Intervention de Barbara Pompili

Réunion du jeudi 28 juin 2018 à 9h30
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili, rapporteure :

Monsieur le président, je vous remercie pour le travail que vous avez accompli et pour la qualité des relations qui nous ont permis d'avancer dans de bonnes conditions.

En 2018, la France est le premier pays au monde en nombre de réacteurs nucléaires en exploitation par habitant, soit cinquante-huit réacteurs pour 67 millions de Français. Ces réacteurs sont implantés au sein de dix-neuf centrales nucléaires. Ensemble, ils produisent environ 75 % de l'électricité totale fabriquée en France.

Dans un contexte marqué par l'accident de Fukushima, survenu dans un pays où règne la culture de la précaution, et par la recrudescence du terrorisme, notre commission d'enquête, créée le 31 janvier 2018, a souhaité travailler sur les problématiques de sûreté et de sécurité sans tomber, ce qui n'est pas simple, dans un débat pour ou contre le nucléaire, écueil qu'elle me semble avoir évité.

La première partie du rapport, intitulée « Une sûreté renouvelée après Fukushima », revient sur la manière dont la question de la sûreté nucléaire a été renouvelée après l'accident de Fukushima, survenu en mars 2011. Cet accident a, en effet, démontré qu'une sûreté absolue n'est jamais acquise, y compris dans les pays maîtrisant le mieux l'énergie nucléaire. Alors que certains événements semblaient impossibles, il est apparu, par la suite, indispensable de concevoir l'inconcevable.

À la suite de ces événements, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a imposé des exigences nouvelles, Des moyens mobiles facilitant l'intervention en cas de situation extrême, comme la fameuse force d'action rapide nucléaire (FARN), ont été organisés, et des diesels d'ultime secours ont été mis en place – cette mise en place se termine. Au-delà, beaucoup d'autres mesures ont été décidées.

Toutefois, la commission d'enquête relève que des failles demeurent.

Ces inquiétudes concernent en premier lieu le facteur humain et, notamment, celui de la sous-traitance qui a pris une place considérable dans l'industrie nucléaire. 80 % des tâches, aussi bien en « arrêt de tranches » qu'en « fonctionnement courant » sont désormais confiées à des entreprises sous-traitantes. Malgré sa limitation théorique à deux niveaux, depuis un décret de 2016, nos auditions ont permis d'identifier un certain nombre de risques.

Ainsi, le recours massif à la sous-traitance entraîne une perte de compétence des exploitants, leur dépendance par rapport aux entreprises prestataires, et une dilution des responsabilités.

Des irrégularités ont également été identifiées. Plusieurs sociétés ont été condamnées pour travail dissimulé sur le chantier de l'EPR de Flamanville, des salariés polonais ayant été employés en marge de la légalité. Par ailleurs, des cas de soudeurs travaillant avec une fausse habilitation ont également été signalés.

En outre, la pression en matière de délais et de coûts, ainsi que la recherche du moins-disant économique semblent se faire au détriment de la sûreté. Enfin, alors même que les exploitants seraient désormais essentiellement chargés de surveiller les prestataires, cette surveillance apparaît lacunaire.

Un autre point inquiète : la sous-traitance présente un risque en matière de santé pour les salariés des sous-traitants, eux-mêmes plus exposés que les employés des exploitants aux rayonnements ionisants, et bénéficiant d'un suivi médical moindre que celui des salariés « statutaires ».

La commission d'enquête préconise donc de favoriser la réintégration des compétences au sein des exploitants et de définir, par le biais d'une convention collective, un statut commun à l'ensemble des salariés des entreprises prestataires travaillant dans le nucléaire.

La question se pose également du rôle qu'auraient à jouer les sous-traitants en cas d'accident nucléaire. L'ancien directeur de la centrale de Fukushima a raconté que, lors de l'accident, les sous-traitants étaient partis très rapidement, car ils considéraient que la tournure prise par les événements n'était pas prévue par leur contrat, ce qui l'avait gêné dans ses tentatives pour stabiliser la situation. Que se passerait-il en France, en cas d'accident, si les sous-traitants faisaient jouer leur droit de retrait, arguant du fait que les accidents ne sont pas prévus par les contrats ? De nombreux observateurs doutent qu'EDF puissent alors agir avec ses seuls personnels, en particulier si l'on tient compte des pertes de compétence.

Les inquiétudes concernent, en second lieu, la rigueur technique avec laquelle les réacteurs sont exploités. En effet, alors même que la sûreté des installations nucléaires dépend de la capacité des équipements qui les composent à respecter un référentiel précis, et des exigences et standards préalablement définis, nombreuses sont les non-conformités de conception, de construction, d'exploitation ou liées à la maintenance, qui apparaissent au fil des années. Ces non-conformités sont parfois dites « génériques » lorsqu'elles concernent tous les réacteurs conçus sur le même modèle.

La commission d'enquête a également été frappée par l'utilisation extensive du principe dérogatoire de « l'exclusion de rupture » qui exclut, par principe, la possibilité de rupture d'une pièce. Ce principe, à l'origine limité aux pièces essentielles, comme la cuve, s'étend désormais à beaucoup d'autres domaines, ce qui est « pratique », car cela évite de prévoir des procédures de secours, certains types d'accident étant réputés impossibles.

Évidemment, la contrepartie de ce principe d'exclusion de rupture est la fabrication de pièces irréprochables. Toutefois, il a été mis en évidence que certaines pièces, comme la cuve de l'EPR de Flamanville, pourtant placées sous le dogme de l'impossibilité de rupture, n'avaient pas été usinées de manière correcte. Des fraudes ont même été découvertes. Cela a pu être perçu par la commission d'enquête comme une sorte de « laisser-aller » dans un domaine où aucune forme de négligence ne devrait avoir sa place.

C'est d'ailleurs pendant les travaux de notre commission d'enquête que les défauts affectant 35 % des soudures du circuit secondaire de l'EPR en construction à Flamanville ont été révélés. Ce nouvel incident interroge quant à la qualité de la relation entre l'électricien et ses prestataires, ainsi que s'agissant du contrôle exercé, en amont en tout cas.

La chute du générateur de vapeur de la centrale de Paluel est également révélatrice de problèmes de surveillance des installations et de coopération entre exploitants et sous-traitants, tout en démontrant les limites du principe d'« exclusion de rupture » qui s'étendait à ce cas. La commission d'enquête préconise de réduire l'application de ce principe au strict minimum.

Face aux nombreuses non-conformités identifiées dans le parc de réacteurs d'EDF, les exploitants, en accord avec l'autorité de surveillance, ont élaboré la notion de « risque acceptable » qui supplante désormais celle de sécurité absolue.

Une autre menace pour la sûreté est constituée par le vieillissement des installations nucléaires françaises. La corrosion, l'altération de certaines pièces ou tuyauteries, dites « vieillissement diffus », ainsi que le vieillissement des équipements non remplaçables interrogent la commission d'enquête sur la pertinence de la prolongation de la durée d'exploitation de certaines centrales, tant en termes de sûreté et de sécurité qu'en termes économiques.

Dans le respect des objectifs de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, et en vue de la fin de vie d'un grand nombre de centrales dans les deux décennies à venir, la commission d'enquête préconise d'établir un calendrier de fermeture des réacteurs en fonction de critères de sûreté et de sécurité, qui doivent être les critères absolus. Ce calendrier tiendra compte, réacteur par réacteur, de la mise en oeuvre des mesures de sûreté dites « post-Fukushima ».

La commission d'enquête s'interroge également sur la faible prise en compte, par les exploitants comme les autorités de contrôle, des effets du changement climatique sur la sûreté des centrales. Ce changement pourra, notamment, affecter l'approvisionnement en eau de refroidissement, tant en raison de la baisse du niveau des fleuves et rivières et que du réchauffement de leurs eaux. Ces questions semblent aujourd'hui trop peu prises en compte, même si l'ASN nous a transmis, lors de l'une des auditions, une liste des centrales qui paraissaient les plus fragiles à cet égard.

La commission d'enquête recommande que le calendrier de fermeture des réacteurs tienne compte des risques liés au changement climatique. Elle préconise également de demander aux exploitants d'apporter la preuve que leurs réacteurs sont en mesure de résister à tout aléa climatique combinant plusieurs facteurs – canicule, sécheresse… – et affectant plusieurs centrales simultanément.

La deuxième partie du rapport consacrée à l'émergence du risque sécuritaire, aborde plus directement la question de la sécurité qui se pose aujourd'hui d'une manière accrue. Les installations et activités nucléaires françaises sont confrontées à des risques nouveaux, y compris de nature terroriste.

Plusieurs risques ont été identifiés : la chute d'un avion ou l'incursion de drones, la menace endogène que constitue le risque de sabotage interne, la menace externe que constituent les intrusions et, enfin, la menace informatique.

Les auditions menées par la commission d'enquête ont permis d'établir l'existence de failles qui appellent à la vigilance.

Le secteur du nucléaire semble régi par un écosystème de responsabilités complexe, permettant difficilement d'identifier l'autorité prescriptrice en matière de sécurité, puisqu'il faut faire le partage entre les ministères de tutelle, le secrétariat général à la défense et à la sécurité nationales, les hauts fonctionnaires de défense, la police, la gendarmerie, l'armée… Il semble nécessaire, au moins en matière de sécurité passive, de confier des compétences à un organisme identifié ayant déjà une autorité sur le secteur.

C'est pourquoi la commission préconise de doter l'ASN de compétences en matière de sécurité passive – compétences que la plupart des homologues de cette autorité possèdent déjà à l'étranger.

Les installations nucléaires françaises n'ont pas été conçues pour résister à une agression terroriste. Cette faille originelle a conduit la commission d'enquête à poser un certain nombre de questions concrètes, sans pour autant toujours obtenir de réponses précises.

Ainsi, la question de la résistance des piscines à une chute d'avion ou à la projection d'un explosif a été posée à de nombreuses reprises. Le « secret défense » a été presque systématiquement opposé aux membres de notre commission, tant par les pouvoirs publics que par le principal exploitant d'installations nucléaires, EDF.

Cette opacité ne permet pas de se faire une idée précise de la résistance des installations nucléaires et le propos qui consiste à demander à la représentation nationale de « faire confiance », est difficilement acceptable.

Dans ce contexte, la mise en libre disposition sur internet de photos aériennes très précises des réacteurs français interroge. Contactés, les responsables de Google France ont admis la nécessité de dissimuler les contours trop précis de ce genre d'installations ; ils ont commencé à le faire, ce qui est à mettre au crédit notre commission d'enquête. Cette dernière ne saurait toutefois s'en contenter, et elle propose de faire évoluer le cadre juridique pour rendre ce floutage obligatoire et permanent.

L'une des autres grandes vulnérabilités du système français réside dans la question des transports des matières radioactives. En effet, ceux-ci sont très nombreux et semblent vulnérables aux risques d'agressions externes, en raison de leur caractère routinier et prévisible. Les transports de plutonium semblent être les plus dangereux.

La commission d'enquête préconise de réduire la prévisibilité des transports de matières radioactives en rendant plus aléatoires les dates et horaires de départ et les itinéraires lorsque cela est possible.

Par ailleurs, le risque interne n'est pas non plus entièrement maîtrisé. Ainsi, aujourd'hui, le commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (COSSEN) n'est pas en mesure de contrôler les antécédents des salariés étrangers, pourtant nombreux sur les sites nucléaires, en particulier du fait de la sous-traitance.

L'absence de suivi psychiatrique pose également question, dans la mesure où elle fait courir le risque de ne pas détecter de modification du comportement d'un salarié, pouvant conduire à un éventuel « syndrome Germanwings » – comme ce pilote ayant précipité au sol, en 2015, un avion de sa compagnie.

Enfin, une inquiétude résulte de la situation financière actuelle de l'industrie nucléaire française. En effet, l'ensemble des mesures liées à la sécurité des installations nucléaires représentent un coût important, dont on peut se demander si les exploitants sont réellement en mesure de l'assumer. Leurs difficultés financières pourraient conduire à altérer le niveau de sécurité de leurs installations.

La troisième partie du rapport est consacrée à la gestion des déchets. La gestion de l'aval du cycle soulève d'importantes questions de sûreté et de sécurité, que ce soit à court terme, s'agissant du refroidissement du combustible usé que l'on retire du réacteur, ou à très long terme car, pour certains déchets, la décroissance de la radioactivité s'effectue sur plusieurs centaines de milliers d'années.

Les déchets les plus « encombrants », car les plus radioactifs, sont les combustibles usés qu'il est nécessaire de sortir à intervalle régulier du réacteur. Après un premier refroidissement de quelques années dans une piscine située à proximité de ce dernier, les exploitants ont le choix entre un refroidissement qui peut se poursuivre dans un autre bassin – à l'heure actuelle, principalement à l'usine Orano de La Hague en vue du retraitement – ou qui pourrait aussi être assuré par un entreposage à sec.

EDF a fait le choix, pour ses combustibles français, d'un entreposage en piscine. Ce choix historique est lié à la mise en place, dans notre pays, d'une filière de retraitement des combustibles irradiés, depuis une quarantaine d'années. Lorsque le cycle du retraitement a été instauré dans les années 1970-1980, le refroidissement à sec n'était techniquement pas aussi avancé que maintenant.

Ainsi, les piscines de La Hague constituent le principal lieu d'entreposage des combustibles usés. Plus de 10 000 tonnes de combustibles usés y sont entreposées, soit l'équivalent de plus de cent dix coeurs de réacteurs, dans quatre piscines. Les combustibles qui ont vocation à être retraités restent en piscine une dizaine d'années. Les autres y sont entreposés de manière plus pérenne. Aussi, le remplissage des piscines de La Hague est-il progressif, ce qui conduira à une saturation à l'horizon 2030.

En conséquence, EDF travaille au projet d'une nouvelle piscine d'entreposage, qui serait centralisée et fortifiée. Seraient stockés dans cette piscine les assemblages MOx usés ainsi que les assemblages d'uranium de retraitement enrichi usés. Ces capacités permettraient d'entreposer ces matières jusqu'à leur réutilisation dans de futurs réacteurs de quatrième génération, encore hypothétiques, ou bien, si cette option industrielle n'est pas confirmée, jusqu'à leur stockage définitif à Bure, dans le cadre du projet Cigéo.

Procédure peu utilisée, notre commission d'enquête a demandé à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) de réaliser une étude sur les avantages et inconvénients respectifs des deux modes d'entreposage, à sec et en piscine. S'appuyant sur cette étude et sur les éléments apportés au cours des auditions, la commission estime que la possibilité d'un entreposage à sec doit être approfondie.

Ce procédé présente un certain nombre d'avantages.

Il garantit une plus grande sûreté, l'entreposage à sec est un dispositif « passif », qui ne dépend pas d'une alimentation en eau froide ou en électricité, alors que les piscines sont exposées, malgré toutes les précautions prises, au risque de dénoyage.

Il apporte une plus grande sécurité. La matière radioactive n'est pas concentrée comme en piscine et les conteneurs présentent une grande résistance. A contrario, la vulnérabilité des parois des piscines est souvent dénoncée, mais aucune preuve n'a pu être apportée dans un sens ou dans l'autre puisque nous n'avons pas eu accès aux éléments d'information sur le sujet.

Il fait appel à une maîtrise technique déjà acquise, notamment par des opérateurs français. Ainsi, Orano vend aux États-Unis un procédé de stockage conçu à partir de conteneurs placés dans des alvéoles de béton.

Il s'agit enfin d'une solution adoptée par la plupart des pays, dont le coût est possiblement moins élevé.

La commission d'enquête préconise d'envisager, chaque fois que possible, le refroidissement à sec des combustibles usagés.

Elle recommande de réaliser une étude prenant en considération la possibilité de désengorger les piscines de La Hague par l'entreposage à sec, avant qu'une décision définitive soit prise au sujet du projet de piscine centralisée.

Prendre en considération cette hypothèse amène à se pencher sur la filière du retraitement qui constitue une exception française et contribue à l'accroissement des risques en matière de sûreté et de sécurité, en raison de la concentration des combustibles usés à La Hague, pour une pertinence économique qui peut être revue.

Ce retraitement conduit à une multiplication des transports de matières radioactives, aussi bien sur le sol national – des centrales à La Hague, puis de La Hague à Pierrelatte ou Marcoule – que sur le plan international. En effet, après dix ans d'interruption, EDF enverra de nouveau des centaines de tonnes d'uranium en Sibérie tous les ans pour qu'elles y soient retraitées après un périple de plus de 7 000 kilomètres en camion, bateau et train.

Par ailleurs, l'innocuité du retraitement en matière de rejets radioactifs n'est pas prouvée. Des incertitudes pèsent sur la disponibilité à long terme des réacteurs utilisant le MOx, et sur l'avènement d'une quatrième génération de réacteurs susceptible d'être alimentée en MOx et en uranium de retraitement enrichi (URE). Par conséquent, il n'est pas invraisemblable que les stocks de MOx qui s'accumulent à La Hague soient un jour classés comme des déchets au passif du bilan, et non plus comme des combustibles, à l'actif.

La gestion sur le long terme des déchets les plus radioactifs interroge également en termes de danger. La France a fait le choix de privilégier l'enfouissement en couches géologiques profondes. Le principal argument à l'appui de cette solution est qu'à l'échelle de plusieurs centaines de milliers d'années, aucune prévision ne peut être faite quant à la continuité de notre société et que seul le temps géologique offre des points de référence.

En matière de sûreté, malgré une appréciation positive de l'ASN et l'IRSN, le projet Cigéo comporte encore des incertitudes, notamment sur sa réversibilité qui ne semble possible que lors des toutes premières décennies de l'exploitation.

Or, la loi du 25 juillet 2016 prévoit qu'il doit être possible, pendant cent ans, de retirer les colis entreposés pour privilégier une autre forme de stockage. Les conditions techniques de cette réversibilité ne nous paraissent pas établies. Elles devront faire l'objet d'une vigilance toute particulière.

Si le stockage en couche géologique profonde apparaît comme la moins mauvaise des solutions, la commission d'enquête appelle néanmoins à la poursuite de l'étude de solutions alternatives.

Les réacteurs à l'arrêt, tant qu'ils contiennent des éléments radioactifs, conservent juridiquement leur statut d'installation nucléaire de base (INB). Ils constituent des sources de danger, même si le risque est moindre que dans une installation en service. En outre, les matériaux radioactifs encore présents dans les centrales à l'arrêt peuvent être convoités par des personnes malintentionnées désireuses de fabriquer une « bombe sale ». Partant de ce constat, la commission d'enquête s'est penchée sur la question essentielle de la filière du démantèlement.

Pour certains réacteurs anciens comme Superphénix et les six réacteurs graphite-gaz, EDF ne possède pas encore la maîtrise technique suffisante. L'achèvement du démantèlement du premier n'interviendrait qu'aux alentours de 2030. Pour les six autres, EDF a décidé de surseoir au démantèlement à l'horizon 2100, en dépit des protestations de l'ASN.

S'agissant des cinquante-huit réacteurs à eau pressurisée, les hypothèses d'EDF apparaissent plus optimistes, tant en matière de faisabilité technique que de coûts. De nombreuses dépenses ne sont toutefois pas prises en compte et le provisionnement rendu obligatoire par la loi du 28 juin 2006 est probablement sous-estimé.

Afin d'améliorer la transparence du démantèlement, la commission d'enquête préconise, d'une part, de contraindre les exploitants à établir un provisionnement pour charges de démantèlement par réacteur, et non un provisionnement national global et, d'autre part, de publier un programme prévisionnel des réacteurs à démanteler avec les coûts et dates estimés.

Le quatrième chapitre vise à améliorer le contrôle démocratique. L'accès des citoyens et des élus à une information claire et fiable en matière de sûreté comme de sécurité est actuellement très imparfait, même si les commissions locales d'information (CLI) peuvent être un outil efficace pour assurer le relais entre opérateurs, services de l'État, experts et citoyens.

L'indépendance de l'ASN est incontestable. Cependant, comme le soulignent plusieurs observateurs, on ne peut faire abstraction de certaines données : les dirigeants des autorités de contrôle et des organismes experts, et ceux des entreprises exploitantes partagent une même formation et sont généralement issus d'un grand corps de l'État, le corps des mines. De plus, les enjeux économiques considérables de certains chantiers constituent en eux-mêmes un élément qui pourrait conduire les instances de contrôle à moduler leurs exigences.

C'est pourquoi la commission d'enquête recommande de favoriser la présence d'experts indépendants au sein d'organismes tels que l'ASN, l'IRSN, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) ou le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), de manière à réduire l'« entre-soi » des techniciens mis en évidence au cours des auditions.

Elle recommande également de rehausser les moyens humains et budgétaires de l'ASN, notamment pour lui permettre de travailler davantage à la détection des pratiques frauduleuses.

Elle invite enfin l'ASN à appliquer avec fermeté les pouvoirs de sanction que lui a donné le législateur et à publier sur son site internet, mais aussi dans son rapport annuel, le calendrier de suivi des prescriptions ainsi que le montant des amendes et astreintes financières prononcées et recouvrées.

Les CLI jouent un rôle important, en particulier dans la mise en oeuvre des plans particuliers d'intervention (PPI) dont le périmètre est actuellement étendu de dix à vingt kilomètres autour des centrales nucléaires – et de deux à cinq kilomètres pour ce qui est du volet « évacuation immédiate ».

Sachant qu'une partie importante de l'information du public du périmètre des centrales passe par les CLI, les ressources budgétaires qui leur sont allouées, ainsi qu'à leur fédération, l'association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) restent faibles : 1 million d'euros auxquels s'ajoutent environ 2 millions provenant des collectivités.

La commission d'enquête estime qu'il conviendrait de renforcer et de pérenniser leurs moyens en leur affectant 1 % du produit de la taxe sur les INB.

Enfin, le contrôle parlementaire en matière de sûreté et de sécurité des installations nucléaires se heurte à la protection du secret de la défense nationale. Dès le début de ses travaux, la commission d'enquête s'est trouvée confrontée à cette difficulté majeure. Dans de nombreux cas, elle a dû se contenter de bonnes paroles, sans qu'aucun élément tangible ne puisse lui être transmis.

Il est donc apparu nécessaire de construire un cadre juridique stable organisant l'accès permanent du Parlement aux données de sécurité et de sûreté et les modalités de son contrôle dans ce domaine.

La commission d'enquête propose de constituer, sur le modèle de la délégation parlementaire au renseignement, une délégation parlementaire au nucléaire civil dont les membres auraient accès ès qualités aux informations classifiées en matière de sécurité et de sûreté.

J'en viens enfin au dernier chapitre du rapport relatif au risque économique et financier.

À l'évidence, la situation économique et financière des exploitants, qu'il s'agisse de l'État, d'établissements publics ou de sociétés anonymes, peut vraisemblablement avoir des incidences sur la qualité de la sécurité et de la sûreté des installations nucléaires dont ils ont la responsabilité.

Les exploitants EDF et Orano sont plongés depuis plus de dix ans dans une longue période de difficultés économiques liées à de multiples accidents industriels et financiers. Le manque de visibilité sur l'avenir de certaines de leurs activités est difficilement soutenable à moyen et long terme. Le poids de la dette pour EDF et les pertes accumulées pour Areva ont contraint l'État à débourser 7,5 milliards de recapitalisation en 2017 : 3 milliards pour EDF, 2,5 milliards pour la nouvelle entité Orano, et 2 milliards pour Areva SA.

Dans ce contexte, une attention particulière doit être accordée aux provisions pour charges de démantèlement et de gestion des combustibles usés et des déchets. Il conviendrait également de prévoir, au-delà du mécanisme d'assurance actuel qui, de fait, laisse la quasi-totalité du risque à la charge de l'État, un provisionnement pour charges en prévision d'un éventuel accident.

C'est pourquoi la commission d'enquête recommande la création d'une commission nationale des provisionnements pour servitudes nucléaires, qui serait chargée, pour chaque exploitant d'INB, de la supervision et du contrôle des trois provisionnements suivants : le provisionnement pour charges de démantèlement, le provisionnement pour charges relatives à la gestion des déchets, et le provisionnement pour charges en prévision d'un éventuel accident.

Elle recommande également d'imposer que les exploitants bloquent les sommes ou actifs en question sur des lignes identifiées de leur trésorerie.

La commission d'enquête a travaillé pendant cinq mois. Elle a organisé quarante-huit réunions dont quarante-trois auditions qui lui ont permis d'entendre quatre-vingt-trois personnes sous serment. Ses travaux se sont globalement tenus dans un état d'esprit constructif, à défaut d'être toujours consensuel.

Elle s'est rendue sur les sites de production d'électricité d'origine nucléaire de Gravelines, Tricastin, et Flamanville, sur le site de retraitement de La Hague, sur les sites d'enfouissement de déchets du Centre de stockage de l'Aube, et du projet Cigéo à Bure, auprès d'autorités comme le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), d'experts comme ceux de l'IRSN, ainsi qu'au Japon.

S'agissant d'un domaine aussi technique que le nucléaire, mais également lourd d'investissements et de conséquences, il est essentiel que la représentation nationale continue de se saisir d'un sujet qui concerne tous les citoyens français.

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