Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 5 juillet 2017 à 8h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes :

Telle que calculée aujourd'hui par les pouvoirs publics, la croissance potentielle, évoquée par Mme de Montchalin, est vraisemblablement surestimée. En France, nous évaluons l'écart de production à 3,1 points de PIB, tandis que la Commission européenne retient 1,3 point, soit une différence de près de 2 points. Ce n'est pas sans conséquence : en résulte une très sensible sous-estimation du déficit structurel, et de l'effort structurel nécessaire. Ce sujet compliqué relève plus du Haut Conseil des finances publiques que de la Cour des comptes, et chaque économiste donne une estimation différente de la croissance potentielle, mais si nous voulons parler de la même chose, il me semble qu'il faut essayer de se rapprocher des estimations de la Commission européenne, du FMI, de l'OCDE et d'autres organismes internationaux. Je sais que la Commission européenne s'interroge et nous-mêmes avons formulé un certain nombre de propositions qui prennent en compte d'autres indicateurs, pour pouvoir apprécier l'ampleur de l'effort structurel nécessaire. Il est important, notamment quand la conjoncture s'améliore, de ne pas sous-estimer le déficit structurel. La discussion d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques que doit proposer le Gouvernement à l'automne sera l'occasion d'en reparler, puisque le Haut Conseil des finances publiques aura l'occasion de formuler un avis à ce propos. En tout cas, l'écart nous paraît trop important entre l'estimation du Gouvernement et celle de certains organismes internationaux. Dans un souci de crédibilité, il faut le réduire.

M. Patrick Hetzel m'a interrogé sur l'enseignement supérieur, à propos duquel la Cour a déjà mené un certain nombre de travaux. Elle a notamment porté quelques appréciations sur la loi relative à l'autonomie des universités – renommée loi relative aux libertés et responsabilités des universités – que nous avons plutôt appréciée favorablement, tout en disant qu'il fallait vraisemblablement aller au-delà pour mettre à profit l'ensemble de ses dispositions. Nous sommes actuellement en train de travailler sur le sujet du regroupement des universités, qui vous préoccupe, monsieur Hetzel. Nous devrions pouvoir présenter ce travail au début de l'année prochaine. Je pourrai alors répondre plus précisément à votre question.

L'intervention de Mme Pires Beaune comporte plusieurs volets. Vous vous interrogez, madame la députée, sur la réalité que nous décrivons, puis sur le degré de gravité de cette réalité. Répétons-le : nous faisons une description objective de la réalité. La question de savoir s'il fallait plus ou moins de mesure ne se pose pas, selon nous. Nous estimons avoir fait un travail objectif, tout à fait en ligne avec les documents que nous avons pu obtenir lors de nos échanges contradictoires avec les administrations. D'ailleurs, tout le monde parvient à peu près aux mêmes chiffres, et à un déficit public de 3,1 ou 3,2 points de PIB. Il ne me paraît pas forcément pertinent de contester cette réalité, d'autant que la Commission européenne n'a jamais retenu le chiffre de 2,7 points de PIB. La Banque de France elle-même s'est exprimée, et s'attendait à un déficit à plus de 3 % du PIB, tandis que le Conseil constitutionnel n'a, pour sa part, jamais fait référence au chiffre de 2,7 % du PIB ; nous voyons bien qu'il lui posait une difficulté. Je ne sais pas ce que vous appelez une approche comptable, mais nous donnons la photographie la plus exacte possible de nos comptes au jour de la présentation de cet audit.

Quant aux coefficients multiplicateurs, nous les avons toujours pris en compte. Certes, la réalité économique relève plutôt du Haut Conseil des finances publiques, mais la Cour des comptes ne l'ignore pas pour autant. Et si le lien était si évident entre la croissance et la dépense publique, la France – je crois avoir déjà eu l'occasion de le dire devant cette commission – serait championne du monde de la croissance, son niveau de dépenses publiques étant des plus élevés. Le lien entre dépenses publiques et croissance n'est donc pas automatique. S'il suffisait d'augmenter la dépense publique pour alimenter la croissance... Toute l'analyse des années passées montre que cela ne correspond pas à une réalité économique. Nous le disons donc.

Nous ne sommes cependant pas favorables aux coupes à l'aveugle, et nous avons formulé un certain nombre d'observations critiques sur l'idée d'un rabot systématique. On peut comprendre que des mesures de ce type soient prises une année donnée, mais un rabot systématique, reconduit d'année en année, effectivement, c'est le contraire d'un arbitrage et cela peut avoir des effets pervers. Nous avons pu, dans un certain nombre de rapports, montrer de tels effets, qui concernaient un certain nombre de services régaliens de l'État. Il faut des mesures différenciées selon les priorités des pouvoirs publics et selon la taille des ministères, des opérateurs, etc. Des mesures structurelles et un certain nombre de réformes nous paraissent effectivement préférables aux coupes à l'aveugle.

Nous pensons que des marges demeurent au niveau des collectivités territoriales, à propos desquelles Mme Pires Beaune n'est pas la seule à m'avoir interrogé ; M. Saïd Ahamada l'a également fait. Nous aurons l'occasion, mesdames et messieurs les députés, de vous remettre au mois d'octobre un rapport sur les finances locales et de refaire le point, mais les situations sont très variées, selon les catégories de collectivités territoriales et au sein même desdites catégories. Nous reconnaissons tout à fait cette réalité objective, mais il y a sûrement encore des marges, notamment en matière de dépenses de fonctionnement. Les remontées des chambres régionales nous donnent un certain nombre d'exemples de collectivités territoriales qui maîtrisent mieux leurs dépenses de personnel et leurs dépenses de fonctionnement.

Quant à la réserve de précaution et à la sincérité, je crois que nous avons apporté un certain nombre de réponses. Il y a effectivement des gels et des surgels, mais, à un moment donné, ces surgels peuvent, je l'ai dit, devenir fictifs, ne pas correspondre à une réalité. Il y a des crédits engagés et des dépenses qui doivent être honorées, sans pouvoir être reportées. Sinon, ce sont aussi des éléments d'insincérité que nous pouvons constater. Et, oui, je le confirme, il y a des insincérités dans la présentation de nos comptes. Les exemples sont multiples, nous les avons détaillés : Areva ou encore l'UNEDIC – l'économie envisagée au moment de la loi de finances initiale était improbable.

M. Mohamed Laqhila m'a interrogé sur la certification des comptes des collectivités territoriales. L'expérimentation est en cours. Le Parlement a prévu qu'elle soit relativement longue, ce qui est utile. Il faut effectivement que l'on puisse travailler sur les conditions de la certification et préparer les collectivités territoriales candidates retenues pour que cette certification puisse se réaliser. Nous dirons un mot de la fiabilisation des comptes dans le rapport que je vous ai annoncé sur les collectivités territoriales et nous ferons le point sur cette expérimentation dans le cadre des rapports d'étape prévus. Prennent part à l'expérimentation des collectivités de tailles différentes, de toutes petites collectivités et de grandes collectivités. Nous devrons aussi vous dire si, pour notre part, nous trouvons pertinent que les comptes de toutes les collectivités territoriales soient certifiés. Je ne le pense pas, mais ne préjugeons pas des conclusions de cette expérimentation, dont il vous appartiendra de toute façon de tirer les conséquences.

MM. Gabriel Serville et Olivier Serva m'ont interrogé sur la sur-rémunération des fonctionnaires en poste outre-mer. Le coût de ces majorations, qui reposent sur des fondements relativement anciens, était, en 2015, de 1,4 milliard d'euros, et nous estimons que certaines différences entre départements, territoires et collectivités d'outre-mer ne s'expliquent pas et ne correspondent plus à des écarts de coût de la vie par rapport à la Métropole. Nous avons invité à une transformation de ce dispositif en un dispositif à trois étages : une majoration de traitement qui corresponde au surcoût réel, ce qui implique vraisemblablement une révision des barèmes ; une prime unique nouvelle, couvrant les frais d'installation outre-mer ; une fusion des indemnités de sujétion et d'éloignement, qui seraient réservées aux affectations les moins attractives. L'idée, je le répète, est non pas de faire des économies sur l'outre-mer mais d'utiliser avec plus d'efficacité et plus de justice ce montant en direction de l'outre-mer. La Cour des comptes ne veut pas reprendre des crédits à l'outre-mer, mais elle constate des injustices en ce qui concerne ces sur-rémunérations. Vous connaissez ces réalités. Je sais qu'il n'est pas facile de prendre des dispositions en cette matière, sur laquelle les élus d'outre-mer sont très mobilisés, mais c'est peut-être une question de justice.

Je ne reviens pas, monsieur Alauzet, sur les biais de construction et sur les éléments d'insincérité, que nous distinguons bien des aléas, toujours possibles. Effectivement, il faut pouvoir anticiper ; c'est normalement l'intérêt d'une réserve de précaution. Il n'appartient pas à la Cour de dire si les annulations de crédits doivent intervenir sous la forme d'un décret d'avance ou sous celle d'une loi de finances rectificative : au Gouvernement et au Parlement d'en décider. En revanche, nous avons pu constater, notamment l'an dernier, que des crédits annulés par décrets un jour pouvaient être rouverts le lendemain par une loi de finances et gelés la semaine suivante... Voilà qui offre une illustration des biais de construction et des insincérités.

Par ailleurs, oui, nous avons bien pris en compte la recette en 2018 de la contribution énergie-climat dans notre analyse.

Mme Dalloz a posé des questions sur la dette. Le graphique que vous trouverez en page 92 du rapport d'audit présente une simulation des conséquences d'une hausse de 100 points de base des taux d'intérêt – question également abordée par M. Julien Aubert. Cela représente 0,2 point de PIB à partir de 2018, puis 0,3 point à partir de 2019. L'impact total d'une augmentation des taux d'intérêt ne pourra cependant être constaté que lorsque la totalité du stock de la dette sera renouvelé ; les effets seront progressifs.

Projet de loi de finances rectificative ou décret d'avance ? Je reconnais mon incompétence en la matière. Je ferai donc la même réponse que je ferai à M. Stanislas Guerini. Il ne nous appartient pas de décider ; la LOLF prévoit les deux possibilités.

Nous ne sommes pas en désaccord avec ce qu'a dit Mme Pinel. Nous constatons globalement que toutes les dépenses, dans le domaine du logement, ne sont pas aussi efficaces ni aussi efficientes. Nous notons aussi qu'un certain nombre de dispositions ont été prises pour améliorer le ciblage – vous avez fait adopter des textes en ce sens, madame. Nous pouvons cependant constater que quelques dépenses fiscales – taux de TVA réduits pour les travaux, selon qu'ils améliorent la performance énergétique ou non – peuvent entraîner des effets d'aubaine, démontrés par des rapports d'évaluation au niveau national ou des travaux de la Commission européenne au niveau européen.

Notre rapport évoque l'aide personnalisée au logement pour les étudiants. La réforme n'a concerné que les personnes assujetties à l'impôt de solidarité sur la fortune.

Bien sûr, tous les dispositifs ne sont pas mauvais, loin de là, mais certains peuvent mériter d'être revisités. Nous sommes tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il faut bien évidemment cibler davantage, notamment sur les zones où le besoin est réel.

J'ai répondu à la question de M. Jean-Pierre Vigier sur les taux d'intérêt. Nous faisons bien la distinction entre le déficit de l'État et le besoin de financement des collectivités territoriales, lesquelles ne peuvent emprunter que pour investir. Ce besoin de financement n'en est pas moins pris en considération dans le cadre des administrations publiques.

M. Saïd Ahamada est revenu sur les questions de sincérité. Il y va effectivement de la crédibilité d'un pays et de sa capacité à respecter les engagements pris ; tout responsable public y est évidemment sensible. Nous faisons bien la différence entre les constats, les observations que nous faisons et les quelques préconisations que nous pouvons faire en termes de leviers d'action. Nous faisons un suivi de nos recommandations, y compris celles qui concernent l'État. D'ailleurs, c'est le président Paul, rapporteur général à la Cour des comptes, ici présent, qui examine, à partir d'indicateurs, les suites données à nos recommandations. Les administrations de l'État – pas seulement les collectivités territoriales – sont elles-mêmes tenues de nous informer des suites données à nos recommandations. Nous en faisons notamment état dans le second tome du rapport annuel que nous rendons au mois de février.

Je pense avoir répondu aux questions de M. Julien Aubert sur les taux d'intérêt. Quant à Areva, aucun élément ne nous permet de penser que d'autres entreprises pourraient être concernées par des recapitalisations susceptibles d'avoir des conséquences en termes de comptabilité maastrichtienne – mais nous n'avons pas forcément toutes les informations.

Nous n'avons pas travaillé sur le prélèvement à la source. Bien évidemment, la prévisibilité sera d'autant moins grande que la recette sera plus contemporaine. Si Bercy se trompe rarement dans la prévision de recettes au titre de l'impôt sur le revenu, c'est parce que l'impôt est perçu sur les revenus de l'année précédente. S'il est prélevé sur les revenus de l'année en cours, des aléas de conjoncture pourront avoir des conséquences sur la recette, dont la prévision pourra être un peu plus fragile.

Je suis sensible aux propos tenus par M. François Cornut-Gentille sur l'intérêt d'une loi de résultat. La question de son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale relève de la Conférence des présidents, mais pourrions-nous terminer nos travaux sur le budget de l'État avant le 31 mai ? Il faudrait que nous examinions la question avec Bercy. Si vous voulez que cet exercice soit le plus utile possible, il faut – c'est la difficulté – que tous les rapports annuels de performances aient effectivement pu être présentés. Il faut voir cela.

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