Intervention de Jean-René Binet

Réunion du mercredi 16 mai 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Jean-René Binet, professeur de droit privé à l'Université de Rennes :

Je laisserai au professeur Mathieu la philosophie du droit, c'est plus confortable d'ailleurs. Beaucoup de questions soulignent l'écart entre la rapidité du progrès scientifique et l'évolution de la loi. Quel est alors le bon rythme pour réviser la loi ? Cinq ans, sept ans, dix ans ? Je ne sais pas. On constate que, depuis 1994, le législateur n'a pas toujours été à l'heure au rendez-vous. Il lui a parfois fallu un délai un peu plus long que celui fixé initialement. Les lois de 1994 devaient être révisées au bout de cinq ans, elles l'ont été en 2004. Le législateur peut donc, quand il le souhaite, prendre le temps de la réflexion avant d'intervenir. Mais il n'a jamais hésité à intervenir entre les révisions programmées, quand il a fallu modifier une disposition issue des lois de bioéthique sans attendre. La loi du 26 janvier 2016 modifie ainsi certains aspects des conditions du prélèvement d'organes post mortem, ce qui aurait pu attendre la révision actuelle. Le législateur agit donc quand il l'estime nécessaire, de sorte qu'en réalité la loi n'est pas véritablement contrainte par un rythme fixé.

Le risque de faire du législateur le « notaire » du progrès scientifique, du droit l'intendance du fait, existe. Mais il n'y a là rien d'inéluctable. On prétend parfois que le droit doit s'adapter aux faits. Si l'on y regarde de près, le législateur arbitre des choix entre plusieurs possibles : soit enregistrer une avancée scientifique, soit l'interdire, parce qu'il l'estime nécessaire. Ce risque de placer le droit « à la remorque » de la science est un peu surestimé, mais il ne faudrait pas le mésestimer. Le législateur doit – je n'ai pas de leçon à lui donner – se sentir libre de la manière dont il envisage ce qui est présenté comme une nécessité, un progrès, un danger, prendre le temps de la réflexion, voir si les modifications possibles sont de nature à s'inscrire dans un cadre conceptuel existant satisfaisant, rompre celui-ci s'il le faut. L'important quand on déconstruit, c'est de reconstruire pour garantir une cohérence et sur certaines questions les équilibres sont tellement difficiles à atteindre qu'il faut parfois se contenter de l'imperfection si l'on n'est pas sûr de pouvoir atteindre la perfection – tel était en substance le message de Portalis dans le discours préliminaire au code civil.

Quel équilibre entre des principes, implicites ou explicites, et des interdits ? Certains interdits sont posés parce qu'ils correspondent, c'est le plus important, à la préservation de valeurs que le législateur français, dans l'exercice de sa souveraineté, considère comme essentielles. C'est uniquement à l'aune de ce débat que les principes ou les interdits doivent être remis en cause. Si le législateur estime que la gestation pour autrui n'est pas attentatoire à la dignité de la personne humaine, l'interdit peut être supprimé. S'il estime au contraire que la dignité de la femme, la marchandisation des enfants, une trop grande disponibilité des personnes sont en jeu, il doit veiller au respect du principe en renforçant, le cas échéant, les sanctions qui s'attachent à la violation des interdits posés.

Quant au principe d'indisponibilité, son statut est discuté. Pour certains, dès lors que le législateur ne l'a pas inscrit en 1994 dans le code civil, ce principe n'existe pas. En 1994, le projet initial du gouvernement était d'inscrire ce principe dans ce qui devait devenir l'article 17 du code civil, le principe d'indisponibilité étant considéré en relation avec le principe de dignité de la personne humaine. Finalement, ce n'est pas le choix qui a été fait. Mais on peut considérer que l'articulation entre la prohibition ferme de la gestation pour autrui à l'article 16-7 et l'énumération des conditions très strictes pour toute utilisation des éléments et produits du corps humain conduisent à considérer que, en effet, tout acte de disposition portant sur un élément ou produit du corps humain ne peut se faire qu'à titre exceptionnel, par exception au principe d'indisponibilité. Ce principe devrait-il devenir explicite ? Il pourrait utilement l'être en inscrivant dans le code civil à l'article 16-1-1 que le corps humain est non seulement inviolable, mais indisponible. Le principe d'indisponibilité en serait-il renforcé ? Sans doute, cette inscription dans la loi lui donnant plus d'expressivité. Faudrait-il l'élever à un rang supplémentaire ? Ce pourrait être une bonne idée, mais il est tellement lié au principe de dignité de la personne humaine que l'on peut considérer que la préservation d'un principe conduit à la préservation de l'autre.

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