Intervention de Perrine Goulet

Réunion du jeudi 28 juin 2018 à 9h30
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPerrine Goulet :

Ayant participé de manière assidue aux auditions, j'aurais aimé avoir plus de temps pour consulter ce rapport. De plus, les modalités de consultation constituent un handicap dans la mesure où nous ne disposons pas d'un exemplaire que nous pourrions annoter. Toutefois, après une première lecture, j'ai pu me faire un avis.

Madame la rapporteure, monsieur le président je suis gênée par le contenu de ce rapport et je pense qu'il faut que l'on prenne plus de temps pour le revoir ensemble. Ma demande est motivée par plusieurs raisons qui ne sont pas exhaustives puisque je n'ai pas pu travailler sur ce texte dans des conditions optimales.

Plusieurs points me dérangent, notamment l'insertion de faits non vérifiables.

À la page 45, on lit : « Le rapport cite cette phrase à peine croyable d'un salarié d'EDF : "Il n'y a pas besoin de savoir-faire pour surveiller, il suffit de savoir surveiller " ». La surveillance ça s'apprend, il y a des méthodes. Cela peut d'ailleurs être intéressant de ne pas avoir pratiqué pour voir les problèmes de sécurité que pose un geste technique. On sait que pendant une intervention, on prend souvent des raccourcis pour aller plus vite. Je ne vois pas où est le problème.

À la page 47, il est indiqué qu'un agent EDF a demandé à un salarié de sous-traitant d'appuyer moins fort en faisant les frottis pour mesurer le risque alpha sur certains chantiers. Or, le risque alpha a un taux de propagation très limité dans l'air, de l'ordre de deux à cinq centimètres, et il est arrêté par une feuille de papier. Au vu de l'explication, il y a une erreur : c'est le risque beta qui a été mesuré.

Sur certains sujets, nous avons eu des informations contradictoires. Je trouverais logique que les deux avis apparaissent au même endroit.

Concernant les menaces, page 80, on indique la possibilité d'une chute d'avion sans mentionner que des professionnels estiment que ce risque de chute précise est peu probable. Idem pour les drones : il faut ajouter que, selon les professionnels, seule l'armée dispose des matériels pouvant effectuer une attaque de ce type.

À la page 119, on rapporte uniquement les propos d'un journaliste sur le fait qu'EDF ne va pas assez vite en matière de cybersécurité. On n'indique pas, au même endroit, le point de vue du directeur général de l'ANSSI : EDF a pris en compte ces menaces dès 2012 et le groupe se situe parmi les meilleurs en la matière. Il serait intéressant de citer ces avis différents au même endroit, pour une meilleure lecture.

Notre commission doit s'attacher aux faits. Or, le rapport cite des affirmations non vérifiées.

À la page 47, on lit : « L'exploitant pourrait exiger de ses sous-traitants qu'ils publient des résultats erronés, par exemple en diminuant artificiellement les chiffres des doses de radioactivité reçues par des travailleurs. » Comme je l'ai dit lors des derniers débats, chaque intervenant à un film dosimétrique passif, relevé chaque mois par l'IRSN qui comptabilise la dose absorbée. Il n'est donc pas possible de baisser cette dose.

Dans ce rapport, on applique un système de deux poids, deux mesures : on cite textuellement les propos des acteurs plutôt anti-nucléaires alors que l'on demande aux exploitants et aux représentants de l'État de prouver leurs dires.

On prend pour argent comptant tout ce qui vient d'Apteis. Il est gênant que la direction et les syndicats d'EDF et d'Orano n'aient pas été interrogés après l'audition de ce cabinet de conseil. N'oublions pas qu'Apteis a été mandaté par le CHSCT, et que plusieurs entreprises ont estimé que ce cabinet avait rédigé des rapports à charge à la suite de leur audit.

À la page 92, l'intitulé du chapitre « Un dispositif en apparence robuste » laisse penser qu'il y a quelque chose de caché en dessous, alors que tous les témoignages relayés dans ce passage sont positifs.

À la page 101, le rapport remet en cause le résultat des tests effectués par l'armée concernant la sécurité des piscines de refroidissement alors que le groupe Engie, EDF, l'armée et Mme Régine Engström, haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de la transition écologique et solidaire, les estiment concluants.

À la page 171, il est écrit : « Dans de nombreux cas, la commission d'enquête a dû se contenter de bonnes paroles, sans qu'aucun élément tangible (...). » Cette remarque est déplacée : de nombreux points de ce rapport n'ont pas été confirmés par des éléments tangibles.

Je souhaite également que soit clarifié, à la page 124, le titre de l'encadré sur les conclusions du rapport de l'IRSN. Ce qu'on lit ne sont pas les conclusions du rapport de l'IRSN mais celles que tire la rapporteure de la lecture de ce rapport. Il faudrait donc titrer : « Conclusions que tire la rapporteure de la lecture du rapport de l'IRSN ».

Pour rester dans les titres, prenons celui de la page 149 : Un provisionnement controversé et probablement sous-estimé. Dans le paragraphe, on démontre que les provisions sont à la hauteur de ce que demande la loi qui autorise EDF à ne pas provisionner les dépenses de combustibles à hauteur de 12,5 milliards d'euros. Il faut rééquilibrer le titre puisque les provisions répondent aux exigences légales.

Je trouve également anormal que des remarques ponctuent les phrases ou que l'on indique des choses démenties.

Citons quelques exemples de ces remarques : à la page 134 : « le mythe, diront certains » ; à la page 135 « (quoique très hypothétiques) » et « le bilan comptable s'en remettrait il ? » ; à la page 142 « certains responsables – et non des moindres – », en parlant de Nicolas Hulot.

J'en viens aux faits démentis. EDF a indiqué ne pas vouloir se séparer de RTE. Or, il est écrit qu'EDF vendra RTE le moment venu pour trouver du cash. Aucun fait ne corrobore cette affirmation.

À la page 143, on trouve dans un paragraphe un débat philosophique qui n'a pas lieu d'être.

Je ne trouve pas logique de mettre des éléments que nous n'avons pas étudiés ou à propos desquels les enquêtes ne sont pas terminées.

À la page 81, un passage concerne les cadenas volés chez EDF : « Si le contenu des armoires est resté intègre, un tel acte traduit à la fois la présence, au sein de l'entreprise ou de ses sous-traitants, de salariés potentiellement malveillants, mais également leur capacité à agir. » Avez-vous la preuve que ces cadenas ont été volés par des agents d'EDF ?

À la page 49, l'encadré rapporte l'histoire du salarié qui a été découvert, le 18 juin dernier, dans son bureau de la centrale de Paluel où il aurait fait un malaise quatre jours plus tôt. Le rapport en conclut que la sécurité n'est pas bonne. Qu'est ce qui permet de l'affirmer ? Avez-vous eu les éléments d'enquête ?

De nombreuses erreurs ou approximations sont probablement dues à un manque de formation initiale de cette commission et de ses membres.

Le sigle DNP signifie Division production nucléaire et non pas Direction du parc nucléaire. Il n'y a pas de murs d'enceinte sur les sites, ce sont des grillages.

À la page 100 il est indiqué : « Les piscines d'entreposage – à distinguer des piscines de désactivation, logées au sein des bâtiments réacteurs… » Il n'y a pas de piscines de désactivation dans les bâtiments réacteurs. La seule piscine qui entrepose et désactive les éléments se trouve dans le bâtiment combustibles, à l'extérieur du bâtiment réacteur.

À la page 95, il est indiqué que l'on n'a pas eu accès au DNS mais qu'une présentation a eu lieu. C'est contradictoire.

À la page 114, sur la carte fournie par Greenpeace, la CRIIRAD et Sortir du nucléaire, on voit que deux sites – Golfech et Belleville -– sont desservis en MOX, alors que c'est impossible : ce sont des sites 1 300 MW et le MOX n'est pas utilisé sur ce type de réacteurs.

À la page 124, le sigle HAVL est traduit par « haute intensité à vie longue » au lieu de « haute activité à vie longue ».

À la page 121, il est indiqué qu'un tiers du réacteur doit être échangé tous les quatre ans. C'est faux : la durée maximum est d'un an pour les 900 MW et de dix-huit mois pour les 1 300 MW

On parle de trois zonages nucléaires alors qu'en réalité il y en a quatre : la zone à accès contrôlé, la zone à protection renforcée, la zone vitale et la zone surprotégée.

Le rapport indique que les transports sont toujours les mêmes et prévisibles. Or, sur les cartes fournies par Greenpeace, la CRIIRAD et Sortir du nucléaire, il est noté noir sur blanc : « les trajets sont parfois modifiés à la dernière minute et varient souvent. » Je vous propose donc d'enlever ces cartes qui sont contradictoires avec nos propos.

J'en viens à des points où je suis en désaccord avec vous.

Je ne partage pas votre point de vue sur le manque d'expertise. Je ne suis pas d'accord quand vous dites que l'un des moyens de lutter contre la convergence d'intérêts et la proximité intellectuelle est de donner davantage de place à l'expertise indépendante au sein de l'ASN. Ce passage du rapport signifie que l'ASN et l'IRSN ne remplissent pas correctement leur rôle. C'est faux. Plusieurs témoignages contredisent les propos de quelques-uns sur cette partialité. N'oublions pas également qu'il y a de l'expertise internationale à travers l'Association mondiale des exploitants nucléaires (WANO -World association of nuclear operators).

Je ne partage pas certains avis émis dans ce rapport.

On parle d'un écosystème complexe. Quand on connaît le système, on sait qu'il n'est pas complexe et, surtout, aucun intervenant n'a tenu de tels propos.

À la page 164, vous écrivez : « Il semble à la commission d'enquête que les exploitants font preuve d'un manque de transparence avéré. » Pour ma part, je me désolidarise de cette affirmation. Je préférerais donc que vous écriviez : « Il semble à certains que (…) ». En outre, le mot « semble » indique une impression subjective. Soit on a les faits et on les met, soit on ne les a pas et on change la tournure de phase.

Enfin, il n'y a pas de raison d'écrire, à la page 66, que l'objectif est de ramener la part de l'électricité d'origine nucléaire à 50 % à l'horizon de 2025, alors que le ministre a lui-même indiqué que c'était impossible. Surtout, ce n'est pas le sujet.

J'en arrive aux préconisations. Certaines peuvent être contre-productives ou sont déjà couvertes par l'existant. Je vais vous en citer trois mais je n'ai pas eu le temps de tout étudier.

Premier exemple : « Supprimer la durée maximale d'expertise instaurée par le décret du 29 décembre 2017 pour ce qui concerne les analyses commissionnées par les comités sociaux et économiques (CSE) des installations nucléaires de base (INB). Modifier en ce sens, par décret, le code du travail. » Je ne pense pas que ce soit intéressant. Quand il y a un accident, on doit pouvoir faire un retour d'expérience rapide et les délais peuvent être raccourcis en mettant les effectifs nécessaires dans les cabinets d'expertises.

Deuxième exemple : « Lorsqu'une anomalie générique est découverte, comptabiliser autant d'anomalies qu'il y a de réacteurs concernés et en rendre publique la liste. » C'est déjà le cas à travers les événements significatifs. Qui plus est, en cas d'anomalie générique, on ajoute un événement supplémentaire, ce qui fait monter d'un niveau sur l'échelle INES. On a bien un événement par réacteur, plus un événement générique.

Troisième exemple : « Demander aux exploitants d'apporter la preuve que leurs réacteurs sont en mesure de résister à tout aléa climatique combinant plusieurs facteurs – canicule, sécheresse, etc. – et affectant plusieurs centrales simultanément. » Cette préconisation est imprécise ; elle est en grande partie couverte par les analyses de sûreté ; les procédures existent dans de nombreux cas, notamment dans les phases d'étiage.

En conclusion, je souhaite que le vote n'ait pas lieu sur le texte présenté. Je souhaite que nous entendions EDF et Orano sur les travaux du cabinet Apteis sur lequel se fondent nombre d'éléments du rapport.

Madame la rapporteure, monsieur le président, je vous demande donc de procéder à des modifications pour corriger les erreurs et factualiser le rapport. Et, pour cela, je souhaite que l'on ait plus de temps pour l'étudier.

Si vous ne souhaitiez pas revoir le rapport, je voterais contre sa publication et je demanderais un scrutin à bulletin secret. Précisons que le groupe majoritaire laisse à ses membres une totale liberté de vote.

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