce qu'elles ont posé un cadre, elles n'ont pas été suffisantes puisque malgré ces lois, on déplore encore 12 à 27 % d'inégalité de salaire – pour ne donner que ce chiffre.

Je l'ai souligné ce matin devant la Délégation aux droits des femmes du Sénat, l'un de nos enjeux phare sera de sortir de nos zones de confort habituelles. En tant que militantes et militants féministes, en tant que militantes et militants pour l'égalité entre les femmes et les hommes, nous connaissons les chiffres et nous faisons le même constat. Mais notre plus grand ennemi idéologique est de céder au mythe de « l'égalité déjà là », comme l'appelle une sociologue, en partant du principe que, puisque les femmes sont les égales des hommes au niveau des droits, elles le sont forcément dans les actes, et que donc, il n'y a plus de sujet. Or ce n'est pas le cas.

Les chiffres : 27, 80, 98, 100, 3, 83 000, vous parlent sans doute, mais je ne pense pas qu'ils parlent à l'immense majorité de la population française. Rappelons donc que l'écart de salaire entre les femmes et les hommes va de 12 à 27 % ; que 80 % des tâches ménagères sont accomplis par les femmes ; que dans 98 % des familles hétérosexuelles, lorsqu'un parent s'arrête de travailler pour s'occuper des jeunes enfants, c'est la mère ; que près de 100 % des femmes déclarent avoir déjà été harcelées dans les transports en commun, et que, pour éviter de l'être, dans une large majorité, elles changent de tenue ou quelque chose de leur apparence quand elles prennent le métro ; que tous les 3 jours en France, une femme meurt sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint – les féminicides sont une réalité dans notre pays ; enfin, le nombre de viols par an serait de 83 000, chiffre contesté par un certain nombre d'associations, qui vont jusqu'à 200 000 ou 250 000, en France, en 2017 !

Il existerait une sorte de consensus social tacite suivant lequel ces chiffres sont là, ces faits sont là, qu'on ne peut pas les changer, que rien ne peut être fait massivement pour y remédier, que ce sera très long et que « c'est comme ça ». Mais le fameux « c'est comme ça » est notre ennemi. Nous devons lutter contre ce point de vue, en faisant d'abord en sorte de « visibiliser » l'inégalité constatée entre les femmes et les hommes, puis en proposant des solutions.

Nous avons un programme très ambitieux pour l'égalité entre les femmes et les hommes, qui a été porté par le Président de la République et par les parlementaires de la majorité. Vous savez que c'est la grande cause nationale du quinquennat. Cela signifie que le sujet va irriguer l'ensemble des politiques publiques menées par mes collègues du Gouvernement, mais aussi votre action de parlementaires.

Je sais, mesdames et messieurs les députés, madame la présidente, que vous souhaitez passer l'ensemble des dispositifs législatifs au crible de l'égalité entre les femmes et les hommes. Et je pense que nous allons pouvoir mener, sur tous ces dispositifs, un travail que nous mettrons en commun et qui s'enrichira en permanence.

Avant d'exposer les axes principaux de ma feuille de route, je voudrais rappeler quelques faits.

Certaines de mes expressions publiques n'ont pas été bien comprises. Étant à l'origine une professionnelle de la communication, je sais que lorsqu'une chose est mal comprise, c'est qu'elle a été mal exposée. Je profiterai donc de l'occasion pour m'expliquer sur un certain nombre de sujets.

D'abord, le fil rouge de l'action gouvernementale, c'est d'adapter les politiques publiques d'égalité aux spécificités des territoires, ce qui signifie que nous devons adapter nos actions à la réalité concrète de chaque région, de chaque département, de chaque ville, de chaque village.

C'est ce qui prévaut en matière de santé : on n'agit pas de la même façon dans une zone de désert médical et dans une zone où il y a un certain nombre d'infrastructures et des médecins spécialistes très facilement accessibles. C'est ce qui prévaut dans les transports : on adapte nos politiques publiques de transports à la spécificité géographique, sociologique de chaque territoire. Et c'est ce qui prévaut pour l'égalité.

Cela ne veut pas dire que l'égalité soit négociable : l'égalité est un objectif dans toute la France, sur l'ensemble du territoire, dans l'ensemble de la République française, mais les inégalités entre les femmes et les hommes ne sont pas homogènes. Les situations ne sont ainsi pas les mêmes dans le Nord de la France, où le nombre de viols sur la voie publique est très élevé, et en Corse, où il est très faible.

Autre exemple, la politique de lutte contre le harcèlement dans les transports en commun lancée par Pascale Boistard et que j'avais reprise en tant que maire adjointe du Mans, est efficace dans certaines zones, mais pas dans d'autres. Elle ne l'est pas en Corse, pour parler d'un territoire que je connais, parce qu'il n'y a pas de métro, parce les visuels n'ont pas grande signification et parce le harcèlement de rue y est très rare.

L'idée est de partir de la situation et des besoins, qui sont connus principalement par les élus – c'est pour cela que j'aurai besoin de vous et des remontées que vous pourrez me faire – pour adapter nos moyens à cet objectif commun et non négociable pour la République française.

C'est peut-être l'occasion de rappeler que la République française ne reconnaît aucun relativisme culturel. Vous avez sans doute vu la campagne que nous avons lancée au sujet de l'excision. Nous y rappelons que l'excision n'est pas une coutume mais une mutilation. Des dizaines de milliers de petites filles, de jeunes filles et de femmes vivent excisées en France. Souvent, elles l'ont été à l'occasion de vacances à l'étranger, sans avoir même été mises au courant. Je pense qu'il est important de rappeler que la loi française ne tolère pas cela. De la même façon, le mariage forcé n'est pas une tradition, mais un viol de la loi, et – c'est important de le rappeler au regard de ce que nous vivons – la burqa n'est pas une mode vestimentaire, c'est une tenue oppressive et elle est illégale en France.

Il est également important de rappeler que la trinité républicaine ne se négocie pas, et qu'adapter nos politiques publiques aux spécificités de chaque territoire signifie simplement que nous devons être vigilants afin que ces politiques soient efficientes et efficaces. Ce que je vise, ce n'est pas la symbolique, c'est l'efficacité.

Je pense que nous avons attendu collectivement trop longtemps pour agir réellement sur la réalité des inégalités entre les femmes et les hommes. Les lois ont changé, grâce à un travail considérable et formidable, que je le salue bien évidemment. Mais maintenant, nous devons en mener un autre pour faire exister ces lois.

Je peux vous donner un dernier exemple, celui « téléphone grave danger » (TGD), qui est un dispositif de lutte contre les violences et contre la récidive, principalement des violences conjugales. Il est donné par les procureurs aux femmes, qui peuvent appeler lorsqu'un conjoint ou un ex-conjoint violent revient vers elles et les menace. Il fonctionne très bien dans beaucoup de zones, notamment en Seine-Saint-Denis où il est né, à Bobigny. Mais il est inopérant dans d'autres zones, par exemple dans celles où l'on ne capte pas, en montagne ou dans certaines zones rurales.

Cela peut paraître banal et évident, mais nous devons le mettre en lumière pour prouver qu'il ne peut pas y avoir de solutions homogènes, et que nous devons trouver des réponses spécifiques qui s'adaptent à la géographie et à la sociologie de chaque territoire.

Je vais maintenant vous parler du fond et des axes de ma feuille de route.

Le premier axe est le travail car c'est dans le travail des femmes que se projettent l'ensemble des inégalités. Le travail est une forme d'aboutissement des inégalités. Comme le disait Simone de Beauvoir, « c'est par le travail seul que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle ». Car le travail garantit l'autonomie financière, l'émancipation réelle, économique et sociale des femmes.

Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, si une quinzaine de lois ont été prises pour l'égalité professionnelle, nous avons encore à travailler à l'égalité professionnelle, à l'égalité salariale, à l'articulation des temps de vie, et aux conditions de travail des femmes.

Je me suis aperçue, pendant les dix ans de ma présidence du réseau « Maman travaille », et pendant l'année de campagne présidentielle où j'ai animé des ateliers, que les femmes méconnaissent profondément leurs droits.

Vous m'avez toutes et tous entendu parler de cette affaire qui m'a beaucoup marquée, celle d'une femme qui était hôtesse de caisse à Auchan, et qui avait fait une fausse couche sur son lieu de travail. Au-delà du drame humain, on pouvait s'étonner que cette femme ne sache pas qu'en état de grossesse légalement constaté, elle avait le droit à un aménagement de travail, et que ni son employeur, ni aucun syndicat ne le lui aient dit. Et son médecin ne lui avait vraisemblablement pas dit non plus qu'elle avait le droit de demander et d'obtenir un aménagement de travail puisqu'elle était dans un état de grossesse dite « à risque » et médicalement constaté.

Cette affaire est flagrante. Elle a été médiatisée, mais il y en a des dizaines comme cela chaque année, voire chaque mois, qui montrent que les femmes ne connaissent pas leurs droits. Avec mes collègues Muriel Pénicaud, ministre du Travail, et Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, nous travaillons à l'élaboration d'un document de communication, très simple et très accessible. Il ne s'agit pas de faire un guide de cent pages que personne ne lira, mais de publier les droits fondamentaux des femmes enceintes au travail, de les faire connaître massivement aux femmes elles-mêmes, aux employeurs, aux partenaires sociaux, et de faire en sorte que ces droits soient respectés.

À ce propos, si cette information n'est pas encore parvenue jusqu'à vous, je crois utile de vous indiquer – en me permettant de parler au nom de Mme Muriel Pénicaud – que tout l'édifice concernant la parité, l'égalité salariale et professionnelle, dans le cadre des ordonnances, restera au niveau du code du travail et ne fera pas l'objet de négociations entreprise par entreprise, ni branche par branche, parce que le rapport de forces ne serait sans doute pas favorable aux femmes dans un tel contexte. Il me semble intéressant de faire connaître cette information.

Je voudrais vous faire part maintenant d'un de nos engagements de campagne que nous allons tenir, et que nous avons appelé le « Name and change » – par référence au « Name and shame » des Anglo-Saxons. Il s'agit donc, pour nous, de « Nommer et changer ». Nous partons du principe que les entreprises qui ne respectent pas l'égalité professionnelle ne le font pas forcément par misogynie pure, mais plutôt par manque d'information, par manque de moyens, de leviers pour mettre en oeuvre l'égalité entre les femmes et les hommes.

Nous avons demandé au baromètre Ethics & Boards, de nous indiquer quelles sont les dix entreprises les plus mal classées en matière d'égalité professionnelle. Nous les convoquerons à une formation qui sera assurée par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), l'Observatoire de l'équilibre des temps et de la parentalité en entreprise et une formatrice en innovation sociale. L'objectif est de faire de ces entreprises des actrices et des acteurs positifs de l'égalité professionnelle et salariale. Nous évaluerons les effets de cette formation au bout de six mois. Bien évidemment, si les entreprises refusaient de se rendre à cette convocation, elles seraient citées et dénoncées publiquement pour respecter notre engagement de campagne. Mais nous allons valoriser les entreprises qui ont de bonnes pratiques – je vous donnerai un peu plus de détails tout à l'heure.

Nous agissons également sur la cause des inégalités professionnelles. On l'a dit, les inégalités entre les hommes et les femmes au travail sont souvent la conséquence d'autres inégalités.

C'est ainsi le cas de celles qui sont liées au congé maternité. Nous travaillons, avec ma collègue ministre des Solidarités et de la Santé, à la création d'un congé maternité unique ou harmonisé. Nous partons du constat qu'actuellement, le congé de maternité n'est pas le même pour toutes les femmes, qu'elles soient salariées, professions libérales, autoentrepreneuses ou intermittentes du spectacle. Cela pose un problème en termes de protection et de trajectoire professionnelle pour les femmes concernées. J'en profite pour dire que ce congé maternité ne sera pas obligatoire, puisque déjà, le congé maternité des salariées ne l'est pas. Avec ma collègue et avec l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), nous nous penchons sur la budgétisation de ce congé maternité. Cela coûtera cher, mais nous pensons que c'est une mesure essentielle. J'ajoute que nous allons sans doute commencer par le congé maternité des femmes agricultrices, qui nous est apparu comme le congé maternité le plus injuste qui existe actuellement.

J'observe que ce travail d'harmonisation s'inscrit dans la même logique que le travail visant à fusionner le Régime social des indépendants (RSI) dans le régime général. C'est aussi la même logique qui prévaut en matière de protection des personnes, c'est pourquoi nous travaillons à un droit au chômage, dont pourraient bénéficier des personnes qui ne seraient pas salariées.

La maternité marque un point de décrochage dans la trajectoire professionnelle des femmes, notamment en lien avec la question des modes de garde. Je le disais tout à l'heure, dans 98 % des familles hétérosexuelles, c'est la femme qui s'arrête de travailler pour garder les enfants quand il n'y a pas de place en crèche.

Nous travaillons à la transparence en reprenant le pacte « Transparence crèches » que j'avais initié il y a quelques années avec mon réseau « Maman travaille ». L'objectif est de demander aux collectivités de rendre publics leurs critères d'attribution de places en crèche, leur barème de cotation, ainsi que la composition des commissions d'attribution des places en crèche. En effet, une étude a montré que la plupart des jeunes parents qualifiaient d'« épreuve » le fait de trouver un mode de garde pour leur enfant – et l'on sait très bien que lorsque l'on dit parents c'est par pudeur, parce qu'en réalité, ce sont les mères qui s'en préoccupent.

Lorsqu'on leur demande comment ils ont fait pour obtenir une place en crèche à ceux qui en ont obtenu une, les parents répondent que c'est par chance, par hasard ou par piston, et pas parce qu'ils remplissaient les critères demandés. Cela prouve pour le moins une certaine rupture du lien de confiance avec les collectivités.

Nous souhaitons mettre fin à cette situation. Il s'agit de faire en sorte que les collectivités qui, pour la plupart, ont déjà des systèmes transparents, communiquent sur ces systèmes, et d'y inciter fortement les autres. C'est un travail que nous menons avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), avec laquelle une convention est en cours de renégociation. L'idée est d'aller vers un partenariat aux termes duquel les caisses continueraient à financer les crèches municipales, à condition que l'attribution des places en crèche se fasse de façon totalement transparente.

Il ne s'agit évidemment pas de s'ingérer dans les politiques municipales : chaque collectivité reste libre de fixer les critères qu'elle entend fixer. Nous n'harmonisons pas les critères, puisque c'est la prérogative de chaque politique municipale, mais nous demandons aux collectivités de communiquer et de faire connaître plus massivement ces critères aux parents.

Un sujet très important me tient tout particulièrement à coeur : celui de l'insertion professionnelle des mères, notamment des mères qui sont en situation de précarité. Nous sommes ainsi en train de travailler avec mon collègue Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, à une forte innovation : la création d'un dispositif de validation des acquis de l'expérience (VAE) des jeunes parents.

Je m'explique : un certain nombre de femmes, notamment dans des banlieues ou dans des zones rurales, ont eu des enfants jeunes et se retrouvent à vingt-cinq, trente, trente-cinq ans, sur le marché du travail, sans qualification, sans expérience professionnelle, avec un CV qui est une page blanche. Elles n'ont pas de diplôme et dans un entretien d'embauche, leur seul argument est de dire « j'ai élevé mes enfants », ce qui jusqu'à présent n'est pas le plus efficace pour trouver du travail – et je le déplore.

Nous allons donc lancer un dispositif de validation des acquis de l'expérience, qui serait un parcours diplômant. Nous sommes en train d'y réfléchir, et vos suggestions, à cet égard, seront plus que bienvenues. Nous sommes en train de voir si nous pouvons transformer cette expérience en CAP petite enfance, en diplôme d'État, en brevet d'éducatrice de jeunes enfants. Ce serait le moyen de faire se rencontrer l'offre et la demande sur le marché du travail avec, d'un côté, la demande de professionnels de la petite enfance qualifiés justement pour les crèches, mais pas uniquement et, de l'autre côté, cette offre de compétences de jeunes mères qui ont acquis de l'expérience et qui peuvent la compléter par ce dispositif diplômant.

Tous ces sujets sont liés. Je crois qu'il est impossible de lutter contre le plafond de verre et contre l'autocensure des femmes si, du côté des pouvoirs publics, nous ne prenons pas nos responsabilités. Dire aux femmes qu'elles doivent percer le plafond de verre, lutter contre l'autocensure, pouvoir tout faire et devenir des wonder women, etc. est un discours d'empowerment – ce mot anglais n'a pas d'équivalent sociologique en français ; certains disent « empouvoirement », mais cela me semble un peu compliqué… Quoi qu'il en soit, ce discours ne peut être tenu que si les pouvoirs publics offrent les infrastructures nécessaires pour permettre aux femmes de réussir. Cela suppose des modes de garde, une protection face aux discriminations à l'embauche, une protection face aux inégalités salariales et face aux violences sexistes et sexuelles. En effet, je ne vois pas comment on peut attendre des femmes qu'elles exigent des formations, des promotions, qu'elles prennent leur carrière professionnelle en main si elles doivent craindre pour leur intégrité physique dans les transports en commun ou être victimes de violences intrafamiliales lorsqu'elles rentrent chez elles. C'est une situation qui est proprement intenable ! J'ai donc la conviction que lutter contre les violences sexistes et sexuelles, c'est aussi lutter pour l'égalité professionnelle.

C'est le deuxième axe de ma feuille route : la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Je l'ai dit tout à l'heure, il y a plus de 83 000 viols par an en France, et encore c'est le chiffre officiel. Et il y a plusieurs centaines de milliers d'agressions sexuelles et d'actes de harcèlement sexuel. Le harcèlement de rue, quant à lui, n'est pas quantifié, mais il est une réalité pour les femmes. La République française doit affirmer fermement que le corps des femmes n'est pas un bien public, qu'il n'appartient pas au premier venu mais à elles et à elles seules, et qu'elles ont ce droit total et absolu de disposer de leur propre corps.

À cet égard, je pense qu'il est important de communiquer sur la réalité des faits, de parler de violences sexistes et sexuelles, et pas de violences faites aux femmes, de « visibiliser » le système ou les auteurs d'agressions, et pas les femmes, et de responsabiliser les auteurs d'agression, et pas leurs victimes.

Nous allons donc poursuivre les formations des professionnels, qui ont été engagées dans le cadre du cinquième plan interministériel, toujours en cours. Nous allons lutter très fermement contre ce que l'on appelle la « culture du viol », qui est présente, trop présente dans notre société. Dès lors qu'il s'agit d'une question culturelle, cela veut dire que nous pouvons la combattre.

Selon Amnesty International, 90 % des violeurs n'ont aucune pathologie mentale. Cela signifie que le violeur « moyen » n'est pas un tueur en série, mais un homme qui n'a pas acquis la notion de consentement, qui n'a pas acquis la notion du fait que violer est un crime, que c'est interdit, que la loi ne le permet pas et qu'elle le punit par de la prison et par des amendes.

Nous avons à faire de la pédagogie, en rappelant que ce l'on appelle familièrement une « main aux fesses », ce n'est pas une « blague potache », ce n'est pas « rigolo », mais une agression sexuelle qui vaut deux ans de prison et 75 000 euros d'amende.

C'est aussi pour cela que nous voulons verbaliser le harcèlement de rue. L'idée n'est pas de dégrader les agressions sexuelles, mais de dire qu'il y a d'un côté les agressions sexuelles, de l'autre la séduction qui est caractérisée par un consentement et un rapport réciproque, et qu'au milieu il y a cette zone grise que dénoncent les femmes avec raison, et que l'on appelle familièrement le harcèlement de rue. Nous créons donc, avec mes collègues Gérard Collomb et Nicole Belloubet, respectivement ministre de l'Intérieur et garde des Sceaux, une verbalisation du harcèlement de rue. Les 10 000 policiers de proximité qui seront recrutés dans le courant du quinquennat pourront ainsi être sensibilisés à ces questions, et verbaliser directement le harcèlement de rue.

Nous sommes tout à fait conscients qu'il n'y aura pas un policier derrière chaque fait de harcèlement de rue. Néanmoins, il nous semble important de dire le droit, de dire que la République française ne tolère pas le harcèlement de rue, qu'elle l'interdit, et de dire aux femmes que nous nous tenons avec elles pour lutter contre ces phénomènes de harcèlement de rue qui interdisent à certaines de fréquenter certains quartiers.

Comme je le disais, c'est un combat culturel. C'est pour cela que nous lançons une vaste campagne de communication qui s'adressera aux auteurs et non pas aux victimes, comme on le fait très souvent à l'étranger.

Ainsi, il y a un an et demi, des campagnes ont été lancées sur les campus américains après l'affaire Brock Turner – cet homme qui se défendait en disant qu'il était un excellent sportif et qu'on ne pouvait donc pas l'accuser de viol. Ces campagnes s'adressaient aux étudiantes et leur disaient en substance : ne buvez pas d'alcool, sinon vous risquez d'être violées. De la même façon, dans le cadre d'une campagne lancée par certaines villes allemandes, on incitait à arborer un autocollant nein quand on allait à la piscine, pour dire que « non », on n'était pas disposée à être agressée sexuellement.

Je pense que ces campagnes sont contreproductives, qu'il ne faut pas culpabiliser les victimes, qu'il faut dire que le viol n'est jamais le choix de la victime, que c'est toujours le choix du violeur, que la responsabilité est du côté de l'agresseur sexuel et au grand jamais du côté de la victime. C'est pour cela que notre campagne de communication parlera de la notion de consentement, et ne s'adressera pas aux femmes en leur disant de se protéger, de se cacher, de ne pas mettre de minijupe, de ne pas sortir à telle heure, de ne pas boire d'alcool, etc. Elle s'adressera aux hommes, puisque ce sont majoritairement les hommes qui sont les auteurs d'agressions sexuelles, non pas en partant du principe que tous les hommes sont des violeurs en puissance, mais qu'il est de la responsabilité des pouvoirs publics de dire qu'il est interdit de violer des femmes. Nous savons que de très nombreux hommes sont avec nous dans ces combats – et j'en profite pour saluer les parlementaires masculins, qui se sont engagés à nos côtés.

Au-delà de cette campagne de communication, nous lançons des formations.

Depuis la loi de 2001, trois jours d'intervention en milieu scolaire (IMS) sont censés être faits sur l'éducation à la sexualité. Mais en réalité, ils ne sont pas faits, ou très peu et de façon très inégale. Un certain nombre d'associations de parents nous ont alertés à ce sujet.

Nous complétons cette formation dans le cadre d'une « mallette des parents », qui est constituée par mon collègue Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, avec une fiche qui s'adresse aux parents pour leur dire ce qu'est l'égalité entre les filles et les garçons dès le plus jeune âge.

Il est également prévu d'organiser, au cours du service militaire et civil, une journée de formation sur la lutte contre les stéréotypes et contre la culture du viol, et la lutte pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

La construction du service militaire et civil fera l'objet d'un certain nombre de réunions interministérielles. Les parlementaires seront bien évidemment associés à ces débats, et je vous dis d'ores et déjà que nous sommes très preneurs de toutes les propositions que vous pourrez nous faire, à la fois sur le modus operandi et sur le contenu de cette journée de formation.

Enfin, nous allongerons, avec ma collègue garde des Sceaux, le délai de prescription des violences sexuelles en le portant de vingt ans à trente ans, suivant en cela les propositions d'un rapport d'une mission de consensus commandée par ma prédécesseure.

De mon côté, j'ai commandé au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) un rapport sur les violences obstétricales, sujet qui me tient à coeur et dont les femmes s'emparent massivement. J'ai eu notamment des retours au travers du réseau « Maman travaille » que j'ai monté il y a une dizaine d'années ; vous devez savoir qu'en France, les taux d'épisiotomies – qui parfois ne sont même pas validées par les femmes – dépassent 75 % d'après les derniers chiffres dont je dispose, alors que l'OMS recommande de ne pas dépasser 25 %.

Des femmes en situation de handicap nous ont fait part des violences gynécologiques et obstétricales qu'elles ont subies, ainsi qu'un certain nombre de femmes étrangères, qui méconnaissent leurs droits, plus encore que les femmes de nationalité française. Nous devons évidemment leur garantir une égalité d'accès aux droits.

Nous avons lancé, avec ma collègue ministre des solidarités et de la santé, un travail sur l'information autour de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) à destination des professionnels. En effet, le planning familial m'a fait part d'une information selon laquelle la plupart des médecins n'étaient pas encore au courant du fait que le délai de sept jours de réflexion n'existait plus et qu'il n'était donc plus nécessaire de le demander aux femmes.

Nous travaillons également à l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA), à toutes les femmes, que le Président de la République avait conditionnée à l'avis positif du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). L'avis a été rendu et il est favorable ; la PMA sera donc ouverte à toutes les femmes.

Plus généralement, nous mènerons un travail sur la place des femmes, leur droit à disposer de leur corps, leurs droits sexuels et reproductifs, et le rapport des femmes à la douleur, sujet qui m'intéresse tout particulièrement. Le fait que les femmes intériorisent leur douleur, les fameux « il faut souffrir pour être belle », « vous enfanterez dans la douleur », etc. ont des conséquences médicales graves, comme le faible dépistage de l'endométriose. En effet, les douleurs pendant les règles en constituent le premier symptôme, mais quand une femme n'ose pas dire qu'elle a mal au ventre parce qu'il est « normal » d'avoir mal, elle ne va pas se plaindre, elle ne va pas chez le médecin et peut passer à côté d'une maladie grave comme celle-ci.

7 commentaires :

Le 19/08/2017 à 23:03, Laïc1 a dit :

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"Mon secrétariat d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes – et non plus aux droits des femmes, pour bien marquer que nous entrons dans une nouvelle ère – "

Il aurait dû s'intituler "égalité en droits des hommes et des femmes", pour plus de clarté. Mais peut-être que l'ambiguïté et le désir d'amorcer des polémiques sont-ils précisément recherchés ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 19/08/2017 à 23:09, Laïc1 a dit :

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"Vous avez sans doute vu la campagne que nous avons lancée au sujet de l'excision. Nous y rappelons que l'excision n'est pas une coutume mais une mutilation."

Il en va de même pour la circoncision. Il ne s'agit pas d'une coutume, mais d'une mutilation, ou d'une coutume entraînant une mutilation. On ne peut pas dénoncer une mutilation contre le sexe féminin tout en se taisant contre une mutilation contre le sexe masculin. Puisque l'on parle d'égalité entre hommes et femmes sur le plan du droit, c'est la moindre des choses que d'établir le parallèle.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 20/08/2017 à 07:39, Laïc1 a dit :

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"À ce propos, si cette information n'est pas encore parvenue jusqu'à vous, je crois utile de vous indiquer – en me permettant de parler au nom de Mme Muriel Pénicaud – que tout l'édifice concernant la parité, l'égalité salariale et professionnelle, dans le cadre des ordonnances, restera au niveau du code du travail et ne fera pas l'objet de négociations entreprise par entreprise, ni branche par branche, parce que le rapport de forces ne serait sans doute pas favorable aux femmes dans un tel contexte."

Ou on fait totalement confiance aux accords d'entreprises ou de branches, et dans ce cas on fait confiance aux accords d'entreprises pour défendre la parité et l'égalité salariale, ou on les rejette totalement, en allant jusqu'à les interdire, puisque incapables de défendre l'égalité salariale ! Et on ne parle pas ici de la place faite aux travailleurs handicapés : j'ai entendu des témoignages selon lesquels les entreprises préféraient payer des amendes plutôt que d'embaucher des personnes handicapées...

Pourquoi voulez-vous ne pas faire confiance aux accords d'entreprise pour défendre l'égalité salariale et leur faire confiance pour le reste? Ce n'est pas cohérent. Cette défiance vis à vis des accords d'entreprise avouée en commission prouve bien qu'ils sont une machine à exploiter le plus faible à l'avantage du plus fort (fort au sens de "riche"), à savoir le patron.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 20/08/2017 à 07:42, Laïc1 a dit :

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"Je voudrais vous faire part maintenant d'un de nos engagements de campagne que nous allons tenir, et que nous avons appelé le « Name and change » – par référence au « Name and shame » des Anglo-Saxons."

Le macronisme, cela est-il de parler anglais couramment, au détriment des intérêts fondamentaux de la langue française en France même ?

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Le 20/08/2017 à 07:48, Laïc1 a dit :

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"Je m'explique : un certain nombre de femmes, notamment dans des banlieues ou dans des zones rurales, ont eu des enfants jeunes et se retrouvent à vingt-cinq, trente, trente-cinq ans, sur le marché du travail, sans qualification, sans expérience professionnelle, avec un CV qui est une page blanche. Elles n'ont pas de diplôme et dans un entretien d'embauche, leur seul argument est de dire « j'ai élevé mes enfants », ce qui jusqu'à présent n'est pas le plus efficace pour trouver du travail – et je le déplore."

Un petit contrat aidé pour les lancer enfin dans le monde du travail ? Ah mince, ça vient d'être interdit, bon ben tant pis, elles resteront dans leur chômage...

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Le 20/08/2017 à 08:01, Laïc1 a dit :

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"La construction du service militaire et civil fera l'objet d'un certain nombre de réunions interministérielles. Les parlementaires seront bien évidemment associés à ces débats, et je vous dis d'ores et déjà que nous sommes très preneurs de toutes les propositions que vous pourrez nous faire, à la fois sur le modus operandi et sur le contenu de cette journée de formation."

Pour une meilleure égalité : pas de service militaire, ni pour les hommes, ni pour les femmes. Le service militaire de masse pour toutes et tous, à notre époque, est un erreur indiscutable, on ne peut pas mélanger comme ça jeunes hommes et jeunes femmes, en les coupant de leurs études ou de leur travail pendant un certain temps, pour une unité nationale chimérique qui n'existe que dans les fantasmes des décideurs homologués, qui ont d'ailleurs fait des études rares qui les coupent justement de la masse nationale qu'ils sont censés représenter.

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Le 14/09/2017 à 11:27, Laïc1 a dit :

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" ... elle ne va pas se plaindre, elle ne va pas chez le médecin et peut passer à côté d'une maladie grave comme celle-ci."

Doit-on en déduire que madame est contre le jour de carence ? Quoi de plus injuste en effet que de faciliter la souffrance des femmes en leur proposant comme souffrance supplémentaire de devoir abandonner un jour de salaire pour pouvoir consulter le médecin si la souffrance les surprend inopinément pendant un jour de travail ?

Il faut savoir ce que l'on l'on veut : la santé, ou la souffrance. Et si l'on n'est pas capable d'être cohérent dans son discours, on peut toujours démissionner.

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