Intervention de Mélanie le Plaine-Mileur

Réunion du mardi 3 juillet 2018 à 11h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Mélanie le Plaine-Mileur, secrétaire générale de l'association professionnelle des ingrédients alimentaires de spécialité (SYNPA) :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de donner l'opportunité au SYNPA de présenter le secteur des ingrédients alimentaires de spécialité. Je suis ravie d'être ici.

Pour parler des ingrédients alimentaires de spécialité, replongeons-nous dans l'histoire de notre alimentation. De l'Antiquité au XVIIIe siècle, nos ancêtres ont utilisé des ingrédients de façon empirique – comme les épices pour colorer au Moyen Âge – ou sans le savoir car ils ignoraient leur présence.

Prenons le fromage. Dans l'Antiquité et chez les Égyptiens, comment expliquait-on la transformation du lait, denrée rapidement périssable à vous rendre malade, en un aliment qui se conservait beaucoup mieux, le fromage ? À l'époque, on ne connaissait ni le rôle de la présure pour cailler le lait, ni celui des ferments pour affiner, c'est-à-dire apporter goût, arômes et textures. Le fromage et les yaourts étaient un moyen de conserver le lait, comme le saucisson l'a été pour la viande.

Il a fallu attendre les connaissances scientifiques des XVIIIe, XIXe et XXe siècles pour comprendre ces phénomènes. En 1784, l'acide citrique a été isolé à partir du jus de citron. Au XIXe siècle, Louis Pasteur a effectué ses travaux sur la fermentation. En 1825, la pectine a été isolée à partir de végétaux. Nous l'utilisons pour faire nos confitures lorsque les fruits n'en contiennent pas suffisamment pour que la gélification se produise. En 1937, le prix Nobel de médecine a couronné des travaux sur les vitamines A et B2.

Ces connaissances ont permis de passer de l'empirisme à la maîtrise du savoir-faire, d'isoler et de produire des ingrédients alimentaires. En 1870, la présure est commercialisée pour la première fois. En 1876, le colorant rocou est extrait des graines de l'arbuste rocouyer. Début XXe siècle, sont commercialisés les premiers ferments et la gomme d'acacia.

Ces connaissances ont contribué à améliorer la conservation des aliments. Napoléon III a fait appel à Pasteur pour sauver l'industrie du vin en France, en remédiant au problème de la maladie du vin qui empêchait sa conservation. Elles ont aussi été essentielles pour améliorer la qualité de l'alimentation : notre alimentation est plus variée ; les bébés non allaités ont une meilleure alimentation grâce aux préparations infantiles qui contiennent des vitamines.

Globalement, de telles connaissances ont permis d'améliorer la santé. Nous l'avons parfois oublié, mais notre alimentation a pu tuer par le passé. À la fin du XIXe siècle, on dénombrait 40 000 décès de nourrissons dus au lait frelaté. En 1956, c'est-à-dire il n'y a pas si longtemps, 16 000 personnes mouraient chaque année d'intoxication alimentaire, contre 300 de nos jours, selon les données de Santé Publique France.

À la fin du XIXe, face à la fraude, les autorités ont décidé de fixer des règles très strictes pour protéger la santé des Français et assurer des règles équitables entre les opérateurs. Ces règles sont immuables depuis plus de cent ans. En 1905, le Parlement les a établies selon trois principes : une denrée saine, une information loyale, un marché où les mêmes règles s'imposent à tous. Les contrôles des autorités se basent sur des méthodes officielles. En 1912, les autorités ont établi le principe de liste positive : « Tout ce qui n'est pas autorisé est interdit. ». On ne peut pas ajouter un nouvel ingrédient qui n'aurait pas été évalué et autorisé au préalable. Ce processus d'autorisation se fait en deux temps : d'abord une évaluation scientifique, puis une décision et une gestion.

L'évaluation des risques repose sur des principes partagés au niveau mondial. L'expertise collégiale, multidisciplinaire et indépendante compte quatre étapes : identification et caractérisation du danger, évaluation de l'exposition et caractérisation du risque. En France, c'est l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) qui en a la responsabilité. Au début XXe siècle, de 1906 à 1999, c'était le Conseil supérieur d'hygiène publique de France et l'Académie de médecine. En Europe, c'est l'EFSA. Au niveau international, cette expertise se fait sous l'égide de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

En matière de gestion des risques, les autorisations sont données par les autorités sur la base de l'évaluation des risques et de tout autre facteur légitime. En France, quatre ministères prennent part à la décision. Au niveau européen, les décisions sont prises par les vingt-huit États membres et le Parlement donne son avis.

Comment la décision d'autorisation se concrétise-t-elle ? Elle peut porter sur un ingrédient ou une allégation de santé et donne les conditions d'utilisation. Il sera précisé que tel ingrédient est autorisé dans telle denrée alimentaire, en telle quantité pour y jouer tel rôle. Les autorités fixent des spécifications, autrement dit les papiers d'identité de l'ingrédient. Seul l'ingrédient qui possède « les bons papiers » peut être commercialisé et utilisé dans l'Union européenne. Ces règles, fixées en 1905, sont toujours d'actualité. Elles figurent dans la réglementation européenne et s'imposent aux opérateurs.

Les producteurs doivent déposer un dossier de demande d'autorisation sur la base des lignes directrices décidées par l'EFSA. Quand ils commercialisent les ingrédients, ils doivent respecter les spécifications, avoir les bons papiers d'identité.

Quant aux utilisateurs, ils doivent respecter les conditions d'emploi : ingrédient autorisé dans la denrée, avec les teneurs autorisées. Ils doivent aussi être en mesure de justifier le besoin de l'ingrédient dans leur recette et informer le consommateur de façon loyale et transparente.

C'est donc à la fin du XIXe siècle et au début XXe siècle que le secteur des ingrédients alimentaires de spécialité s'est développé. En 1968, il se fédère au sein du SYNPA qui compte actuellement vingt entreprises – start-up, PME, grandes entreprises françaises ou filiales d'entreprises internationales – réparties sur tout le territoire métropolitain. Une start-up qui se développe dans le domaine des micro-algues vient de nous rejoindre. Nous comptons aussi une PME qui est reconnue comme une entreprise du patrimoine vivant, label attribué par le ministère de l'économie et des finances. Notre secteur représente 0,6 % du chiffre d'affaires de l'industrie alimentaire française. Le SYNPA dispose d'un budget de 200 000 euros. Son rôle principal est d'informer les adhérents de la réglementation et de les accompagner dans son application.

Les ingrédients alimentaires de spécialité sont variés : des extraits d'origine animale et végétale, des extraits d'algues tels que les micro-algues, des enzymes alimentaires comme la présure, des ferments que sont les bactéries, moisissures et levures, des fibres, des vitamines, des minéraux. Ces ingrédients peuvent faire l'objet de réglementations spécifiques : additifs alimentaires, nouveaux ingrédients dits novel food, enzymes alimentaires. Les adhérents du SYNPA ne produisent pas tous les additifs alimentaires. Ils produisent principalement des colorants, des agents de texture et des émulsifiants.

Ces ingrédients alimentaires de spécialité ont aussi des utilisations variés. Leur usage dans l'industrie alimentaire fait qu'on les retrouve dans les aliments traditionnels comme le fromage, la nutrition spécialisée ou les compléments alimentaires. Ils sont utilisés sur certains fruits et légumes bruts, en bio, par les artisans fromagers, charcutiers, et pâtissiers, dans la restauration collective et par les chefs. Les amateurs de l'émission de télévision Top Chef savent que le « truc en plus » peut être un agent de texture dans une recette. Ils sont aussi utilisés par les ménages qui peuvent acheter des ferments pour fabriquer eux-mêmes leurs yaourts ou des kits de cuisine moléculaire.

Les ingrédients alimentaires de spécialité sont au service d'une alimentation de qualité et de plaisir. Ils accompagnent l'industrie alimentaire pour relever les défis auxquels elle est confrontée.

Ils contribuent à améliorer la qualité nutritionnelle. Ils peuvent permettre d'adapter les recettes, de pallier les carences – en France, nous ne consommons pas assez de vitamine D, de fibres, et d'oméga-3 –, de nourrir les 2 millions de Français dénutris. N'oublions pas qu'en 2050, un Français sur cinq aura plus de soixante-quinze ans. Il faut que leur alimentation soit belle pour leur donner envie de se nourrir et bonne pour couvrir leurs besoins spécifiques.

Les ingrédients alimentaires de spécialité sont au coeur des nouveaux défis : faire de la France le leader mondial des ferments ; développer des ingrédients d'origine marine en valorisant notre littoral ; réduire le gaspillage alimentaire.

Dans un monde fait d'anxiété, notre secteur doit aussi relever le défi de l'information. Le SYNPA va au-delà de sa mission tournée vers les adhérents. Nous informons les utilisateurs sur la réglementation par le biais de notre site internet et, prochainement, dans le cadre d'ateliers. Nous avons depuis longtemps pris conscience de cette attente d'informations de la part des consommateurs. Nous nous y attelons, avec les moyens qui sont les nôtres, par le biais de brochures pédagogiques et de notre site internet. Notre démarche s'inscrit dans les recommandations du Conseil national de l'alimentation (CNA) pour rétablir la confiance dans notre alimentation.

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