Intervention de Alexandre Gérard

Réunion du jeudi 12 juillet 2018 à 10h00
Commission des affaires économiques

Alexandre Gérard, PDG de CHRONO Flex :

Je préfère dire que je suis un témoin qui essaie de pratiquer, plutôt qu'un expert des entreprises libérées. On parle d'entreprise libérée mais on peut également parler d'entreprise plate ou d'entreprise à pyramide inversée. Ce qui est important pour nous, c'est ce qu'on essaie d'y faire : en l'occurrence, conjuguer de notre mieux la confiance, la liberté et la responsabilité. Les entreprises libérées se développement beaucoup : des centaines de PME et des grands groupes comme Décathlon, Kiabi, Norauto, Airbus ou Michelin se sont engagés dans cette voie. Dans toutes les entreprises du CAC 40, un certain nombre de personnes disent « Stop ». L'organisation pyramidale démontre ses limites tous les jours.

Je souhaite partager avec vous quelques-unes des clés du fonctionnement de cette nouvelle organisation, qui va au-delà du monde des entreprises puisque les caisses de la sécurité sociale, des villes et même une région ont décidé de basculer vers un mode de fonctionnement plus collaboratif.

La première clé de lecture est liée à Robert Rosenthal. Ce psychologue américain est l'inventeur de « l'effet Pygmalion » et de « l'effet Golem ». Rosenthal a découvert « l'effet Pygmalion » en réalisant l'expérience suivante : il sépare au hasard des rats en deux groupes égaux, puis donne chaque groupe à six étudiants chargés de les faire traverser un labyrinthe. Il informe le premier groupe que leurs rats ont été sélectionnés d'une manière extrêmement sévère et informe le second groupe que leurs rats n'ont rien d'exceptionnel. Lorsqu'arrive le jour de l'expérimentation, les rats du premier groupe gagnent allégrement l'épreuve. Cela prouve que le regard du coach, du patron, du responsable affecte la performance de l'équipe. Si le regard est positif, c'est ce que l'on appelle « l'effet Pygmalion ». Sinon, c'est « l'effet Golem ». Rosenthal a effectué une seconde expérience, cette fois-ci dans une école américaine. Les scientifiques choisissent de manière aléatoire des élèves. Ils leur font passer un test de QI, augmentent artificiellement le QI de quelques-uns et organisent une fuite d'information qui permet aux professeurs de découvrir que certains élèves ont un QI meilleur que les autres. Ils refont passer au bout d'un an des tests de QI. Les enfants dont ils avaient artificiellement augmenté le QI voient leur QI augmenter entre 5 et 25 %. Le regard des professeurs les a transcendés. Nous rentrons dans le domaine de la prophétie auto-réalisatrice : notre regard sur les autres les change. Nous pouvons décider que ce regard sera positif ou négatif. Il faut s'habituer à changer son regard et s'obliger à voir du positif dans le regard de l'autre.

Comment cela se décline-t-il dans l'entreprise Mc Douglas Grégor , professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) dans les années 1950 et 1960 a écrit La dimension humaine de l'entreprise et pose deux théories : la théorie du X et du Y. L'organisation dominante est pyramidale et basée sur la croyance selon laquelle les gens n'aiment pas travailler. Il existe un autre type d'organisation où, à l'inverse, on pense que le travail est aussi naturel que le loisir et où le rôle du patron n'est plus de gérer l'exécution de tâches mais de créer les conditions permettant à ses équipes de se réaliser. Ce « patron-jardinier » doit nourrir le sentiment d'égalité intrinsèque, doit donner à tous la possibilité de révéler son potentiel et doit permettre l'autonomie ou l'auto-direction. On passe du pouvoir des pères au pouvoir des pairs. On passe d'une logique de performance individuelle, qui naît à l'école, à une logique de performance collaborative. Je suis patron d'une boite de 350 personnes et je pense que nous avons 70 % des meilleurs techniciens de France dans notre métier : à chaque fois que nous voyons quelqu'un de bon, nous allons le chercher. On essaie de gommer les logiques de pouvoir et de cultiver une logique de l'être, plus que de l'avoir.

Cela se traduit en termes de chiffres et de performance. L'institut de sondages Gallup a fait une étude appelée « Q 12 » qui est très intéressante. Douze questions sont posées à des salariés du public et du privé par téléphone qui sont ensuite classés en trois groupes : les engagés ; les désengagés, qui sont ceux qui sont très engagés dans leur vie personnelle mais moins au travail, ne faisant que ce qu'on leur demande ; les activement désengagés sont les « toxiques » de l'organisation, pouvant aller jusqu'à saboter leur entreprise. La dernière étude « Q 12 » date de novembre 2017. Le pourcentage de salariés « engagés » en France, selon cette étude, est de 6 % seulement. Au niveau mondial, ce pourcentage est de 15 %. Le pourcentage « d'activement désengagés » en France est, lui, de 25 %. Pendant très longtemps, le Danemark a été le pays d'Europe où le pourcentage d'engagés était le plus élevé ; les habitants y étant également particulièrement heureux, y aurait-il un lien entre bonheur et engagement ? Le pays du monde occidental où le pourcentage d'engagés est le plus élevé est les États-Unis, avec 33 % d'engagés. C'est également un des pays qui reconnaît un vrai droit à l'erreur : y aurait-il une corrélation ? Les entreprises où le pourcentage d'engagés est le plus élevé sont 25 % plus performantes.

Dans notre schéma, les équipes sont autonomes, elles décident de leur projet, de leur organisation et de leur leader. Alexandre, ici présent, a été choisi pour leader par son équipe pour un mandat de trois ans. Elles décident de leurs investissements et même de la gestion des augmentations de salaire dans l'entreprise. Les gens sont mieux dans leur peau donc davantage engagés et la performance de l'organisation s'en ressent : l'an dernier nous avons fait la meilleure année depuis la création de l'entreprise il y a vingt ans. Il est possible de changer. Pendant quinze ans, j'étais un patron très classique, plutôt très centralisateur. La crise en 2008-2009 a été très difficile et la manière dont on a choisi de reconstruire l'entreprise ensuite a été de la faire basculer dans un mode de fonctionnement collaboratif.

La question que je souhaite vous poser est la suivante : la réglementation est-elle adaptée à ce mode d'organisation ? Ma conviction intime est que la réglementation est adaptée à des entreprises hiérarchiques qui sont le modèle d'hier mais qui ne seront pas celui de demain.

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