Intervention de Nicolas Imbert

Réunion du mardi 3 juillet 2018 à 16h30
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et Territoires :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui. Le nom de notre association, Green Cross France et Territoires, met en évidence la dimension territoriale des vulnérabilités insulaires, mais aussi des pistes de résilience. Nous sommes une ONG internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev en 1993 à l'issue de sa présidence de l'URSS. L'année précédente, en 1992, l'ex-chef d'État était intervenu au sommet de Rio sur l'environnement et le développement pour souligner l'urgence à agir dans ces domaines, mais aussi le fait que les moyens de mobilisation d'alors étaient insuffisants pour agir efficacement. Il avait affirmé que la transition écologique devait se faire au plus proche du territoire, en faisant appel à toutes les bonnes volontés, qu'il s'agisse des acteurs économiques de la vie civile ou des différents niveaux de gouvernement.

Notre nom, Green Cross – en français : « la croix verte », fait référence à la Croix-Rouge, qui agit dans le domaine social et sociétal tandis que le nôtre est celui de l'environnement. Notre action est concentrée sur cinq domaines, tous liés au dérèglement climatique et correspondant au quotidien des populations. Premièrement, l'eau, le littoral et l'océan – l'eau étant par excellence le besoin vital du quotidien ; deuxièmement, l'alimentation ; troisièmement, l'énergie, les villes et les territoires durables ; quatrièmement, l'économie circulaire ; cinquièmement, enfin, la coopération et les solidarités, un axe montrant bien que nous nous situons dans l'optique d'une transition écologique et que nous essayons de coconstruire – ce qui rejoint la préoccupation exprimée par Pierre Larrouturou sur la nécessité de passer d'une logique de concurrence à une coopération, notamment au niveau des collectivités locales.

Nous nous inscrivons dans une perspective humaniste, qui nous a conduits en 2015 à répondre à la demande du Président de la République, François Hollande, en amont de la COP21, à prendre part à la rédaction d'un projet de Déclaration des droits et devoirs de l'humanité, un texte à hauteur de femme et d'homme, destiné à nous guider pour permettre une évolution de l'humanité basée sur la préservation de l'environnement. Ce texte innovant, situé entre la soft law et le droit, nous permet de disposer d'un nouveau contrat global pour la transition écologique pouvant régir les rapports entre des citoyens, des États, des entreprises et différents groupes de population. Cette notion, que je ne vais pas détailler davantage pour le moment, est d'un grand intérêt dans le sujet qui nous occupe.

Dans le cadre de la présente audition, je souhaite évoquer une thématique particulière, celle de la vulnérabilité à la résilience. Sur ce point, notre association a mené des travaux avec les pays littoraux, et nous avons pu constater une impulsion extrêmement forte au moment de la COP 21, qui a joué un rôle significatif dans l'adoption du texte à l'unanimité – avec le fameux coup de marteau à la feuille verte de Laurent Fabius. L'accord de Paris tenait compte de la situation particulière des petites îles et de la nécessité de les aider à trouver des outils afin de passer de la vulnérabilité à la résilience – l'idée étant que le sort de ces petites îles préfigure ce qui attend non seulement nos zones littorales mais aussi, à terme, l'ensemble de l'humanité.

La COP 22 de Marrakech a prouvé l'importance de la mobilisation territoriale, tandis que la COP 23, qui s'est tenue sous présidence fidjienne à Bonn, a montré, tout comme les manifestations préalables à cette conférence, qu'il existait une myriade de petits et de micro-projets, d'un coût inférieur à 5 millions d'euros, permettant de répondre aux urgences et conçus localement, avec des savoir-faire locaux et dans le cadre d'un travail en réseau.

L'une des priorités s'imposant à nous, notamment dans la perspective de la COP24, c'est de respecter la feuille de route définie par l'accord de Paris. Le 15 mai dernier, assistant au sommet de Vienne des leaders en faveur du climat, auxquels prenaient part, entre autres, Laurent Fabius, Arnold Schwarzenegger et Brune Poirson, j'ai entendu deux paroles qui m'ont particulièrement marqué. Premièrement, Laurent Fabius, qui connaît mieux que quiconque l'accord de Paris, a souligné que nous n'en étions qu'à 30 % des engagements figurant sur la feuille de route définie en 2015. Au-delà de la question de l'avancement technique, ce constat obère la confiance des petits États dans l'accord de Paris et constitue un très mauvais signal au moment où un axe climatosceptique s'est mis en place autour de Donald Trump.

Deuxièmement, Arnold Schwarzenegger, qui a toujours été mobilisé en faveur d'une transition systémique, que ce soit aux côtés de l'association R20 Regions of Climate Action ou dans le cadre de son mandat de gouverneur de Californie, a déclaré au sujet du dérèglement climatique que, pour les citoyens, l'urgence porte avant tout sur la qualité de l'air et de l'alimentation, ainsi que sur les réponses qui peuvent être apportées aux phénomènes climatiques extrêmes qu'ont connus la Californie, le Colorado, la Floride et le Texas au cours des douze derniers mois. La réponse technique et politique à ces différentes questions, consistant entre autres à rechercher les moyens de faire évoluer les habitudes, notamment sur le plan alimentaire, et de construire la résilience urbaine et un futur serein pour tous, correspond bien à notre conception humaine et humaniste de la lutte conte le dérèglement climatique.

Il va y avoir, d'ici à la fin de l'année, plusieurs échéances particulièrement importantes, bien qu'elles passent un peu inaperçues. À la fin du mois de juillet va se tenir à Fidji le Climate Action Pacific Partnership (CAPP), c'est-à-dire la conférence préparatoire à la COP 24, qui va déterminer une grande partie de l'agenda qui sera porté par la présidence fidjienne à la COP 24. Il s'agira notamment de déterminer la réponse à apporter à la ligne de l'accord de Paris sur les vulnérabilités et résiliences des États et territoires insulaires, qui constitue un thème d'une actualité brûlante : de ce point de vue, il y aura vraisemblablement un marqueur politique à positionner à Katowice, lors de la COP 24. Ce point est d'autant plus important qu'il a fait l'objet de nombreuses interventions lors du One Planet Summit, et les premiers signaux donnés par la présidence polonaise de la COP 24 nous incitent à faire tout ce qu'il est possible, avant même que cette conférence n'ait lieu, pour la positionner sur une bonne trajectoire.

L'urgence d'agir est d'autant plus nécessaire que les acteurs financiers, notamment les réassureurs, les assureurs et un certain nombre de grandes marques internationales, sont aujourd'hui convaincus qu'il est urgent d'agir, et de le faire beaucoup plus vite que ce que prescrit la feuille de route fixée aujourd'hui à l'échelle européenne et à l'échelle nationale. J'en veux pour preuve le Transition Monaco Forum qui s'est tenu la semaine dernière, ayant pour objet de travailler sur des business models émergents : il s'agissait d'une manifestation du monde de la finance à la rencontre des ONG plutôt que l'inverse, qui a été l'occasion de partager l'essentiel du constat que je vous ai présenté.

Pour conclure, je veux partager avec vous quelques retours d'expérience – ainsi que les suggestions qu'ils m'inspirent –, issus de travaux menés en 2012 et ayant connu une accélération en 2015, quand le cyclone Pam a frappé le Vanuatu, avec des vents de 300 kilomètres par heure soufflant sur un bassin de population de 300 000 personnes. Le bilan avait consisté en une île totalement dévastée et neuf morts – un nombre de victimes pouvant apparaître comme relativement modéré si l'on considère que l'inondation survenue dans le même temps en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, aux environs de Cannes et de Nice, avait fait dix-huit morts dans un bassin de population équivalent. Pour ce qui est des dommages matériels, on a constaté que toutes les installations mises en place grâce au financement international – les hôpitaux, l'accès à l'énergie, les systèmes d'assainissement – avaient été détruites, alors que les constructions traditionnelles étaient restées debout. Il a fallu répondre à la situation d'urgence, déverrouiller les ports saturés par une aide internationale inadaptée, faire arriver les bateaux qui transportaient des outils de premières urgence, nécessaires pour le quotidien des populations, aider à la reconstruction des systèmes alimentaires, des systèmes électriques, et de tous les services régaliens assurant une citoyenneté apaisée. Parallèlement, il fallait préparer le futur afin de s'assurer que la reconstruction faite dans l'urgence allait mieux tenir : il fallait éviter de reconstruire à l'identique un système qui s'était montré défaillant.

En cette occasion, nous nous sommes rendu compte de l'existence de sujets très spécifiques, notamment sur les questions relatives au littoral et aux lagons. On ne peut rien faire contre les courants ni contre les phénomènes climatiques extrêmes : on ne construit pas un barrage contre le Pacifique, pour faire référence à un célèbre roman, et il est prouvé que les techniques architecturales les plus efficaces sont celles qui ont construit des liens entre les savoirs traditionnels locaux et les connaissances les plus avancées au niveau mondial en matière technologique, scientifique, mais aussi artistique. Si l'on évalue facilement les dégâts survenus à terre et en zone urbaine, il est important pour préparer le futur de regarder également comment les courants évoluent à la suite des phénomènes climatiques extrêmes, ce qui se passe en haute mer et comment les choses sont susceptibles d'évoluer. Si nous ne le faisons pas, très souvent les mafias le feront à notre place, ce qui donnera lieu à des activités de pêche prédatrice ou à une invasion des lagons par des bateaux essayant de tirer profit du fait que les moyens de l'État sont mobilisés ailleurs.

La deuxième leçon que nous tirons de notre expérience de terrain est beaucoup plus positive : c'est que dans les techniques de construction, on voit se mettre à l'oeuvre un génie humain, une mise en valeur tout à fait essentielle du savoir-faire des patrimoines historiques et des capacités de coopération locale. Le fait de travailler par plateformes régionales permet d'avancer sans que s'instaure une logique de concurrence entre l'Atlantique, le Pacifique, la Caraïbe et l'océan Indien, et tout ce qui a pu être fait en amont avec l'économie circulaire constitue un très bon atout.

J'en viens à mes propositions, au nombre de cinq plus une. Premièrement, en matière d'événements climatiques, on se rend compte que les dispositifs d'alerte précoce ne sont pas encore optimisés et que les moyens qui leur sont alloués au sein de l'Agence spatiale européenne ou par le biais d'autres financements européens, nationaux ou régionaux, sont précaires. Comme l'avait souligné Cédric Villani dans son rapport sur l'intelligence artificielle, il convient de travailler sur une massification des moyens dans les domaines de la météorologie, du big data, des sciences participatives et des savoirs coutumiers – à titre d'exemple, il est très utile de savoir que le fait qu'un oiseau d'une certaine espèce se tienne silencieux indique qu'il va se passer quelque chose dans les sept prochaines heures. Par ailleurs, les schémas de coopération nous permettent aujourd'hui d'établir des partenariats public-privé et des coopérations internationales. Ce n'est pas le domaine réservé des GAFA : dans ce domaine, les start-up et le patrimoine d'innovation français ont un rôle essentiel à jouer.

Deuxièmement, à l'heure actuelle, les projets supérieurs à 5 millions d'euros, appliqués de manière indifférenciée sur le territoire, ne sont pas les plus adaptés aux contextes insulaires de la Caraïbe, du Pacifique ou de l'océan Indien. L'expérience a montré qu'il valait mieux privilégier une myriade de projets d'un coût compris entre 500 000 euros et 5 millions d'euros, prévoyant un partage des compétences et une mutualisation des acteurs ayant la capacité d'échanger entre eux : les projets de ce type permettent d'obtenir de bien meilleurs résultats et aboutissent à ce que l'argent mis en oeuvre soit bien mieux employé, car il aura été utilisé de façon plus intelligente et ainsi rendu beaucoup plus opérationnel. C'est cette proximité, jointe à la mise en réseau et à l'intervention de tiers de confiance, qui nous permettra d'avancer le plus efficacement.

Troisièmement, on se rend compte que, trop souvent, on s'acharne à construire des barrages contre le Pacifique, pour reprendre l'image à laquelle j'ai fait référence tout à l'heure – par exemple, des ouvrages de BTP dans certaines régions de l'Océan indien –, s'inscrivant dans une logique dépassée de développement minéral des territoires insulaires. Or, pour être efficaces contre les inondations, nous devons réintroduire l'organique et être cohérents en matière de politiques de subventions publiques et privées, dans le respect des textes internationaux ratifiés par la France.

Quatrièmement, partant du constat que le littoral – atlantique, en particulier – a beaucoup bénéficié de la taxe Barnier, consistant en un prélèvement sur les titres de transport en bateau et en avion à destination des îles, et qui est réinjectée localement au profit de projets de transition écologique locaux, de préservation du patrimoine et de ceux qui y vivent, nous pourrions créer une taxe « résilience » basée sur le même principe.

La dernière de mes cinq propositions porte sur la transition vers l'économie circulaire insulaire. Il est de dix à cent fois moins cher de prévenir plutôt que de guérir. Aujourd'hui, les îles peuvent être des pionnières de l'économie circulaire et avoir un effet d'entraînement sur tous les pays riverains qui nous permettrait de devenir au sein de chaque zone des points d'attractivité sur le moyen et le long terme.

J'ajoute une sixième proposition au caractère plus spécifique. Nous sommes à une époque où il est important de parler de la France qui gagne, et pas uniquement dans le domaine du sport. Le fonctionnement sur le mode « équipe de France » a montré sa pertinence en 2015. Nous avons aujourd'hui la possibilité de construire trois importants pôles de résilience : un premier dans l'océan Atlantique autour des îles françaises des Caraïbes ; un deuxième dans l'océan Indien autour de La Réunion ; un troisième dans l'océan Pacifique autour de la Polynésie, de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna. Dans les îles de la Méditerranée, et dans les îles du Ponant et du littoral atlantique, des initiatives analogues pourraient être lancées. Ces cinq pôles d'excellence seraient la démonstration que la France est pionnière dans l'application de l'Accord de Paris et que notre pays est à la hauteur des enjeux climatiques.

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