Intervention de Alain Fischer

Réunion du mercredi 16 mai 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique, titulaire de la chaire de médecine expérimentale au Collège de France :

Je vous remercie de cette invitation à participer à un débat important, sur deux sujets : les conditions d'utilisation des progrès de la génomique en médecine et le progrès des cellules-souches embryonnaires. Je limiterai mon propos à ce second aspect, sachant que mes collègues traiteront de la génomique.

En 1998, des chercheurs, des Britanniques en premier, ont établi la possibilité de dériver ce qu'on appelle des cellules souches embryonnaires à partir de l'embryon humain au stade cinq, sept jours après fécondation. Ces cellules, qu'on peut maintenir indéfiniment en culture, peuvent être différenciées in vitro à peu près dans tous les tissus et sont donc un outil très important de la recherche sur le développement de l'embryon humain et au-delà, des différentes lignées cellulaires.

Un second progrès très important est venu, à partir de 2006, des travaux du professeur Shinya Yamanaka au Japon sur la capacité d'induire des cellules très voisines – les cellules induites pluripotentes – par reprogrammation de cellules de fibroblastes de la peau ou de cellules du sang : on peut, par des modifications génétiques, les retransformer en cellules souches embryonnaires, pour le dire de façon schématique. Ces cellules induites pluripotentes sont également extrêmement importantes pour la recherche puisqu'on peut les utiliser pour les différencier en toutes sortes de tissus. Elles peuvent provenir d'un individu sain, mais aussi d'un individu malade dont on pourra alors étudier les caractéristiques cellulaires. Assez souvent dans le débat, on considère un peu rapidement que les cellules souches embryonnaires issues d'un embryon et les cellules souches pluripotentes sont équivalentes. Elles ont en effet énormément de points de commun. Mais elles ont des différences. Les cellules souches pluripotentes ont un programme épigénétique de reprogrammation de la façon dont les gènes sont commandés et régulés qui n'est pas tout à fait stable ni physiologique – c'est en soi un sujet de recherche extrêmement important, si de telles cellules devaient être utilisées un jour dans un usage thérapeutique. Ce sont donc deux sources de cellules de grand intérêt en recherche, comparables mais non identiques.

La recherche sur les cellules souches embryonnaires, qui nous occupe ici, répond à trois situations : la recherche sur des lignées de cellules souches déjà existantes, puisqu'on sait les dériver depuis vingt ans ; la recherche sur la création de nouvelles lignées ; la recherche sur l'embryon entier.

Il existe déjà un grand nombre de lignées de cellules souches embryonnaires de par le monde et utilisées en France également. Elles ont été obtenues à partir d'embryons surnuméraires. Réutiliser une telle cellule qui existe en laboratoire n'implique pas de destruction de l'embryon. Actuellement, l'étude de telles cellules dans la recherche nécessite une autorisation préalable. On peut se demander s'il est nécessaire de maintenir celle-ci dans la mesure où ces cellules ne peuvent donner naissance à un embryon entier, mais servir uniquement à des expériences en laboratoire. Certains pays comme la Grande-Bretagne ont franchi ce pas, et l'accès aux cellules souches embryonnaires de lignée préexistante est libre.

Mais, en deuxième lieu, même s'il existe déjà de nombreuses lignées dérivées, il y a toujours intérêt à en créer de nouvelles, à partir d'un embryon « sain » ou d'un embryon pathologique lorsqu'un diagnostic préimplantatoire de maladie a été établi et que l'embryon ne sera pas implanté. Dans les conditions actuelles de recherche, la loi dit que cette recherche doit être pertinente, avoir une finalité médicale et respecter les règles d'éthique autour de l'embryon ; ceci ne se discute pas. Mais il est un point dont je souhaite discuter. La loi dit qu'il est légitime de travailler avec ou de créer des cellules souches embryonnaires s'il n'y a pas d'alternative. Et on affirme alors que l'alternative potentielle est la recherche sur les cellules souches induites pluripotentes. Je mets en garde contre cette fausse équivalence. Il s'agit plutôt de recherches complémentaires qui nécessitent des comparaisons. Je suggérerai donc de supprimer cette mention de l'absence d'alternative pour créer et faire des recherches sur les cellules souches embryonnaires.

En troisième lieu, une avancée scientifique récente mérite discussion : la capacité de développer une recherche sur un embryon entier, il va de soi sans réimplantation, sur une période de quatorze jours comme cela a été défini dans certains pays. À titre d'exemple, le plus beau travail dans ce domaine a été publié l'été dernier par des collègues britanniques dans la revue Nature. Ils ont modifié génétiquement des embryons préexistants sans projet parental – il n'en a pas été créé – à partir de la technique Crispr-cas9 –, inactivé l'expression d'un gène très important dans le développement de l'embryon et ont suivi celui-ci pendant quatorze jours. Cette recherche quasi fondamentale a permis de déterminer de façon très précise le rôle de ce gène chez l'embryon.

Ces recherches sont pertinentes, ont un intérêt cognitif et, potentiellement, un intérêt médical. Pour ma part, je ne sais pas si la loi actuelle en France autorise ou non de maintenir des embryons en culture pendant quelques jours et, éventuellement, de les modifier génétiquement dans un but de recherche et sans projet thérapeutique. Si c'est le cas, tant mieux, mais je n'en suis pas vraiment sûr. Si ce n'est pas le cas, je pense que ces recherches pertinentes sont éthiquement légitimes et je suis favorable à ce qu'elles deviennent possibles. Le débat a lieu dans d'autres pays et la question se pose de savoir s'il serait légitime de créer des embryons pour faire cette recherche sur l'embryogénèse précoce – je n'ai pas de position tranchée. De façon sous-jacente, au-delà de l'éthique pure, se pose aussi la question des ovocytes, qu'il est difficile d'obtenir ; il faut être très attentif.

Un autre débat extrêmement délicat est loin d'être tranché : dans les pays où cette recherche est autorisée, n'y aurait-il pas intérêt à prolonger la période de quatorze jours pour aller plus loin dans la recherche sur les stades de différenciation ? Sans avoir de réponse à ces questions, je pense qu'elles doivent être évoquées.

S'agissant de l'utilisation thérapeutique à partir des cellules souches embryonnaires humaines, il y a des essais en cours et de multiples publications. Les quelques résultats sont très timides, on en est aux balbutiements. Il n'y a pas encore eu d'application thérapeutique à partir des cellules souches pluripotentes, pour la raison que j'ai évoquée et pour quelques autres. Je ne pense pas que cela suscite de problème éthique spécifique. Les problèmes éthiques, dont on parle un peu trop, porteraient éventuellement sur l'utilisation de l'ingénierie génomique avec la technique Crispr-cas9, pour corriger une maladie génétique grave chez un embryon. Des publications à ce sujet, notamment l'été dernier, ont montré qu'il y avait un certain degré de faisabilité, même si l'on est loin d'une reproductibilité parfaite et si les questions de modification génomique ne sont pas totalement résolues.

Il y a deux cibles possibles, la première étant les gamètes – aujourd'hui la technique n'est pas au point, mais on peut envisager de modifier un jour des précurseurs de spermatozoïdes et d'obtenir des spermatozoïdes génétiquement modifiés, par exemple – cela reste théorique – pour traiter une stérilité masculine ou éviter la transmission d'une maladie génétiquement héréditaire. La technique n'est pas entièrement au point, mais il y a de nombreuses recherches à ce sujet.

L'autre cible, c'est l'embryon zygote, c'est-à-dire juste après la fécondation, sur lequel on interviendrait de telle manière que toutes les cellules soient corrigées. On entre alors dans toute une série de considérations qu'il va être difficile de résumer dans le temps qui m'est imparti ! Disons que le fait de traiter une cellule malade pour laquelle il n'y a pas de thérapie est théoriquement envisageable, mais cela nécessite un diagnostic préimplantatoire, technique qui permet de sélectionner des embryons sains dans la majorité des cas, ce qui est plus simple que d'avoir à modifier un embryon. Une alternative est le don de gamètes.

À ce stade d'avancée technique et de question éthique sous-jacente, paraît-il utile de modifier la loi, laquelle interdit toute modification du patrimoine génétique héréditaire ? Mon opinion personnelle est que non. Non seulement la technique n'est pas au point, mais sur le plan éthique il y a des questions de pertinence qui ne sont pas résolues. Dans les considérations d'un grand nombre de sociétés savantes et d'académies qui ont traité de ce sujet, et envisagé à terme cette possibilité quand il n'y a pas d'alternative et dans des conditions extraordinairement encadrées, cela implique aussi un suivi transgénérationnel : les personnes nées d'une telle technique et leurs descendants devront être suivis, ce qui pose des questions de faisabilité et d'éthique extrêmement complexes.

Enfin, j'aurais aimé parler de l'accessibilité d'une nouvelle thérapeutique dérivée des connaissances génomiques considérables dans le domaine des maladies héréditaires mais aussi du cancer et des maladies infectieuses. L'accessibilité est limitée par le prix faramineux de mise sur le marché de ces médicaments – plusieurs centaines de milliers d'euros par an et par malade pour certaines molécules de substitution dans des maladies génétiques. Continuer dans cette voie mène à une situation très problématique. Je ne demande qu'à développer si vous voulez bien m'interroger à ce sujet.

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