Intervention de Sylvain Latarget

Réunion du lundi 5 février 2018 à 15h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Sylvain Latarget, directeur général adjoint de l'Institut national de l'information géographique et forestière :

L'Institut national de l'information géographique et forestière est un établissement public qui compte environ 1 550 agents et a un budget de près de 150 millions d'euros, dont 90 millions proviennent d'une subvention pour charges de service public sur le programme 159, les autres recettes venant de travaux réalisés principalement au bénéfice du ministère des armées, de la vente de cartes, de licences d'exploitation de données, de prestations diverses, notamment pour l'Agence de services et de paiement dans le cadre de la politique agricole commune.

L'Institut est un jeune établissement puisqu'il a été créé par décret le 1er janvier 2012. Il est toutefois héritier d'une longue histoire de ses deux moitiés de génome, la première étant l'Institut géographique national qui peut tracer ses origines jusqu'au XVIIe siècle, la seconde étant l'Inventaire forestier national qui a un peu plus de cinquante ans d'ancienneté et d'histoire.

L'Institut a pour vocation de décrire, d'un point de vue géométrique et physique, la surface du territoire national et l'occupation de son sol, d'élaborer et de mettre à jour l'inventaire permanent des ressources forestières nationales ainsi que de faire toutes les représentations appropriées, d'archiver et de diffuser les informations correspondantes. Il contribue ainsi à l'aménagement du territoire, au développement durable et à la protection de l'environnement, à la défense et à la sécurité nationale, à la prévention des risques, au développement de l'information géographique et à la politique forestière en France et au niveau international.

Vous comprenez facilement à travers ces quelques lignes que nous sommes pleinement dans le champ qui vous intéresse dans le cadre de cette mission d'information. Toutefois, l'Institut ne dispose pas de l'ensemble des compétences pour pouvoir décider seul si une zone est vulnérable ou caractériser globalement la totalité de la vulnérabilité des zones.

L'Institut a cartographié l'intégralité des zones littorales au un vingt-cinquième millième il y a plusieurs années déjà, et depuis il est passé au numérique. Nous sommes aussi chargés de déterminer la référence planimétrique et altimétrique. À cet égard, nous avons effectué un grand travail de mise à niveau des programmes planimétriques et altimétriques sur les communautés d'outre-mer que nous allons achever cette année par Saint-Pierre-et-Miquelon.

Nous avons établi, en partenariat avec le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), un produit qui s'appelle Litto 3D® donc je vous parlerai peut-être un peu plus en détail tout à l'heure. Il s'agit de données qui couvrent de façon précise les zones littorales sur près de 45 000 kilomètres carrés et qui permettent notamment d'appuyer des modèles d'inondation et de submersion marine.

Toujours en partenariat avec le SHOM, nous intervenons dans le cadre du réseau SONEL, le système d'observation du niveau des eaux littorales. Ce réseau regroupe près de 1 000 marégraphes au niveau mondial dont environ 80 sont situés en métropole ou dans les outre-mer, c'est-à-dire que presque chaque archipel, y compris en Polynésie, a au moins un marégraphe qui permet de surveiller l'évolution du niveau de la mer. Malheureusement celui de Saint-Martin ne fonctionne plus ; nous espérons pouvoir le remettre en service dans peu de temps.

Ce que fait l'IGN dans ce cadre-là, c'est simplement le rattachement au système de positionnement par satellite, le GNSS, Global navigation satellite system, ce qui permet en fait de dissocier le mouvement de la mer du mouvement de la croûte terrestre. Sans entrer dans des détails techniques, il faut savoir que quand la marée monte la terre s'enfonce, ce qui vient aggraver le phénomène de submersion.

En matière de prévention des risques climatiques, l'IGN n'a pas de mission explicitée. Nous pouvons intervenir en appui de tous les porteurs de politiques publiques qui sont concernés par la fourniture de données. Notre rôle reste de fournir et de mettre à disposition des données.

Lors de la crise d'Irma, l'ensemble de nos données a été immédiatement mis à disposition des autorités du pays et auprès des services du ministère de la transition écologique et solidaire. Les données pouvaient d'abord être téléchargées. Nous avons ensuite rendu possible, sur un site dédié, l'accès aux données dont nous disposions à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Je vous ai apporté un document qui permet un comparatif : à gauche, vous pouvez voir l'image qui a été réalisée par l'Institut géographique à Saint-Martin au tout début de l'année 2017 et à droite la première image qui a pu être acquise seulement quelques jours après la catastrophe – pour avoir des zones entièrement dénuagées, il a fallu que les satellites repassent plusieurs fois et il s'est écoulé une petite quinzaine de jours avant de pouvoir disposer de cette image.

L'outil que l'on met à disposition est bien plus précis que ce que je vous montre, mais il fallait reconnaître un peu le périmètre, le contour des îles. On peut zoomer très profondément, ce qui peut servir à évaluer les dégâts, par exemple au niveau du couvert végétal boisé ou encore montrer quelles toitures ont disparu, etc. Mais il sera beaucoup plus compliqué d'évaluer l'indemnisation des dommages. Nous avons des contacts avec les compagnies d'assurances. Pour le moment, nous les aidons plutôt à dimensionner les primes d'assurance de leurs clients qu'à travailler de façon globale sur une catastrophe majeure en vue d'indemniser des quantités importantes de maisons et de réseaux.

Je vous l'ai dit, nous ne sommes pas capables de définir seuls la vulnérabilité. Toutefois, en termes de géographie pure, certains critères permettent rapidement de deviner qu'une zone est très vulnérable. Ces critères, vous les avez cités en introduction, Madame la présidente : des côtes basses, des zones d'estuaire, des bandes littorales étroites ou des zones peu accessibles pour les secours, qui n'ont pas forcément d'aéroports à proximité ou de zones de mouillage ni de refuge évident pour la population.

Un événement climatique majeur n'est pas non plus forcément bref et intense. Vous avez cité la montée du niveau des mers et l'érosion qui sont des phénomènes majeurs qui affectent de larges portions littorales. Les événements intenses agissent toutefois comme des accélérateurs d'érosion. On voit, après chaque tempête, que le trait de côte recule.

D'un point de vue forestier, le réchauffement climatique laisse anticiper une évolution des essences d'arbres, ce qui peut aussi avoir un impact à long terme, puisqu'on n'aura plus forcément les mêmes essences. Nous n'avons pas en effet de certitudes quant aux essences qui seront présentes dans quarante, cinquante ou cent ans.

S'agissant de l'élaboration des plans de prévention des risques naturels, nous ne sommes pas systématiquement associés aux réalisations puisque notre mission consiste à fournir des données dans nos champs de compétence et à les rendre accessibles aux experts.

Nous avons parfois été sollicités pour des plans de prévention de risque d'inondation ou de submersion, notamment à base du produit Litto 3D®. Nous avons produit des modèles numériques de terrain et des simulations de montée des eaux.

Nous avons un partenariat avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l'ONF sur le cordon dunaire du littoral aquitain et nous travaillons en partenariat étroit avec le Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévention des inondations (SCHAPI). Ces derniers temps, nous travaillons beaucoup avec eux, mais pas encore beaucoup sur les zones littorales. Cela dit, nous ne faisons pas beaucoup de différence de traitement entre les zones littorales et les autres zones quand il s'agit de risques d'inondation. Nous avons ainsi volé ce week-end au-dessus de la Marne, en amont de Paris.

Nous travaillons aussi avec la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) qui fait partie de notre ministère de tutelle principal, à base de levés lidar pour l'amélioration et la connaissance fine des zones inondables. Nous avons aussi des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour leurs systèmes d'information et nous les accompagnons, ainsi que les services déconcentrés du ministère, pour qu'ils deviennent autonomes dans la gestion des données, celles-ci n'étant pas toujours simples à manipuler au premier abord.

Une fois élaborés, les plans de prévention des risques deviennent des servitudes d'utilité publique et, comme tels, doivent être déposés sur le géoportail de l'urbanisme que nous opérons aussi pour le compte de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de la cohésion des territoires.

Venons-en aux suites de la tempête Xynthia dans l'hexagone. Nous nous sommes associés au SHOM pour produire le Litto3D, un modèle numérique altimétrique de référence continu terre-mer sur la frange littorale. Il permet de réaliser des relevés de reliefs et des mesures de profondeur sous-marine, pour avoir une connaissance précise de l'ensemble du littoral. En mer, nous allons jusqu'à une profondeur de 10 mètres, et au plus jusqu'à 6 nautiques ; et au moins 2 kilomètres à l'intérieur des terres, jusqu'à l'altitude de plus 10 mètres. Au total, cette emprise représente 45 000 kilomètres carrés.

Par ailleurs, l'État a tiré les conséquences de la tempête en remettant en cause notre modèle économique. Avant Xynthia, l'IGN devait rembourser la moitié du coût de constitution des données qui étaient préfinancées par l'État. Ainsi, les services de l'État et les collectivités locales devaient acheter une licence d'utilisation pour les données indispensables à la réalisation des plans de prévention. Or, à partir de 2011, le référentiel à grande échelle a été rendu gratuit en téléchargement pour l'ensemble des services de l'État et des collectivités territoriales. Cela a permis d'accélérer significativement la réalisation des plans de prévention, et l'équilibre financier de l'Institut a été assuré par un transfert entre programmes.

Xynthia n'est pas le seul événement dont les conséquences nous aient concernés. La tempête Klaus de janvier 2009 a conduit à l'élaboration, par le ministère chargé de la forêt, d'un plan national de gestion de crise-tempête pour la filière forêt-bois. Et l'IGN, à travers l'inventaire forestier, se trouve associé à ce plan, s'agissant notamment de la partie consacrée à l'évaluation précise des dégâts. De la même façon, le tsunami de décembre 2004 a permis le développement des dispositifs d'anticipation et d'alerte : le programme Litto3D a été utilisé par le projet ALDES d'alerte descendante, qui a été piloté par le BRGM.

À l'occasion des événements de cet automne, nous avons montré que nous étions capables de réagir de manière prompte et de devancer les attentes, en communiquant directement sur les données disponibles et en les mettant à la disposition des centres de gestion de crise et des centres de secours avec un accès protégé – pour éviter tout conflit avec la charge du réseau internet.

Après les tempêtes, le service de défense, de sécurité et d'intelligence économique (SDSIE) du secrétariat général du ministère de la transition écologique et solidaire, qui gère le centre de crise de ce ministère, nous a contactés pour recenser les experts de l'IGN qu'il pourrait mobiliser lors des prochaines crises. Nous avons également une prestation d'assistance à maîtrise d'ouvrage à leur profit pour l'outil de gestion de crise OGERIC, utilisé par le ministère et les services déconcentrés – les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) en métropole, et les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) dans les régions et départements d'outre-mer.

Quelles sont les orientations prioritaires de nos travaux s'agissant des zones vulnérables ? Nous sommes à la disposition de toutes les autorités publiques qui estimeraient que l'on peut les aider à utiliser ou à constituer de nouveaux jeux de données, que ce soit dans le cadre de nos missions, ou dans le cadre d'un partenariat avec ces structures.

Les pistes d'amélioration que nous avons identifiées concernent moins la prévention que l'information des populations. Les données nécessaires pour cette activité ne sont pas toujours faciles à utiliser, et sont souvent très disparates. Voilà pourquoi il faudrait se mettre d'accord, en prévision d'événements majeurs, sur les jeux de données nécessaires – qu'il s'agisse de les constituer ou de les entretenir. Vous parliez de votre dispositif anti-submersion, avec un mur. Un mur, cela s'entretient. Il en est de même des données, qu'il faut mettre à jour.

Avec Litto3D, on atteint une précision altimétrique de l'ordre de 10 centimètres. C'est important, car à 10 centimètres près, les habitants de Gournay n'auraient pas été inondés. Et si vous mettez un coup de pelle dans une dune, elle peut bouger de 10 centimètres.

Il faut donc entretenir les données pour être certains que, le moment venu, on disposera des bonnes données.

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