Intervention de Richard Ferrand

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRichard Ferrand, rapporteur général :

Monsieur le président, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c'est une procédure peu ordinaire qui nous réunit en commission des Lois à partir de cet après-midi et pour les jours à venir. Nous nous trouvons ici, salle Lamartine, pour modifier la Constitution qui est, dans notre ordre interne, la norme suprême. Vouloir modifier la norme suprême est une démarche nécessairement solennelle, éloignée par définition de toute considération particulière ou contingente, et mue par des objectifs de longue durée.

Comme c'est la règle, ce projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace est présenté par le Premier ministre au nom du Président de la République, et défendu par la garde des Sceaux, qui est venue devant nous pour cela il y a trois semaines. Il traduit les engagements pris par le chef de l'État lors de sa campagne électorale, puis devant les assemblées réunies en Congrès le 3 juillet 2017. Ces engagements sont les nôtres, mais ce sont aussi des exigences autour desquelles peuvent se retrouver tous ceux qui constatent à quel point certains modes de fonctionnement de nos institutions sont en décalage avec les attentes de nos compatriotes, tous ceux qui ont compris qu'il était indispensable de moderniser les mécanismes de la Ve République pour assurer la vivacité de notre vie démocratique.

La dernière révision de la Constitution, qui remonte à dix ans, manifestait déjà le souci d'un renouvellement et d'une modernisation des institutions. Nos prédécesseurs avaient pour principale ambition de doter le Parlement de moyens d'action supplémentaires. Des progrès indéniables, auxquels nous sommes unanimement attachés, ont été accomplis à l'époque, qu'il s'agisse de la discussion de la plupart des textes en séance sur la base du texte de la commission, de la reconnaissance de droits spécifiques aux groupes parlementaires d'opposition et minoritaires, ou de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), grâce à laquelle les justiciables peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour faire respecter leurs droits fondamentaux.

Cependant, le bilan est partagé et certains dysfonctionnements méritent d'être corrigés, comme nous le constatons tous, jour après jour. La programmation de nos travaux est trop souvent chaotique, les délibérations en commission et en séance publique ne s'articulent pas toujours de manière satisfaisante, et l'accessoire l'emporte trop souvent sur l'essentiel. Avec le Président de la République, la majorité dresse le constat d'un rythme de conception des lois inadapté pour répondre aux besoins de la société. Le recentrage du droit d'amendement aux termes de l'article 3, la possibilité de voter les textes les plus simples en commission aux termes de l'article 4, la simplification de la navette aux termes de l'article 5, la plus grande souplesse de l'ordre du jour aux termes des articles 8 et 9, constituent des réformes utiles, susceptibles de rendre au Parlement le temps de débattre plus sereinement des questions de fond, et c'est ce que nous vous proposons.

Ce projet s'inscrit dans le cadre d'une réforme des institutions plus vaste qui comporte aussi, vous le savez, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire. C'est dans ce cadre que nous proposerons également de réduire le nombre de parlementaires, de limiter le cumul des mandats dans le temps, et d'introduire une dose de proportionnelle pour que toutes les sensibilités soient justement représentées au Parlement. Nous aborderons ces sujets au mois de septembre, au sein de cette même commission, sur la base du rapport de notre collègue Marie Guévenoux, mais j'ai l'intuition que certains d'entre vous souhaiteront en parler sans même attendre la rentrée.

Il nous appartiendra encore, dans la suite de la législature, de tirer les conséquences dans la législation organique et dans le règlement de notre assemblée de toutes les modifications qui seront apportées à la Constitution. Au-delà du Parlement, c'est un grand chantier de modernisation que nous abordons : Cour de justice de la République, Conseil supérieur de la magistrature, Conseil constitutionnel, Conseil économique, social et environnemental, chacune de ces institutions fait l'objet de dispositions importantes et nécessaires. Nous souhaitons de nouvelles règles pour la responsabilité pénale des membres du Gouvernement ; nous souhaitons que la justice bénéficie de garanties renforcées en matière d'indépendance ; nous souhaitons que la société tout entière participe davantage à la vie démocratique, donc aux décisions qui la concernent.

Un dernier groupe d'articles – 15, 16 et 17 – traite des collectivités territoriales. Certains attendaient depuis longtemps les mesures qui y figurent, à savoir le droit à la différenciation, le statut particulier de la collectivité de Corse, la possibilité pour les lois et les règlements nationaux de comporter des règles adaptées aux spécificités géographiques, économiques ou sociales, des adaptations du même ordre en ce qui concerne les cinq départements et régions d'outre-mer – Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion. Le vent de la liberté ne doit pas s'arrêter au boulevard périphérique parisien, et nos collectivités doivent exercer leurs responsabilités.

L'ampleur de la tâche a justifié que nous retenions un dispositif un peu hors norme, reposant au sein de la seule commission des Lois sur trois rapporteurs. Je suis entouré de Mme Yaël Braun-Pivet, qui a délaissé momentanément la présidence de la commission pour rapporter les dispositions relatives à la justice, et au CESE, et de M Marc Fesneau, qui s'occupe plus particulièrement de la procédure parlementaire et des collectivités territoriales. Je tiens à les remercier du travail déjà accompli lors des auditions qui ont été organisées ces deux dernières semaines et de l'état d'avancement de leurs travaux, qui a été mis en ligne sur la page internet de la commission des Lois. Je salue également le travail des rapporteurs des commissions saisies pour avis, à savoir M. Olivier Véran pour la commission des Affaires sociales, M. Christophe Arend pour la commission du Développement durable, M. Laurent Saint-Martin pour la commission des Finances, et la présidente de la Délégation aux droits des femmes, Mme Marie-Pierre Rixain.

Mon rôle et celui des deux rapporteurs ne s'arrêtera pas là : nous allons délibérer en commission et en séance, puis il nous faudra engager la concertation avec nos collègues sénateurs. La difficulté de rapprocher les points de vue, parfois peu conciliables, ne doit pas être sous-estimée. Sous la précédente législature, elle a conduit à l'échec de six projets de loi constitutionnelle à un stade ou un autre de la procédure de l'article 89 de la Constitution. Comme vous le savez, en matière de révision constitutionnelle, le bicamérisme égalitaire prévaut : le texte doit être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées avant que le Congrès ou le peuple français par référendum ne se prononcent. C'est donc un dialogue constructif que j'entends engager avec nos collègues sénateurs.

Dans l'immédiat, je serai vigilant à ne pas dénaturer ce projet de loi constitutionnelle qui a un périmètre relativement précis. La hiérarchie des normes doit conserver tout son sens, et il ne me paraît pas utile de hisser au rang constitutionnel des dispositions organiques ou réglementaires. Il n'est pas non plus dans mes intentions de remettre en cause les ressorts fondamentaux de la Ve République et du parlementarisme rationalisé. Enfin, j'écarterai les dispositifs aux effets juridiques trop incertains, notamment ceux ayant pour objet de proclamer certains droits et libertés pour lesquelles la jurisprudence du Conseil constitutionnel offre un cadre mieux identifié et plus protecteur à nos concitoyens.

D'autres sujets que ceux figurant dans le projet initial pourront naturellement être débattus. Le nombre d'amendements déposés – 1 378 exactement, soit plus du double d'il y a dix ans –, pour un quart avant l'article 1er, témoigne s'il en est besoin de la fertilité de nos imaginations sur tous les bancs, mais nous devons veiller à ne pas surcharger la Constitution, à ne pas adopter des dispositions qui créeraient des difficultés d'interprétation et donneraient lieu à des contentieux. Telle est, mes chers collègues, la vision d'ensemble dont je souhaitais vous faire part, avant que nos deux rapporteurs n'entrent davantage dans le détail.

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