Intervention de Alain Gibelin

Réunion du lundi 23 juillet 2018 à 21h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Alain Gibelin, directeur de l'ordre public et de la circulation à la préfecture de police de Paris :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je souhaite, dans un premier temps, éclairer la représentation nationale sur deux points qui me semblent essentiels dans cette affaire. D'abord, je vous indiquerai la nature des relations précises qui existaient et qui existent entre la préfecture de police et la direction de l'ordre public et de la circulation dont je suis le directeur et M. Alexandre Benalla. Ensuite, je vous détaillerai par le menu tout ce que je sais concernant les faits depuis le 1er mai, jour de la manifestation, jusqu'à l'enchaînement des circonstances qui m'amènent aujourd'hui devant vous.

De tout temps, la préfecture de police a travaillé en liaison étroite avec l'Élysée concernant la sécurité du palais de l'Élysée. C'est la raison pour laquelle la préfecture de police a un service qui assure la sécurité extérieure du palais, la compagnie de garde de l'Élysée, qui est rattaché organiquement à la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) qui est sous mon autorité. Ce sont en quelque sorte les personnes qui gardent l'extérieur du palais de l'Élysée. Ma direction est chargée également de tous les déplacements officiels du Président de la République dans l'agglomération parisienne, de quelque nature qu'ils soient, à l'exception des déplacements privés.

Comment est organisée la préparation de ces événements ? La présidence de la République informe la préfecture de police d'un déplacement du Président de la République ou d'une cérémonie à laquelle il va participer. Est alors organisée une réunion multipartite qui rassemble un ou des représentants du palais de l'Élysée. En règle générale, c'est soit le chef de cabinet du président, accompagné ou non de personnes du protocole, soit l'adjoint du chef de cabinet du Président de la République qui pilote, qui anime ces réunions pour informer, de manière très factuelle, les autorités chargées de la sécurité ou tout simplement les autres partenaires de la nature du déplacement présidentiel. Ces réunions ont lieu en amont de l'événement. Y participent, outre les personnes précitées, les représentants du cabinet du préfet de police, un ou des représentants de la direction de l'ordre public et de la circulation qui sont en général soit des officiers, soit pour les déplacements plus importants des chefs d'état-major adjoints. Peut être également associé à ces réunions préparatoires tout autre intervenant pouvant avoir à intervenir sur la nature du déplacement. Cela peut être, par exemple, la Ville de Paris, ou l'organisateur de l'événement, mais aussi, il est essentiel de le dire, le groupe de sécurité du Président de la République, qui a son mot à dire en termes de sécurité. C'est au cours de ces réunions que sont précisées les conditions du déroulement du déplacement présidentiel. Ces réunions font l'objet d'un compte rendu élaboré par le cabinet du préfet de police, et qui est transmis au directeur de l'ordre public et de la circulation pour mise en place du service d'ordre approprié.

Le jour du déplacement présidentiel, les autorités de la DOPC qui ont été chargées de sa préparation sont soit en salle de commandement, soit, le plus souvent, sur le terrain pour commander les forces de l'ordre qui vont avoir à concourir à la sécurisation de l'événement. Là encore, traditionnellement, les personnes présentes aux réunions sont sur le site. En l'occurrence, comme M. Alexandre Benalla avait cette fonction à l'Élysée, ou qu'en tout cas il avait été présenté comme tel, il était présent systématiquement ou quasi systématiquement sur toutes les réunions en amont des déplacements, c'est-à-dire les préparations, mais également le jour de l'événement, en accompagnement du Président de la République. Il était celui qui, au nom du cabinet du Président de la République, exprimait les souhaits, les desiderata concernant le déroulement des événements.

Telle est la nature exacte des relations que la préfecture de police, et donc la DOPC, entretenait avec M. Benalla, comme du reste elle les entretenait avec ses prédécesseurs. Pour le directeur de l'ordre public et de la circulation, il n'y a pas là quelque chose d'anormal, puisque de tout temps un représentant du cabinet du Président de la République a piloté les déplacements présidentiels.

J'en viens maintenant à l'enchaînement des événements concernant le 1er mai.

M. le préfet de police a eu l'occasion de vous dire quel était le climat de cette journée du 1er mai. C'était un climat d'une grande violence, avec des événements de voie publique qui ont rarement eu autant de prégnance que cette journée-là. Nous pressentions une journée très difficile ; elle ne nous a pas déçus de ce point de vue. Cela fait sept ans que je gère le maintien de l'ordre sur Paris. Je peux dire – c'est mon appréciation personnelle – que je n'ai jamais vu une manifestation d'une telle intensité et d'une telle violence. C'est dire le climat dans lequel se déroulait cette manifestation.

J'ai piloté personnellement depuis la salle de commandement de la préfecture de police l'ensemble des effectifs qui ont concouru à cette manifestation. J'avais personnellement pour mission de donner des instructions opérationnelles directes, précises, à l'ensemble des autorités ou des fonctionnaires concourant à cette mission d'ordre public.

Le soir de la manifestation du 1er mai, nous étions – permettez-moi cette expression un peu vulgaire – passablement dans le jus, c'est-à-dire que nous avions géré toute la journée de violents affrontements, notamment sur le pont d'Austerlitz, sur le bas du boulevard de l'Hôpital, avec les épisodes que vous connaissez – des dégradations particulièrement importantes ont été commises à l'encontre du McDonald's et une concession a été brûlée – et nous avons dû intervenir dans des conditions très difficiles face à un black bloc d'une importance inusitée d'environ 1 200 personnes extrêmement déterminées, oeuvrant et s'insérant en quelque sorte au sein d'un précortège composé de manifestants tout à fait normaux, ce qui rendait les opérations de maintien de l'ordre beaucoup plus difficiles.

Le soir, nous étions en cours de pilotage des événements qui ont suivi cette phase black bloc. Nous avions deux théâtres d'opérations. Le premier théâtre d'opérations, c'était la place de la Contrescarpe, où les informations que nous avions nous laissaient penser qu'un certain nombre de ces éléments black blocs pourraient souhaiter se rencontrer pour, en quelque sorte, aller faire un deuxième tour sur la place de la Contrescarpe et relancer un petit peu la dynamique de l'après-midi. Dans le même trait de temps, j'avais à gérer également d'importants dégâts qui avaient eu lieu sur la rive droite, singulièrement sur l'avenue Ledru-Rollin. Lorsque M. Benalla s'est présenté à la salle de commandement, j'étais avec mes deux collaborateurs qui oeuvraient sur ces deux divisions – j'avais un casque radio sur la tête – et je pilotais très directement, en donnant des instructions, ces deux divisions sur lesquelles se passaient des événements d'une particulière gravité.

Le soir de l'événement, M. le ministre de l'intérieur a tenu à venir exprimer sa satisfaction pour le travail effectué par les forces de l'ordre. Il est donc intervenu dans la salle de commandement pour féliciter, en compagnie du préfet de police, l'ensemble des fonctionnaires qui étaient présents.

À ce moment-là, je me suis aperçu que M. Alexandre Benalla était dans l'assistance. Je le connaissais puisque, je le répète, c'est un interlocuteur régulier, fréquent des fonctionnaires de la direction de l'ordre public et de la circulation, étant donné qu'il préside, qu'il concourt à l'ensemble des déplacements du Président de la République que nous gérons. Donc M. Benalla est une personne connue, très bien connue de l'ensemble des fonctionnaires, d'une grande partie en tout cas de l'échelon sommital de la DOPC.

Bien évidemment, je vois M. Benalla, mais je suis en train de gérer cette manifestation et je continue à la gérer avec toute l'intensité et toute l'acuité que vous imaginez pour faire en sorte que ces manifestations ne dérapent pas.

Lorsque les événements ont été terminés, l'ensemble des personnes citées ci-dessus ont quitté la salle d'information et de commandement. Immédiatement, je suis informé du désir du Premier ministre de se rendre sur le terrain, en l'occurrence au commissariat du 13e arrondissement qui était une cible potentielle des casseurs, pour féliciter les fonctionnaires de police engagés – CRS, gendarmes, compagnies d'intervention de la direction de l'ordre public et de la circulation, effectifs de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne. Nous y allons avec le préfet de police. Il est environ deux heures du matin.

Le lendemain matin, vers neuf heures trente ou dix heures, je reçois sur mon portable un coup de téléphone du directeur de cabinet du préfet de police m'informant de l'existence, sur les réseaux sociaux, d'une vidéo montrant M. Alexandre Benalla en train de participer à une interpellation, sans autre information que cela. Le directeur de cabinet du préfet de police me demande si j'ai des éléments de réponse à apporter aux questionnements du préfet de police sur cette vidéo. Je prends immédiatement mon ordinateur et je consulte les réseaux sociaux. La vidéo est accessible très facilement – je crois qu'elle était sur YouTube. On voit effectivement M. Alexandre Benalla se livrer à des violences sur une personne qui sera identifiée par nous ultérieurement comme étant un des interpellés de la place de la Contrescarpe.

Le préfet de police me demande immédiatement si j'avais connaissance de la présence de M. Alexandre Benalla sur le terrain. La réponse est non. M. le préfet de police ignorait lui aussi totalement la présence de M. Alexandre Benalla sur le terrain. Il me pose la question, c'est donc qu'il ne le sait pas. Je lui réponds que je suis moi-même dans la totale ignorance de la présence de M. Benalla sur le terrain. Immédiatement, M. le préfet de police me demande de lancer en urgence des investigations, de me renseigner très vite et de le renseigner très vite sur les circonstances qui ont conduit M. Alexandre Benalla à être présent aux côtés des forces de l'ordre place de la Contrescarpe. Naturellement, je me tourne vers le chef d'état-major qui est mon adjoint, l'inspecteur général Éric Belleut, pour lui demander s'il est au courant de la participation de M. Benalla à une opération de police, ou du moins dans quelles conditions il a été associé à une opération de police, s'il a lui-même donné son aval à une telle participation. La réponse est non. Immédiatement, nous nous retournons vers le « n – 1 » de mon adjoint, à savoir le contrôleur général Laurent Simonin qui finit par me dire qu'il a lui-même organisé la venue d'Alexandre Benalla sur cette manifestation. Il me dit que M. Benalla aurait eu des autorisations au sens large pour venir assister à cette manifestation en tant qu'observateur. Je rappelle alors au contrôleur général Laurent Simonin qu'il n'en a informé personne, pas plus le directeur adjoint, Éric Belleut, que moi, son directeur. Nous faisons donc le constat que je ne suis pas au courant de la venue d'Alexandre Benalla sur cette manifestation, venue qu'il a lui-même organisée.

J'ajoute que M. Alexandre Benalla ne pouvait ignorer les conditions dans lesquelles il est possible d'assister, en tant qu'observateur, à des opérations de police au sens large, qu'il s'agisse des opérations de maintien de l'ordre ou d'observer, par exemple, une brigade anticriminalité ou tout simplement un contrôle routier, puisque j'avais eu moi-même l'occasion d'informer M. Benalla une quinzaine de jours auparavant des dispositions, ou du moins de la voie à suivre, pour avoir une autorisation qui ne peut et ne pouvait émaner en tout état de cause que du préfet de police.

Le contrôleur général Laurent Simonin m'informe qu'il a lui-même organisé, après des contacts téléphoniques avec Alexandre Benalla, sa venue à la préfecture de police. Je lui pose davantage de questions pour savoir comment il a organisé cette venue. Il m'informe avoir désigné le major de police Mizerski pour l'accompagner sur le terrain, et lui avoir prêté un casque de maintien de l'ordre pour assurer sa sécurité, ce qui est parfaitement habituel lorsque des observateurs – journalistes, magistrats, parlementaires, sociologues – viennent sur le terrain. Lorsqu'il y a un risque potentiel, nous leur donnons les moyens pour assurer leur sécurité, c'est-à-dire un casque de protection, en l'occurrence un casque de maintien de l'ordre, et ce de manière exclusive, sans autre équipement de police. Laurent Simonin reconnaît en ma présence avoir fourni ce casque, ce qui est tout à fait légitime et naturel en pareille circonstance. Je rends compte immédiatement au préfet de police de ces faits. Le préfet de police me demande la rédaction d'une fiche technique, pour son information, pour l'information du ministère. La fiche technique est rédigée et envoyée dans la journée au préfet de police.

J'en viens maintenant à la deuxième phase de cette affaire, c'est-à-dire les circonstances dans lesquelles j'ai été amené à être informé, le mercredi 18 juillet, de l'existence d'une vidéo qui aurait été transmise à M. Alexandre Benalla par un des personnels relevant de mon autorité. Le mercredi 18 juillet, je suis informé au téléphone par le préfet de police qu'un article du journal Le Monde parle de cette affaire et qu'elle est en train de sortir dans les médias. Le lendemain matin, le préfet de police me convoque pour que je lui remémore les circonstances précises de la scène. On resitue très vite la scène place de la Contrescarpe, et le préfet de police veut avoir des éléments d'ambiance très précis pour sa propre information, savoir dans quel contexte s'inscrit cette vidéo. Je lui donne évidemment tous les éléments. Je demande à un de mes collaborateurs qui était physiquement sur place, qui commandait la CRS visible sur la vidéo, et qui était présent dans le service, de venir éclairer directement le préfet de police sur ce qu'il a vécu, ce qu'il a vu et ce qu'il a constaté. Le commissaire Maxence Creusat informe donc le préfet de police des circonstances exactes de ce qu'il a vu, etc., et, à la demande du préfet de police, il rédige un rapport, immédiatement transmis à ce dernier, pour éclairer cette intervention et remettre la vidéo dans son contexte.

Aux alentours de treize heures trente, mon collaborateur, à savoir le commissaire en question, demande à me voir dans mon bureau et, le visage défait, m'informe avoir fait, selon ses mots, une « grosse connerie ». Il me dit tout de go s'être déplacé dans la soirée du 18 juillet à la préfecture de police lorsqu'il a su que Le Monde avait fait un article sur cette vidéo, pour visionner d'éventuelles vidéos qui auraient pu être gardées sur la journée et les événements du 1er mai. Il m'informe avoir visionné cette vidéo qui existe et qui montre de manière très générale – j'ai eu l'occasion de la voir – les événements sur la place de la Contrescarpe sans qu'on puisse d'ailleurs identifier très précisément les faits qui nous préoccupent. Il me dit en avoir informé par téléphone son supérieur hiérarchique direct, qui n'est autre que le contrôleur général Laurent Simonin. Immédiatement, je téléphone au contrôleur général, qui est en vacances cette journée-là, en Normandie, qui me confirme avoir reçu ce coup de fil, avoir validé la possibilité de retirer des images et avoir contacté lui-même, bien évidemment sans en référer à qui que ce soit, M. Alexandre Benalla, et lui avoir proposé, me dit-il – l'enquête le déterminera de manière beaucoup plus précise –, de lui communiquer cette vidéo à laquelle, bien évidemment, il n'avait pas vocation à accéder. J'ai également tout de suite, dans le paysage, l'officier de liaison de la préfecture de police auprès du palais de l'Élysée, et qui, me dit-on, a été amené à prendre possession de cette vidéo et à l'apporter directement à l'Élysée, en l'occurrence à un adjoint au chef de cabinet, c'est-à-dire à M. Alexandre Benalla. Ces faits sont portés à ma connaissance à treize heures trente environ. Immédiatement, je demande à voir le préfet de police. Je me souviens très précisément qu'il était en train de déjeuner. Il me dit : « Écoutez, je ne peux pas vous recevoir, je suis en train de déjeuner avec des collègues préfets. » Je lui réponds : « Monsieur, c'est particulièrement grave, il faut que je vous voie séance tenante ». Il me demande donc de le rejoindre dans ses appartements vers quatorze heures. Immédiatement, je lui fais part des faits qui ont été portés à ma connaissance, de la gravité de ceux-ci, et il décide d'une part de porter ces faits à la connaissance du procureur de la République, d'autre part de demander presque concomitamment la suspension immédiate des fonctionnaires. Il me demande également de demander des explications immédiates à ces trois fonctionnaires, ce que je fais dans l'heure qui suit, deux fonctionnaires étant en capacité de faire ce rapport d'explications qu'ils me fournissent dans les deux heures. Je demande au contrôleur général Laurent Simonin, qui est alors en Normandie, de rentrer séance tenante sur Paris pour faire ce rapport. Celui-ci me fournit le lendemain ce rapport, que je transmets bien évidemment immédiatement à l'autorité judiciaire et ultérieurement à l'Inspection générale des services (IGS) saisie des faits.

Voilà, globalement, ce que je tenais à dire, à la fois sur les relations qui existaient entre Alexandre Benalla, devrais-je dire, entre l'adjoint au chef de cabinet du Président de la République, puisque telle était sa fonction, et la préfecture de police, et sur l'enchaînement très précis des faits entre la journée du 1er mai et le jeudi 19 juillet, date à laquelle nous avons porté ces faits à la connaissance du procureur de République.

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