Intervention de Alain Fischer

Réunion du mercredi 16 mai 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique, titulaire de la chaire de médecine expérimentale au Collège de France :

Je répondrai à certaines questions seulement. M. Touraine s'interroge sur la thérapie génique des embryons. La question ne se pose pas aujourd'hui sur le plan pratique. Sur le plan théorique, il peut s'agir d'une thérapie des cellules germinales à un stade extrêmement précoce, « idéalement » sur la cellule zygote. Le consensus se fait pour dire qu'il n'est pas légitime d'aller dans ce sens actuellement. L'alternative, dite somatique, est d'intervenir sur certaines cellules de l'embryon, c'est-à-dire comme on le fait sur la période prénatale. L'embryon étant à un stade très précoce du développement, je ne suis pas certain qu'il existe beaucoup de possibilités scientifiques d'agir à ce stade. Sur un plan strictement théorique, on s'inscrit dans le problème général de la thérapeutique anténatale, qui rejoint le cadre classique des essais thérapeutiques en médecine, même s'il s'agit d'un contexte très particulier, qui sont tout à fait encadrés. Je ne pense pas qu'une thérapie génique qui s'appliquerait chez un foetus plutôt qu'un embryon, par transfert de cellules ex vivo, s'écarte des possibilités d'une intervention en prénatal.

Quel est l'intérêt de la recherche sur l'embryon entier, voire de la création d'embryon ? a demandé M. Eliaou. Les recherches classiques se sont faites à partir de cellules souches embryonnaires dérivées en tissu neurologique, hépatique, osseux, etc., soit d'un point de vue cognitif, pour comprendre les mécanismes de différenciation des neurones de telle partie du cerveau par exemple, soit pour comprendre l'influence d'une anomalie génétique sur les neurones, soit pour tester un médicament sur des cellules anormales. Ce type de recherche a pour limite d'envisager un petit nombre de tissus ; la recherche sur l'embryon entier permet de s'interroger sur les étapes du développement en ce qu'elles concernent tous les tissus en même temps ou une fraction importante. Ainsi les chercheurs britanniques viennent de montrer que le gène Oct-4 – octamer-binding transcription factor 4 – joue un rôle très important dans le développement des feuillets. On ne peut aborder ces questions en travaillant sur les lignées cellulaires embryonnaires. On apprécie ce qui se passe chez l'embryon dans les premiers jours de son développement à partir de travaux sur les mammifères, mais il y a des spécificités chez l'homme. Un tel questionnement scientifique est, à mon avis, absolument pertinent, et ne peut se faire autrement, ce qui justifie pour moi que cette recherche soit possible. À ce propos, le passage de sept à quatorze jours permettrait déjà d'approfondir l'étude du développement des différents tissus. Des chercheurs étrangers en pointe dans ce domaine, les Britanniques, les Israéliens, également les Américains et les Suédois, se posent la question, très délicate, d'aller au-delà de quatorze jours : on aborderait alors aussi d'autres questions intéressantes. Mais forcément, il faut fixer une limite. En ce qui concerne la France, il me paraît évident qu'il faut passer de sept à quatorze jours, car il n'y a pas de risque éthique puisqu'il n'y a pas de réimplantation, et sur le plan scientifique, l'apport sera essentiel.

La création d'embryons directement destinés à la recherche est plus délicate. La question dépasse un peu mes compétences, mais ce que je comprends, c'est qu'on pourra ainsi agir en amont même du zygote. C'est ce qui marche le moins mal aujourd'hui, dans les travaux de potentielle thérapie génique de l'embryon. Pour l'instant, la question n'est vraiment pas d'actualité. Il est probable que faire des modifications génétiques avant même que la cellule monozygote ait été créée, donc à un stade ultraprécoce de l'embryogénèse, permette de recueillir des informations. On pourrait le concevoir dans ce cas très précis et de façon très réglementée.

En effet, comme bien des nouvelles thérapeutiques, la recherche sur les cellules souches embryonnaires avait suscité beaucoup d'attentes, avec des annonces excessives sur des résultats très importants à court terme. Ce n'est évidemment pas le cas. Il y a quelques communications, comme récemment sur une application aux pathologies génétiques de la rétine par introduction de cellules différenciées à partir de cellules souches embryonnaires. Mais je reste très prudent. On n'a pas encore constaté beaucoup de bénéfices pour les patients des essais cliniques menés actuellement, mais cela ne signifie pas qu'il faille condamner cette recherche. Par exemple, les anticorps monoclonaux sont aujourd'hui un domaine majeur de la médecine – mais se pose la question du coût – alors qu'il y a vingt-cinq ans les premières tentatives avaient échoué. Heureusement, on n'a pas arrêté la recherche dans ce domaine. Je dirais volontiers la même chose à propos des cellules souches embryonnaires. La France n'est pas en pointe, car l'autorisation de faire des recherches sur ces cellules a été tardive et plus restreinte qu'ailleurs. Mais il y a des travaux intéressants en cardiologie, ophtalmologie et thérapeutique du pancréas. Nous participons, à une échelle modeste. À mon sens, ces recherches méritent d'être promues.

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