Intervention de Grégoire Loiseau

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 11h00
Commission des affaires sociales

Grégoire Loiseau, professeur de droit privé à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

Je ne répéterai pas ce qui a ce qui a été très bien dit. Faut-il légiférer et sur quoi ? Il faut être extrêmement prudent. Nous sommes au début d'un phénomène dont on perçoit parfois plus les risques que l'on en voit les avantages, et la situation est en effet anxiogène. Je crois qu'il faut se laisser du temps pour appréhender le phénomène et ne pas surlégiférer, au risque de figer les choses et de produire un droit autarcique.

L'époque où la France exportait son code civil est révolue. Aujourd'hui, si l'on veut faire un droit qui ait du sens, il doit être régional, au moins européen. Compte tenu des enjeux techniques, économiques et de droit social, rien ne se fera d'utile, d'efficace et d'efficient qui serait purement national. Cela ne signifie pas qu'il faille rester les bras ballants, en attendant que la Commission européenne et le Conseil avancent des projets. La France a un rôle moteur, parce que son influence au sein de l'Union est historique et aujourd'hui très importante, mais aussi parce qu'elle s'apprête à légiférer sur certains points.

La plume ne doit pas être bavarde, mais simple. Il s'agit de montrer l'exemple en rappelant quelques grands principes. Madame la présidente, je ne suis pas convaincu qu'inscrire dans la Constitution le principe de la primauté de l'être humain ou, ce qui reviendrait au même, celui de dignité humaine fera avancer juridiquement les choses, mais poser ce principe de hiérarchie dans le texte fondamental de notre République serait un acte symbolique fort.

Donnons-nous le temps. Comme cela vient d'être dit, le droit mou, auquel nous ne sommes pas accoutumés, peut être extrêmement utile dans cette période de latence, qui est aussi période d'appropriation, d'acculturation du phénomène. Aujourd'hui, on n'ose plus parler de morale et l'on préfère aller chercher chez les Grecs l'éthique, sans doute plus rassurante. Au moins à titre transitoire, l'éthique peut avoir eu une utilité. Alors que les acteurs eux-mêmes, comme Google ou Facebook, travaillent sur des chartes internationales éthiques, servant évidemment leurs intérêts, il faut que les instances nationales, supranationales, dans toute leur légitimité, posent cette éthique. Nous avons la responsabilité de le faire, sans attendre la charte éthique Facebook, déjà très avancée, au risque de nous la voir imposer, sans d'autre choix, d'un point de vue commercial et de compétitivité, que de s'y soumettre.

Il convient donc de légiférer avec beaucoup de prudence, plutôt dans le sens de l'acculturation sociale, c'est-à-dire uniquement quand cela est nécessaire, et d'utiliser l'éthique à titre transitoire. Il faut aussi agir au niveau de l'Union européenne pour faire valoir les grandes valeurs d'humanité qui ont fait les démocraties européennes, rappeler que la technologie est au service des humains et démonter le mythe du robot maître du monde. Nous en sommes très loin pour le moment, avec une intelligence artificielle de type faible ou moyen. L'idée d'une prise de pouvoir par les robots est, pour le coup, inutilement angoissante.

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