Intervention de Sandrine Gaudin

Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 14h35
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes :

L'entrée est toujours possible après la sortie, mais il faut d'abord sortir pour rentrer, et cette nouvelle adhésion serait soumise aux règles communes du processus d'adhésion à l'Union européenne : l'article 50 du traité le dit d'ailleurs clairement. Sans doute celle-ci pourrait-elle être examinée avec la plus grande bienveillance, mais il y aurait à nouveau une négociation. Vous avez raison, il ne faut rien exclure, je crois, avec nos amis britanniques, mais, pour l'heure, nous travaillons à leur sortie, et c'est suffisamment complexe.

Le 30 mars prochain, dans moins d'un an, le Royaume-Uni devient un pays tiers au sens du Traité. À ce titre, il peut potentiellement bénéficier de toutes les dispositions, des statuts prévus par le traité au profit des pays tiers. On pourrait considérer que la situation est assez simple : d'abord, imaginer l'extinction des droits et des obligations de la qualité d'État membre du Royaume-Uni, ce qu'on appelle la sortie ordonnée, grâce à un accord de retrait. C'est ce que nous sommes en train de faire. Ensuite, en ce qui concerne la relation future, on peut penser que tous les instruments juridiques et processus de coopération envisagés par le traité et ouverts aux pays tiers pourraient sans doute aisément s'appliquer au Royaume-Uni.

Nous menons donc en ce moment deux choses de front : l'accord de retrait et la définition du cadre des relations futures. C'est d'ailleurs pour cela que la négociation est compliquée, car malgré le souhait qu'avaient exprimé les Vingt-Sept de travailler d'abord sur l'accord de retrait puis sur les relations futures, ce séquençage est mis à mal par les Britanniques qui ont toujours trouvé quelque intérêt à mélanger les deux problématiques, pourtant tout à fait distinctes. L'accord de retrait est un accord international, prévu par le traité, pour « régler les conditions du divorce » : parmi ces questions, on compte le règlement financier ; le statut des citoyens de l'Union européenne présents au Royaume-Uni ; et un certain nombre de problématiques liées à des coopérations en cours et qui vont s'interrompre.

L'accord de retrait, selon les termes de l'article 50, doit tenir compte du cadre des relations futures de l'État « sortant » avec l'Union. L'accord de retrait prévoira également un dispositif particulier pour l'Irlande du Nord, mais j'y reviendrai parce que c'est aujourd'hui le coeur du problème de la finalisation de l'accord de retrait.

Nous consacrons toute notre énergie à l'accord de retrait parce qu'il n'y a pas de relation future s'il n'y a pas d'accord de retrait. De même, l'actuel chapitre sur la période de transition du projet d'accord de retrait ne s'appliquera jamais s'il n'y a pas d'accord de retrait. Il est donc crucial de se focaliser sur la finalisation de cet accord en vue du Conseil européen de la semaine prochaine – mais nous sommes très loin d'avoir abouti – ou, en tout état de cause, du Conseil européen du mois d'octobre prochain, date ultime à laquelle nous devons finaliser cet accord de retrait, la période suivante devant être consacrée au processus de ratification et par le Parlement britannique et par le Parlement européen.

Aujourd'hui, nous sommes loin d'avoir abouti. Il y a eu une phase d'accélération de la négociation aux Conseils européens de décembre et de mars, mais, aujourd'hui, ce n'est absolument pas le cas. La perspective du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains n'a pas entraîné la dynamique précédemment constatée. Nous le regrettons car cela implique un grand nombre de sujets latents que nous allons devoir conclure d'ici octobre

Je ne reviens pas sur la manière dont nous sommes organisés. Michel Barnier est le pilote de cette discussion de cette négociation, entouré d'une petite équipe. Il s'est adjoint récemment une équipe de fonctionnaires de la Commission qui travaille en parallèle sur la « preparedness » – « préparation » est le terme pudique – d'une sortie du Royaume-Uni sans accord. Cette petite équipe monte en puissance, et sera sans doute amenée à être un peu plus visible pour montrer que nous nous préparons à toutes les options. Je pense que c'est absolument impératif.

Nous-mêmes, au SGAE, consacrons toute notre énergie à la préparation des réunions de négociation pour lesquelles la task force de Michel Barnier sollicite notre avis. Nous préparons les séminaires de travail que la task force organise, thématique par thématique. Et, depuis quelques mois, nous avons intensifié notre préparation à la sortie sans accord. Il s'agit de ne pas nous retrouver démunis, « au cas où », et c'est la demande ferme du Premier ministre. Ce travail sur les conséquences d'une sortie sans accord, qui nous l'espérons, sera inutile, nous permet cependant de réfléchir en profondeur aux différentes thématiques et aux impacts sectoriels du Brexit.

Encore un mot sur la méthode qui, jusqu'à présent, fonctionne plutôt bien. La négociation menée par Michel Barnier est totalement transparente. Tous les documents échangés entre le Royaume-Uni et la task force, les supports graphiques de travail – sur Galileo, sur la future relation publique, etc. – sont publics. Au départ, cette démarche inédite nous impressionnait un petit peu, mais nous nous apercevons que tout cela se déroule de façon très saine. Cela permet une fluidité et évite toute asymétrie dans l'information des Vingt-Sept. Tous sont traités de la même manière. Cette publicité et le reporting permanent et complet de Michel Barnier et son équipe devant les Vingt-Sept contribuent à préserver notre unité. C'est évidemment fondamental. Il y a bien entendu des débats entre nous, mais il n'y a aucune forme de division : aucun des Vingt-Sept ne se désolidarise de ce qui est fait par Michel Barnier, et ce malgré les approches répétées des autorités britanniques auprès de tel ou tel État membre afin d'intercéder en leur faveur, pour essayer de « pousser » leur point de vue. Pour l'instant, nous tenons bon et cette unité des Vingt-Sept, qui a fait la réussite des négociations jusqu'à maintenant, doit absolument perdurer.

Les Britanniques sont des négociateurs d'une remarquable efficacité mais, comme vous le savez, ils évoluent dans un contexte politique d'une grande confusion. Jusqu'à maintenant, on constate qu'ils ont publié énormément de papiers, mais dans des termes peu précis. Par exemple, nous venons de recevoir un document sur un possible modèle d'union douanière qui pose un grand nombre de questions, sans apporter de réponse à la problématique de départ, celle de la frontière de l'Irlande du Nord. On nous promet un « livre blanc » du Gouvernement britannique sur sa vision des relations futures en juillet. Je m'attends à un document un peu foisonnant qui, comme les premiers documents publiés au mois d'août dernier, ne s'attaque jamais vraiment aux questions de fond, un document qui contribue à disperser aussi un peu les débats. Cette méthode témoigne aussi d'une difficulté, au niveau interne, à arrêter une ligne claire – nous savons que les opinions sont très divergentes entre les ministres de Theresa May.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Qu'est-ce qui est acquis ? À la fois rien et un certain nombre de choses. Rien n'est acquis, parce que tant que nous ne sommes pas d'accord sur tout il n'y a d'accord sur rien.

Nous nous sommes cependant mis d'accord sur le règlement financier de la séparation, en fixant la méthodologie du calcul de la facture. Cette facture qu'ils devront payer, dont ils ne parlent plus beaucoup dans le débat politique interne, serait d'un montant compris entre 50 et 60 milliards d'euros, étalé sur près de trente ou quarante ans, avec tous leurs engagements et le passif. Nous les avons laissés entièrement autonomes et souverains pour communiquer sur la question.

Les droits des citoyens sont un deuxième chapitre de l'accord de retrait sur lequel nous sommes parvenus à un accord De notre point de vue, comme tout compromis, celui-ci présente ses avantages et ses inconvénients. Il préserve les droits acquis des citoyens européens au Royaume-Uni et leur donne une garantie juridique avec une compétence partielle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pendant huit ans.

La question irlandaise est un troisième sujet, sur lequel il n'y a eu d'accord ni au mois de décembre ni au mois de mars. Il n'y en aura vraisemblablement pas au Conseil européen de ce mois de juin, mais il nous en faut un au mois d'octobre.

En l'absence de solutions proposées par le Royaume-Uni, l'Union européenne a élaboré un modèle de dernier recours, dit backstop, spécifique à l'Irlande du Nord.

Nous proposons le maintien dans l'Union Douanière de cette partie du territoire du Royaume-Uni et un alignement réglementaire partiel de l'Irlande du Nord sur les règles du marché intérieur, afin d'éviter la mise en place d'une frontière physique et de préserver toutes les formes actuelles de coopération, issues des accords de paix, entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord. Ces coopérations relèvent en fait de nombreux domaines du marché intérieur et de l'Union Douanière. C'est pourquoi la solution que l'Union européenne propose, qui est une concession aux règles du marché intérieur et de l'Union Douanière, est calibrée pour l'Irlande du Nord seule et non pour l'ensemble du Royaume-Uni. Pour l'heure, cette solution n'est pas acceptée par le Royaume-Uni.

Nous sommes également parvenus à un accord sur la période de transition. Le Royaume-Uni serait maintenu dans tous ses droits et obligations jusqu'au 31 décembre 2020, sauf celui de participer à la prise de décision. Ainsi, il restera jusqu'à cette date dans le marché intérieur et mettra en oeuvre absolument toutes les décisions, toutes les nouvelles directives ou nouveaux règlements qui pourraient s'appliquer ; bref, il sera rule taker. La période de transition est utile, car elle donne une visibilité au-delà de la date fatidique de la sortie. Les opérateurs économiques, les entreprises, tous les acteurs auront un peu plus de temps pour se préparer. Surtout, nous aurons le temps, pendant cette période, de négocier les accords identifiés dans le cadre de la relation future, ce qui est absolument indispensable.

En se montrant capable de proposer et de négocier cette période de transition, l'Union européenne a donné une dynamique à la discussion. Même si nous avons perdu, en s'accordant en mars dernier sur les conditions de la transition, un certain levier sur les Britanniques, il fallait aussi, quelque part, donner le signal que la démarche de l'Union européenne ne se limitait pas à l'affirmation des grands principes de la négociation : l'intégrité des politiques de l'Union, l'autonomie décisionnelle… La position de l'Union pouvait donner l'image d'une certaine forme de rigidité et les Britanniques étaient très habiles pour le démontrer, notamment dans la presse. L'Union européenne voulait donc aussi donner le sentiment qu'elle était capable d'apporter des solutions pratiques : c'est aussi le cas aujourd'hui avec le backstop. La négociation de la période de transition montrait une ouverture et une souplesse. Les Britanniques ne sont pas devenus ni ne seront jamais nos ennemis. Si une certaine tension dans la discussion a pu susciter certaines idées, il fallait absolument y remédier.

Outre l'Irlande du Nord, les questions majeures qu'il faut encore régler dans l'accord de retrait sont les questions de gouvernance. Comment imaginer la mise en oeuvre de l'accord de retrait ? La CJUE sera-t-elle pleinement compétente pour appliquer cet accord qui porte sur du droit de l'Union européenne ou bien, comme le souhaitent évidemment les Britanniques, une autre forme de mécanisme de règlement des différends s'appliquera-t-elle ? Quelles instances de dialogue seront mises en place entre l'Union européenne et le Royaume-Uni pour faire vivre cet accord de retrait ? Celui-ci devra vivre un très grand nombre d'années, notamment le temps de mettre en oeuvre le règlement financier, qui court sur une quarantaine d'années. À ce stade, nous ne constatons aucun progrès sur ces questions.

En revanche, nous avons progressé sur des chapitres qui ne sont pas marginaux. Par exemple, nous avons progressé sur un certain nombre de points liés à la coopération en matière judiciaire : que fait-on du stock d'affaires en cours ? Nous avons progressé sur les questions de marchés publics et sur Euratom, en matière de traitement et de circulation des matières fissiles. Ces questions sont majeures.

Nous n'avons pas encore de solution en matière de protection des données. Dans le cadre de la coopération policière et judiciaire avec le Royaume-Uni, nous avons échangé et nous continuerons à échanger jusqu'à la date de la sortie un très grand nombre de données à caractère personnel. Quel sera donc le régime ces données ? Il n'est pas question qu'elles puissent être transmises à un pays tiers sans notre accord. Il nous faut donc nous accorder sur le traitement de ces données personnelles, et les discussions sont compliquées.

La protection des indications géographiques est toujours importante pour nous dans les accords. Ce sera une question à envisager dans la relation future, mais il faut aussi l'envisager dans le cadre du retrait. Pour l'instant, la négociation n'a pas abouti.

Je reviens un instant sur la question nord-irlandaise. Comme je le disais, le Royaume-Uni nous a exposé, il y a quelques jours, dans un papier un peu compliqué, sa conception de la solution du backstop que nous envisageons pour l'Irlande du Nord : les autorités britanniques proposent une union douanière temporaire et spécifique, dérogatoire, pour l'ensemble du Royaume-Uni et une certaine forme d'alignement réglementaire qui n'est pour l'instant pas défini. Le tout s'appliquerait pour un temps qui excéderait la période de transition : jusqu'en 2021.

Nous imaginons mal appliquer à l'ensemble du Royaume-Uni une solution que nous envisagions pour la seule Irlande du Nord. Cela ne nous paraît pas acceptable.

Tout d'abord, cette proposition ne résout pas la question irlandaise : d'une part, en ne s'attaquant pas à l'aspect réglementaire, elle ne règle pas la question des contrôles. Le caractère « temporaire » de la solution proposée par les Britanniques ne constitue pas, en outre, une réponse acceptable à la problématique de la frontière.

Surtout, cette solution contrevient à tous nos principes. Cela s'appelle du cherry picking : un peu d'union douanière, une peu de marché intérieur, une velléité de garder une autonomie en matière commerciale,… La solution britannique montre un système assez confus qui leur serait évidemment extrêmement favorable, mais c'est une solution qui n'en est pas une et ne résout pas le sujet posé.

Les discussions sont donc bloquées. Nous essayons quand même, pendant ce temps de blocage, de travailler sur d'autres sujets. Par exemple, nous travaillons sur la future coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures qui préoccupe beaucoup les Britanniques – ce qu'ils appellent la question de la sécurité, au sens large. On peut être un peu surpris par les demandes du Royaume-Uni de bénéficier d'un statut de pays tiers « plus », alors même qu'ils ont aujourd'hui un grand nombre d'opt-out en matière JAI. Nous avons, en matière de coopération policière et judiciaire, des agences – Europol, Eurojust – et des instruments – les bases de données Eurodac, les bases « Prüm », le Système d'information Schengen II (SIS II) – dont certains sont déjà ouverts à une coopération avec les pays tiers. Pour ces instruments déjà ouverts, il n'y a aucune raison de ne pas l'accorder aux Britanniques . Nous essayons de regarder les choses avec sang-froid car il est sans doute de notre intérêt de continuer à travailler avec nos amis anglais en matière de lutte contre le terrorisme, car nous avons une frontière commune à garder. Mais nous demandons que ce soit dans le cadre d'un accord Union européenne-Grande-Bretagne, négocié, avec dans ce cas des contreparties pour le « plus ».

J'insiste sur cette idée de négociation, car les Britanniques multiplient les demandes mais refusent sans ménagement les nôtres, comme celle de garder un accès aux eaux territoriales en matière de pêche. Il ne s'agit pas d'échanger la pêche contre la coopération policière, et nous avons d'ailleurs assuré le traitement des questions relatives à la pêche dans le cadre de la future relation commerciale économique. Cet exemple démontre cependant que, sur l'un comme sur l'autre sujet, les demandes devront être considérées des deux côtés.

Galileo est représentatif de la problématique d'un instrument ouvert à des pays tiers, et il n'y a donc aucune raison, là non plus, de ne pas considérer les demandes du Royaume-Uni de pouvoir bénéficier des services de ce programme. En revanche, certaines fonctionnalités du programme ne sont pas ouvertes aux États tiers car elles relèvent de l'autonomie stratégique de l'Union en matière de sécurité et de défense ; nous ne prévoyons pas de changer de doctrine sur le sujet. Galileo est un programme qui cherche à renforcer la souveraineté de l'Union européenne en matière de recherche-développement dans le domaine de la géolocalisation. C'est, comme on dit, un programme de souveraineté. Son ouverture à des pays tiers est déjà une forme de générosité. Si nous devions l'ouvrir dans ses parties les plus sensibles à tous les pays tiers, notamment les Américains, nous perdrions la notion même de programme de souveraineté européen. Cela dit, le Royaume-Uni, après sa sortie, continuera de bénéficier de différents services de Galileo, et notamment de l'intégralité du signal dans sa version civile ; s'il demande à continuer de bénéficier de l'accès au signal militaire cela sera possible et cela devra aussi faire l'objet d'accords spécifiques.

Les Anglais ont tendance à considérer les Français comme les plus « durs » dans la négociation, alors qu'il y a vingt-sept États autour de la table soucieux de défendre les intérêts de l'Union ; par exemple, nous apprenons, notamment par voie de presse, que l'Union européenne, et particulièrement les Français refusent l'accès à Galileo, refusent la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, comme si nous n'accordions pas d'importance à ce sujet majeur pour nous... Ce sont des rumeurs infondées, et cela nécessite de la part de tous, et de vous en particulier, une attention toute particulière pour distinguer ce qui est possible et ne l'est pas en matière d'accords avec les pays tiers.

S'agissant de la préparation à un scénario de no deal, à une sortie sans accord de retrait et a fortiori sans accord sur la relation future, le Premier ministre a demandé à chaque ministre de préparer un plan de contingence. Le no deal serait le pire de tous les scenarios, mais nous devons préparer cette hypothèse.

Nous conduisons également un travail dédié en direction des acteurs économiques. Il y aura un grand plan de communication en direction du public et des entreprises pour donner de la visibilité et rassurer tout le monde.

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