Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Quatrième enseignement : la transparence constitue sans aucun doute la mère de toutes les batailles, vérifiant ainsi l'adage « pour vivre heureux, vivons cachés ». La révélation des informations financières des sociétés pour l'ensemble de leurs filiales dans les pays non coopératifs au profit de l'administration fiscale constitue à la fois un outil de dissuasion et une source d'information pour le contrôle fiscal. Il reste à obtenir la communication publique de ces informations qui n'est aujourd'hui effective que pour les banques – une avancée obtenue dans cet hémicycle en 2013, au détour de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, grâce à un amendement que j'avais déposé, quelques mois avant que l'Union européenne n'adopte cette règle à son tour, et qui n'avait à l'époque pas suscité plus d'intérêt que le débat de ce matin sur les bancs de la droite de cet hémicycle…

Il faut saluer le résultat que représente la directive BEPS, qui s'inscrit dans un processus devant aboutir à une plus grande équité fiscale et une concurrence loyale entre les entreprises. Il est dangereux pour la cohésion sociale que les grandes entreprises échappent à l'impôt en reportant sur les PME et les ménages la charge de l'action publique et de la protection sociale. Cette situation produit de l'injustice et de l'appauvrissement, qui finissent par susciter le mécontentement et provoquer des votes extrêmes.

Si l'enjeu fiscal et budgétaire est clair, il est nécessaire d'apporter des précisions quant à son ampleur. Pourquoi ? Parce que les chiffres avancés, répétés en boucle dans cet hémicycle ou dans les médias, peuvent nous égarer. Quand on annonce un montant d'évasion fiscale de 60 milliards à 80 milliards d'euros par an, la tentation est grande de mettre ce chiffre en rapport avec d'autres enjeux, par exemple les 60 milliards de déficit du budget de l'État que certains pensent pouvoir effacer ainsi d'un coup de baguette magique. Mais souvent, le raisonnement ne s'arrête pas là. Avec les mêmes milliards de l'évasion fiscale, certains prétendent effacer la dette, y compris celle de la SNCF, arrêter la réduction des budgets de l'État – au contraire, ils augmenteraient, au bénéfice de l'école, de l'université, des transports, de la transition énergétique, du logement, de la formation, de la justice, des prisons, de la police ou de la gendarmerie. Et puis, sur cette lancée, le problème de retraites serait résolu ; mieux encore, on reviendrait à la retraite à soixante ans, on aurait de l'argent pour la famille, l'hôpital, les EHPAD – les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Et nous voilà avec une dépense potentielle supplémentaire entre 120 milliards et 150 milliards par an, un montant du même ordre, somme toute, que les 100 milliards prévus par le nouveau gouvernement italien. Or même les 60 milliards d'euros sont loin d'être acquis. L'OCDE estime le montant de l'optimisation fiscale agressive dans le monde entre 100 milliards et 240 milliards de dollars. La part de la France ne peut pas être de 60 milliards, encore moins 80 milliards, et il faudra des années pour en récupérer une partie.

En conclusion, je formulerai deux remarques. D'abord, tirons le meilleur parti de BEPS en ramenant les multinationales vers le civisme fiscal et continuons à travailler à la mise en place d'une fiscalité qui repose sur l'activité réelle dans chaque pays – c'est le projet ACCIS, d'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés, sujet politique majeur. Ensuite, ne nous réfugions pas derrière le mythe d'une manne financière qui nous dispenserait des réformes de structure dont nos pays ont besoin. C'est notre responsabilité de le rappeler et de ne pas laisser prospérer des rêves qui finissent en cauchemars.

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