Intervention de Rémi Delatte

Réunion du mercredi 11 juillet 2018 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRémi Delatte, rapporteur :

Après l'aspect financier présenté par ma collègue Nadia Hai, notre rapport aborde les observations et propositions concernant la mixité sociale et la mise en oeuvre d'une rénovation urbaine plus durable – tout simplement parce que c'est la condition de son efficacité.

Nous ne pouvons imaginer devoir engager des programmes d'interventions massifs tous les dix ans ; notre objectif doit être l'entrée des quartiers prioritaires dans le droit commun, et il s'appréciera au regard de la mixité sociale.

Nadia Hai l'a dit, la mixité sociale est une notion difficile à saisir, qui se comprend avant tout à l'échelle locale, dans chaque quartier. Nous avons donc visité des quartiers de profils différents, afin d'observer les convergences et les divergences des dynamiques territoriales.

Développer la mixité sociale ne peut se limiter à son aspect résidentiel. À travers l'action de l'ANRU, mais aussi au-delà, il nous faut une véritable action sur le bâti, grâce à plusieurs outils.

Le premier est celui de la répartition des logements sociaux sur le territoire de l'agglomération, favorisée par l'esprit de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et par des objectifs de reconstitutions et de relogements hors des quartiers prioritaires lors des opérations de rénovation urbaine.

L'attribution des logements sociaux a été favorisée à l'échelle intercommunale et des règles sont venues l'encadrer pour développer la mixité sociale dans les quartiers. À ce titre, la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté impose aux bailleurs de réserver 25 % des attributions de logements sociaux en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) aux 25 % des demandeurs les plus pauvres et à des ménages relogés dans le cadre des opérations de renouvellement urbain. Elle impose également que 50 % des attributions de logements sociaux dans les QPV soient au bénéfice des ménages les moins défavorisés.

Le deuxième axe est celui de la diversification de l'habitat pour favoriser l'accès à la propriété des ménages modestes dans les quartiers prioritaires.

Plusieurs dispositifs ont été prévus, tels que la TVA à 5,5 %, des quotas de logements destinés à l'accession sociale ou des contreparties foncières cédées à l'association Foncière Logement. La diversification du logement social dans les quartiers en rénovation urbaine a aussi été utilisée pour accroitre la diversité de la composition sociale des ménages.

Malgré tout ce qui a été entrepris pour développer la mixité, notre constat est fortement nuancé. En effet, les reconstitutions et relogements des ménages concernés ont été effectuées majoritairement sur site ou dans d'autres quartiers prioritaires de la commune.

Plusieurs explications peuvent être avancées : une mise en oeuvre des projets à l'échelle de la commune, des réserves foncières réduites, ou l'impossibilité, pour certains profils de locataires, à se loger dans une offre de logements certes neuve, mais plus chère.

C'est pourquoi nous encourageons le Gouvernement à poursuivre son action de mise en oeuvre de mesures permettant la minoration des hausses de loyers et nous aimerions qu'un suivi plus fin de ces évolutions de loyers soit mis en place. Rennes, par exemple, expérimente un loyer unique sur tout le parc social ; nous souhaitons une évaluation rapide du dispositif pour envisager sa généralisation.

De plus, malgré des résultats significatifs, la diversification vers le logement privé est restée en deçà des objectifs fixés, essentiellement parce que l'image de ces quartiers tarde à changer. Les études menées ont donc logiquement montré un impact limité des opérations de mixité sociale sur la composition de la population des quartiers en rénovation urbaine.

Bien entendu, ces limites au développement de la mixité ne peuvent être comprises que si l'on sort des crédits de l'ANRU et du prisme de la politique de l'habitat, des constructions et démolitions, pour élargir le champ de vision. Le projet de rénovation urbaine doit s'inscrire dans son environnement et faire partie d'une action globale de la politique de la ville. Le NPNRU, par les protocoles de préfiguration et par son pilotage à l'échelle intercommunale, va dans le bon sens. Ce sont en effet toutes les politiques publiques qui doivent être mobilisées pour relever ces quartiers prioritaires, et faire en sorte qu'ils n'aient plus à l'être.

Le financement d'équipements publics de qualité est primordial et contribue à renforcer la mixité sociale. De même, le projet de renouvellement urbain doit être complémentaire d'une action volontaire sur le développement de l'activité économique dans les quartiers prioritaires, qui passe par des dispositifs incitatifs adaptés. On sait, en effet, que l'accès à l'emploi est la condition première de l'amélioration de la situation des habitants des quartiers prioritaires.

Nous proposons à cet effet un dispositif fiscal incitatif et adapté qui permettrait, en complément de mesures dérogatoires au droit commun pour les collectivités – je pense par exemple au droit de l'urbanisme –, une plus forte attractivité des quartiers en matière économique.

Enfin, il nous paraît indispensable de porter une attention particulière aux enjeux de la mixité scolaire, de la mobilité et de la sécurité dans la mise en oeuvre des opérations de renouvellement urbain.

Penser une rénovation urbaine durable, c'est aussi éviter une dégradation plus rapide du bâti issu de ces opérations. Cela implique de lutter contre les incivilités du quotidien dans le cadre de la gestion urbaine de proximité. Cela peut passer – et nous avons été convaincus de cela lors de notre déplacement à Boulogne-sur-Mer – par la généralisation de la présence de gardiens dans le parc social, et par une extension de leur capacité à facturer directement sur les loyers les dégradations causées. Cela passe, également, par la mise en oeuvre d'un droit d'alerte du maire, auprès du préfet qui dispose le cas échéant d'un pouvoir de sanction en cas de carence d'entretien de la part d'un bailleur.

Cela implique aussi de prévenir la dégradation des copropriétés privées. Les opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (ORCOD-IN) sont un outil très puissant en la matière. Le projet de loi ELAN prévoit un renforcement du dispositif comme d'ailleurs de la lutte contre les marchands de sommeil. L'ANRU elle-même va améliorer son financement pour faciliter le recyclage des ilots dégradés.

Mais basculer dans le surendettement peut aussi être très rapide. Aussi, nous proposons à titre préventif que le montant des charges locatives associées à un bien immobilier soit intégré au calcul du taux d'endettement bancaire rendant possible son acquisition.

Que l'on aborde la question des copropriétés dégradées ou de la sécurité et de la revitalisation économique, sur laquelle des annonces sont attendues prochainement, il apparaît clairement que le rapport mérite des approfondissements.

Ma collègue Nadia Hai évoquait à l'instant la possibilité de faire un suivi des rapports d'évaluation. L'étude des thèmes que j'ai abordés, à savoir la sécurité, l'emploi ou la lutte contre les copropriétés dégradées, trouverait toute sa place dans un suivi de notre rapport, mais il pourrait tout autant être envisagé de les traiter dans le cadre de missions d'informations ou de travaux futurs de la MEC.

Dernier point sur lequel nous voulions insister : une meilleure prise en compte des aspirations des habitants. Le sujet est revenu fréquemment lors de nos déplacements : il est aujourd'hui indispensable de mieux prendre en compte les attentes des habitants des quartiers prioritaires. Nous avons été frappés de la faible place prise par les espaces verts et de jeux pour enfants dans les projets que nous avons vus : cela peut sembler anecdotique, mais c'est pour nous symptomatique d'une insuffisante participation des habitants. Car ils sont de toute évidence les mieux placés pour connaître les besoins de leur quartier.

Dans ce sens, nous souhaitons un renforcement des conseils citoyens mis en place en 2014, ce qui passe notamment par un meilleur accompagnement des habitants qui y participent et une meilleure prise en compte de leurs interventions.

Mais prendre en compte les aspirations des habitants, c'est aussi, et peut-être même surtout, reprendre rapidement les opérations de rénovation urbaine. Nadia Hai indiquait que, désormais, les incertitudes financières sont levées et que le NPNRU peut repartir.

L'ANRU a décidé de simplifier les procédures et de redonner de la place aux élus. C'est là où ces derniers sont impliqués qu'on observe les meilleurs résultats. Il sera désormais possible de lancer les actions des projets qui seront les plus avancées, même si la totalité de la programmation n'est pas ficelée. L'instruction des dossiers de financement d'un plus grand nombre de projets régionaux sera déconcentrée. Un certain nombre de réunions surabondantes seront supprimées. Tout le processus retrouvera ainsi la souplesse attendue des élus locaux.

Nous ne pouvons que saluer ces démarches, qui permettront de remettre des grues dans les quartiers où l'urgence sociale le rend nécessaire pour améliorer le cadre de vie de leurs habitants.

Je conclurai volontiers dans les mêmes termes que ma collègue, en insistant sur le fait que la rénovation urbaine doit avant tout être placée au service des habitants des quartiers prioritaires.

L'efficacité de la dépense publique, comme de la politique publique de rénovation urbaine et des sujets qu'elle couvre, ne saurait se limiter à l'épaisseur d'un rapport, à un catalogue de bonnes intentions ou à des budgets énormes – oserais-je dire au pognon « de dingue » qu'on y met. Le curseur doit rejoindre celui de l'humain. C'est ce que j'appelle une « impérieuse ingérence du coeur ».

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