Intervention de Françoise Haméon

Réunion du mardi 3 juillet 2018 à 10h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Françoise Haméon, vice-présidente du conseil départemental de Loire-Atlantique, chargée du tourisme, de la mer et du littoral :

Vous me posez de vastes questions. Je vous présenterai la démarche que nous suivons en Loire-Atlantique. À l'instar de trois géographes de l'Ouest, nous cherchons à définir une stratégie qui tende vers une gestion intégrée de la mer et du littoral.

Votre mission d'information me semble, à cet égard, remplir une fonction essentielle pour l'avenir de nos côtes. Il est important d'anticiper et de se préparer à intervenir, en adoptant des perspectives à long terme et non en réagissant au coup par coup. Les défis s'intensifient à l'échelle du temps long, mais il est difficile de les relever sur le temps court qui est notamment celui de l'action publique.

Nous savons tous que le niveau marin progresse, comme l'avait souligné un rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) qui fournissait des fourchettes d'augmentation du niveau de la mer, à l'horizon 2100, dans des intervalles de variations importants, puisqu'ils se situent entre 30 et 80 centimètres.

Les nouvelles découvertes relatives aux conséquences sur la dilatation des océans et de la fonte des glaces conduisent aujourd'hui les experts à réévaluer ces tendances. Un nouveau calcul des variations se développe, qui fait apparaître une évolution significative. Faut-il l'accepter ou lutter contre ? L'objectif des collectivités doit être de favoriser le « vivre avec » et ne pas accentuer le risque.

La Loire-Atlantique est un département maritime, concerné par les événements climatiques et par les risques littoraux. C'est une chance que d'être un territoire maritime. L'océan est, en effet, nourricier grâce à des activités de pêche, d'aquaculture, de saliculture, etc. Il est, de plus, source d'attractivité démographique, pour les actifs comme pour les retraités. Mais il est également source de déséquilibres sociaux et sociétaux.

L'océan est aussi source de bien-être, plaçant ainsi la Loire-Atlantique à la septième place des départements touristiques français, avec un développement fort des activités nautiques. L'océan est encore source d'innovation et de croissance dans de nombreux domaines, notamment dans les domaines médical et technologique, grâce notamment au développement de l'algoculture ou encore des biotechnologies marines.

La Loire-Atlantique dispose du premier port commercial de la façade atlantique, le grand port maritime Nantes-Saint-Nazaire, et d'un bassin industrialo-portuaire, notamment naval, créateur d'emplois et vecteur de croissance.

L'océan est également source d'énergies, avec un bassin nazairien qui confère au département une place de leader en matière d'énergies marines renouvelables, puisqu'il inclut le premier parc éolien en mer, un site d'essais SEM-REV, un hub logistique éolien d'intérêt national, une future base de maintenance sur le port départemental de La Turballe, à quoi s'ajoute la présence de grands groupes tels que General Electric, STX France ou les chantiers de l'Atlantique.

Pourtant, la Loire-Atlantique est un territoire maritime qui ne se connaît que partiellement. Son avenir dépend et dépendra fortement de sa relation à l'océan. L'océan est fragile et facteur de vulnérabilités, puisqu'il est le support de fonctionnalités écologiques exceptionnelles et d'activités qui en dépendent.

Les effets du changement climatique ont et auront par ailleurs un impact certain sur l'aménagement de nos littoraux, sur les écosystèmes qui les composent et donc sur la distribution des espèces qui y sont inféodées, dont dépendent les activités de production.

Toutes ces évolutions, et les incertitudes qui y sont associées, obligent à s'interroger sur l'avenir des activités maritimes et littorales, et à repenser les liens existants entre les territoires littoraux et rétro-littoraux. La contribution du département de Loire-Atlantique a, pensons-nous, valeur d'exemple du fait de son statut de département à la fois métropolitain et estuarien.

Des dynamiques tendancielles sont à l'oeuvre, qui sont susceptibles de concourir à une certaine vulnérabilité. À l'image des littoraux de la France métropolitaine, la Loire-Atlantique fait face à des enjeux et des dynamiques propres à sa proximité de l'océan et à son estuaire.

Le département a fait le choix de fédérer depuis 2017 les acteurs locaux –institutions, acteurs économiques, associatifs – et des experts nationaux et locaux autour d'une démarche de concertation intitulée « Défi maritime et littoral ».

Ces travaux ont permis d'identifier les dynamiques tendancielles de notre territoire. Celles-ci correspondent au futur pressenti si aucune modification n'intervient dans les politiques publiques territoriales ni dans les comportements économiques et sociétaux.

Mais les travaux ont aussi permis de déterminer les grands défis de l'avenir littoral et maritime du département. La charte du « Défi maritime et littoral » vise à relever trois grands challenges : l'évolution démographique ; le changement climatique ; les changements de modèle économique.

S'agissant du changement climatique, les zones littorales sont des espaces attractifs pour les populations et propices à leurs activités. Mais ce sont aussi des espaces fragiles et limités en surface. La combinaison de la densité de population, de la fragilité des milieux et des aléas climatiques accroît les risques de toute nature : montée des eaux, érosion du trait de côte, submersion marine, dégradation des milieux naturels, etc.

L'érosion concerne près des deux tiers des côtes sableuses dans le monde. Ce phénomène est encore plus important pour les côtes à falaises. Accentuée lors d'événements tempétueux extrêmes, l'érosion peut parfois être matérialisée très ponctuellement par un recul du trait de côte très important, jusqu'à 20 mètres dans certains secteurs touchés par Xynthia en 2010. Même s'il diverge selon les secteurs, le contexte départemental est peu favorable à une réduction de cette tendance érosive : événements tempétueux, montée du niveau marin, réduction de sédiments disponibles.

Aggravé par l'impact des ouvrages de protection érigés depuis les années 1970, le recul du trait de côte s'opérera ainsi sur la majeure partie du littoral de Loire-Atlantique. On pourrait craindre aussi l'immersion progressive des marais, provoquée par la montée des eaux. L'élévation du niveau marin provoquerait encore une réduction de l'espace littoral et une compression des habitats de la bande côtière, amplifiée par le phénomène d'urbanisation en rétro-littoral. À terme, ce phénomène pourra notamment provoquer une disparition ou une modification des écosystèmes côtiers et impliquera nécessairement une adaptation des activités qui en dépendent.

Toutefois, ces impacts forts de l'érosion et de la montée des eaux permettront de diffuser une prise de conscience dans l'opinion publique quant à la vulnérabilité du territoire et à la fragilité des milieux face à ces risques.

C'est pourquoi notre ambition à 2040 sur les risques littoraux s'est orientée vers une gestion intégrée des zones côtières. Le changement climatique est d'ores et déjà avéré. Mais on ne sait ni la vitesse ni l'intensité auxquelles il va s'opérer dans les prochaines années. Ses effets auront des impacts sur nos côtes et sur les agglomérations qui s'y trouvent. S'il ne s'agit pas d'être défaitiste et pessimiste, il est dès à présent nécessaire d'intégrer cette donnée dans la manière de penser et d'imaginer l'aménagement du littoral, et les moyens mis en oeuvre pour agir.

Ce que nous voulons pour 2040, c'est être en mesure de prendre en compte les changements à venir, avec des marges d'adaptation en fonction de l'ampleur et de la localisation des événements. En 2040, l'aménagement et la planification auront intégré le caractère mouvant du trait de côte. Cette démarche de transition se voulant permanente, la priorité est donnée à l'anticipation et à la réversibilité des aménagements et des infrastructures plutôt qu'à la gestion à court terme contre les risques. Ainsi, l'avenir ne pèsera pas comme une menace, mais comme une promesse.

C'est ainsi qu'en 2040, le littoral de Loire-Atlantique sera entré en transition vers un aménagement d'anticipation climatique. Cela se traduira par un aménagement résilient et protégeant les populations et les activités vulnérables non délocalisables, par l'abandon de la culture du « tout protection » au profit de stratégies d'adaptation et d'anticipation des évolutions du trait de côte, mais aussi par l'aménagement et la planification des territoires littoraux, qui seront définis dans un impératif de dialogue interterritorial organisés autour de pôles littoraux structurants, tels que Saint-Nazaire, la Baule, Pornic… Ceux-ci privilégieront le renouvellement urbain et les extensions d'habitations maîtrisées selon les capacités existantes.

Cette organisation de l'armature urbaine littorale se fera dans la complémentarité et la solidarité avec les principaux pôles rétro-littoraux qui favoriseront leur développement dans et autour des centres-bourgs. Des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI) et des schémas de cohérence territoriale (SCOT) délibérément maritimes conforteront la solidarité territoriale et financière et permettront le repli stratégique là où c'est nécessaire.

Cette ère qui s'ouvre doit être celle de l'inventivité et de l'innovation, plutôt que celle du fatalisme. Nous souhaitons ainsi mettre en place un outil au service des acteurs et de la société civile : la charte de la Loire-Atlantique en faveur du défi maritime et littoral.

La charte du défi maritime et littoral procède d'une initiative volontaire et non descriptive du département. De ce scénario, nous avons tiré neuf grands engagements, qui intègrent tous les enjeux des effets du changement climatique. Je n'entrerai pas ici dans le détail de chacun de ces engagements.

Parmi les plus prégnants concernant notre sujet d'aujourd'hui ce serait d'abord de préparer et d'accompagner la citoyenneté maritime des habitants de Loire-Atlantique. Pour ce faire, il nous faut associer les citoyens à l'élaboration des politiques publiques et des projets structurants des territoires littoraux. Il convient aussi de construire et de mettre en oeuvre une politique commune d'éducation à la mer, à destination du grand public et des scolaires, comme de développer une culture du risque pour les résidents et les néo-littoraux.

En second lieu, il faudrait améliorer la connaissance de la montée des eaux océaniques et des dynamiques du trait de côte à travers l'Observatoire régional des risques côtiers, évaluer la vulnérabilité de nos territoires littoraux par l'identification des enjeux non délocalisables et des ouvrages de protection prioritaires, préserver les espaces naturels et restaurer leurs fonctionnalités écologiques dans une logique de gestion douce des risques littoraux, mais aussi gérer et aménager nos espaces littoraux de manière responsable face aux défis démographiques et climatiques.

Pour cela, il faudrait réserver des espaces fonciers pour l'accueil de populations et d'activités reconnues vulnérables face aux risques littoraux, clarifier la propriété et le caractère prioritaire des ouvrages de protection – je pense spécifiquement à la digue des marais salants de Guérande –, définir les modalités d'entretien et de confortement des ouvrages prioritaires de protection maritime ou permettre le droit à l'expérimentation en matière d'aménagement et d'urbanisation pour le bâti – faut-il aller jusqu'à imaginer de l'habitat sur pilotis ?

Nous devons également réfléchir à la réversibilité des usages du foncier, ou encore expérimenter des nouveaux types d'aménagement et de construction moins vulnérables à la montée des eaux et réversibles dans la durée. Enfin, il convient d'optimiser et de pérenniser une action foncière de proximité sur les littoraux, en lien avec les différents opérateurs fonciers : Conservatoire du littoral, département, agence foncière de Loire-Atlantique… Pour cela, nous devons positionner les trois SCOT littoraux comme outils privilégiés de la planification du littoral de Loire-Atlantique et définir des principes communs d'un aménagement responsable d'anticipation et de sobriété foncière.

J'en viens enfin à la gouvernance et la coordination au coeur de l'intervention publique et de la protection des citoyens. Acteur du littoral et du maritime, le département souhaite affirmer son rôle et sa responsabilité dans l'avenir et la durabilité des territoires littoraux et de l'espace maritime. Toutefois, parce qu'il n'est qu'un maillon parmi d'autres de la chaîne de la gestion intégrée de la mer et du littoral, le département n'entend pas mener seul la mise en oeuvre de cette charte.

Cette gestion intégrée requiert l'implication et la mobilisation de toutes les énergies, de toutes les compétences, de tous les acteurs dans le respect de la subsidiarité. La gestion de la mer et du littoral est en effet l'affaire de tous. Il convient donc de mettre en place une gouvernance adaptée aux différentes échelles d'intervention pour la gestion des risques et les situations de crise.

L'État est quant à lui responsable de la sécurité des personnes, responsabilité régalienne. Le fonds « Barnier » affirme sa présence à cet égard, notamment pour les submersions. Les élus locaux se sont vus quant à eux transférer progressivement cette responsabilité à travers les plans de submersion rapide (PSR), les stratégies locales de gestion des risques littoraux, les programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI), les plans de prévention des risques littoraux (PPRL), la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI). Leur mise en oeuvre constitue néanmoins une charge pour les communes.

Le département accompagne les collectivités locales en ingénierie pour la mise en oeuvre de la compétence GEMAPI. Il apporte ainsi un soutien financier aux plans de prévention, au titre d'une convention tripartite entre l'État, la région et les départements de Loire-Atlantique et de Vendée.

Le département agit au titre de ses compétences propres, en matière d'action foncière pour l'acquisition, la gestion foncière et la préservation d'espaces naturels en zone littorale et rétro-littorale. Il met en place des astreintes pour les routes, les bâtiments ainsi que le domaine fluvial et maritime en cas d'événements tempétueux et interventions en cas de sinistres. Il participe au contrat territorial de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces

Pour Xynthia, le département s'est ainsi substitué au propriétaire de la digue des marais salants pour sa restauration.

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