Intervention de Stéphane Fratacci

Réunion du mardi 24 juillet 2018 à 21h10
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Stéphane Fratacci, directeur de cabinet du ministre d'État, ministre de l'intérieur :

Madame la présidente, monsieur le co-rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je souhaite commencer mon propos liminaire en saluant de manière républicaine l'ensemble de la représentation nationale présente ce soir à cette audition.

Après le ministre de l'intérieur que vous avez auditionné hier, je voudrais revenir sur la chronologie des 2 et 3 mai derniers, tels que je les ai vécus, ainsi que sur celle des 18 et 19 juillet derniers. Je conclurai mon propos par quelques considérations générales sur le rôle du directeur de cabinet du ministre dans l'animation du ministère de l'intérieur, ainsi que ses relations classiques, usuelles et fréquentes qu'il est de son devoir d'entretenir avec les autres directeurs de cabinet, avec les préfets et tout particulièrement avec le préfet de police à Paris, ainsi qu'avec le directeur de cabinet de la présidence de la République.

J'en viens d'abord à la chronologie des 1er, 2 et 3 mai.

Le 1er mai, j'ai consacré ma journée au suivi des différentes manifestations qui se déroulaient en France, à Paris en particulier, en relation régulière avec le préfet de police, les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationale et les responsables du centre de veille du ministère de l'intérieur qui assurent la synthèse de ces remontées d'informations.

S'il n'est pas dans les habitudes du directeur de cabinet du ministre de se déplacer sur le terrain, même à Paris, j'ai fait une exception à cette règle le 1er mai pour me rendre ce soir-là, avec le Premier ministre, le ministre de l'intérieur et le préfet de police, au commissariat du 13e arrondissement, à la rencontre des unités qui avaient été particulièrement engagées ce jour dans les opérations de maintien de l'ordre, dont vous savez – cela vous a été relaté à diverses reprises dans les auditions précédentes – combien elles avaient été difficiles et exigeantes pour elles.

S'agissant du 2 mai au matin, je me suis rendu à huit heures trente à la réunion dite d'état-major qui rassemble autour du ministre d'État etou de son directeur de cabinet les directeurs des forces de sécurité intérieure et, bien sûr, des représentants de la préfecture de police. Le ministre d'État a ouvert cette réunion afin de se faire préciser le bilan des événements du 1er mai sur l'ensemble du territoire avant de m'en laisser l'animation sur les autres points d'actualité du ministère. Cela explique que lorsque le préfet de police nous a rejoints, la réunion était à ce stade présidée par mes soins.

Après cette réunion d'état-major, je me suis rapproché du chef de cabinet du ministre de l'intérieur pour visionner une vidéo qu'il m'avait signalée plus tôt ce matin-là. J'ai pris connaissance de cette vidéo et il m'a indiqué que l'auteur des violences était un collaborateur de la présidence de la République, M. Alexandre Benalla. À ce moment-là, le chef de cabinet m'a indiqué qu'il avait eu connaissance de cette vidéo par un chargé de mission de la présidence de la République. C'est l'occasion pour moi de préciser que je ne connaissais pas personnellement M. Alexandre Benalla. J'avais eu l'occasion de le rencontrer à plusieurs reprises à l'Élysée, notamment lors de réceptions officielles. Il est possible qu'il ait été également présent à l'occasion d'une réunion au ministère de l'intérieur lorsque le Président de la République avait présidé une réunion de la cellule de crise après l'attentat de Trèbes. J'ai enfin rencontré M. Benalla pour la dernière fois le 16 juillet dernier devant la place Beauvau, en me rendant à la réception organisée dans les jardins de l'Élysée en l'honneur de l'équipe de France de football. Sur la base de ces rares contacts, je n'aurais pas, je crois, été en mesure d'identifier spontanément M. Benalla sur cette vidéo.

Après avoir regardé cette vidéo, je me suis, en accord avec M. Girier, chef de cabinet, mis en relation avec le directeur de cabinet du Président de la République pour m'assurer qu'il avait bien eu à son niveau connaissance de cette information, ce qu'il m'a confirmé. C'est à ce moment-là, et alors que je m'apprêtais à appeler le préfet de police pour partager avec lui cette information s'agissant d'un événement intervenu à l'occasion d'une opération de maintien de l'ordre placée sous sa responsabilité, que celui-ci m'a contacté au sujet de la vidéo comme il vous l'a indiqué. Il m'a dit avoir eu une conversation, qu'il vous a décrite, avec le conseiller aux affaires intérieures de la présidence, conversation qui a dû être concomitante à mon échange avec le directeur de cabinet du Président. Lors de mon échange avec le préfet de police, je me suis naturellement référé aux termes de ma conversation avec le directeur de cabinet du Président de la République. J'ai également abordé avec le préfet de police le souhait du ministre de se déplacer dès la fin de la matinée, comme il venait de me le demander, sur l'itinéraire de la manifestation et la nécessité pour lui de se rendre place Beauvau pour l'accompagner. Le ministre est parti pour ce déplacement sans que nous puissions faire avec lui un point d'actualité du jour, comme nous en avons l'habitude.

S'agissant des échanges avec le ministre, l'agenda qu'il vous a présenté hier l'a conduit à rentrer en milieu d'après-midi au ministère, sans doute vers quinze heures, quinze heures trente au plus tard. Dès son retour, nous avions prévu, avec le chef de cabinet, de faire justement un point avec lui pour lui présenter la vidéo. En la visionnant, il a considéré lui-même que le comportement de l'intéressé était, il vous l'a dit, particulièrement inacceptable. Nous lui avons indiqué qu'il s'agissait d'un collaborateur de la présidence de la République, M. Benalla, ce dont la présidence de la République était informée.

Plus tard dans la journée, ayant à nouveau le directeur de cabinet du Président de la République au téléphone, je me suis assuré que l'autorité hiérarchique de M. Benalla était en mesure et disposée à prendre toutes les suites appropriées. Comme je l'indiquais précédemment, je ne me souviens pas du détail de nos échanges successifs sur cet épisode, si ce n'est que j'ai fait valoir que ces violences étaient inacceptables. Il m'a indiqué avoir convoqué M. Benalla pour s'entretenir avec lui afin que l'intéressé s'explique sur son comportement et sur les circonstances de son intervention.

En toute fin de journée, j'ai à nouveau échangé avec le directeur de cabinet du Président de la République pour lui redemander quelles étaient les suites envisagées au vu du comportement de l'intéressé, et sans doute était-ce après l'entretien contradictoire avec M. Benalla qui vous a été décrit par le directeur de cabinet du Président de la République. Il m'a alors répondu que M. Benalla s'était rendu dans le cadre de ce maintien de l'ordre sans être missionné par l'Élysée, qu'il avait été doté par la préfecture de police d'un casque, conformément à une pratique que le préfet de police vous a décrite hier pour l'accompagnement des personnes admises en qualité d'observateur, et que les actes de violence commis par M. Benalla étaient inacceptables, enfin que la décision serait prise de sanctions disciplinaires.

C'est le 3 mai au matin que j'ai rendu compte au ministre des indications que m'avait données tard la veille le directeur de cabinet du Président de la République quant aux suites décidées à l'endroit de M. Benalla. Postérieurement à cela, nous n'avons pas réévoqué la situation de M. Benalla.

S'agissant des journées du 18 et du 19 juillet, j'ai été informé par la conseillère presse et communication du ministre et par le chef de cabinet, le 18 juillet après-midi, de ce que la Présidence de la République avait échangé avec une journaliste du journal Le Monde et que ce quotidien allait très prochainement publier un article relatif aux violences commises par M. Benalla. Le ministre en a également été informé. Comme trois fois par semaine, j'organise à dix-neuf heures des réunions dites de police avec le préfet de police, le directeur général de la police nationale (DGPN) et le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN). C'est à l'issue de cette réunion de travail que j'ai signalé au préfet de police la prochaine publication par Le Monde d'un article consacré à cette affaire, lequel a été mis en ligne dans la soirée.

Au vu de l'apparition de nouvelles images montrant M. Benalla pourvu d'un brassard « police » et d'équipements de radio, le ministre nous a demandé de préparer, comme il vous l'a exposé, une saisine de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour préciser les conditions dans lesquelles MM. Benalla et Crase – noms donnés dans d'autres auditions – ont pu être autorisés par la préfecture de police à assister à des opérations de maintien de l'ordre et de formuler toutes les recommandations nécessaires sur les conditions dans lesquelles des observateurs pouvaient être accueillis dans le cadre d'opérations de police pour remédier aux éventuels dysfonctionnements.

Avant de conclure mon propos, je voudrais faire part de trois considérations générales.

Je veux d'abord rappeler ce qu'est naturellement la place du directeur du cabinet du ministre de l'intérieur en interne au ministère, mais aussi dans la relation institutionnelle de ce ministère et dans les rapports avec les autres autorités exécutives.

Au sein du ministère de l'intérieur et du cabinet du ministre, il revient au directeur de cabinet de s'assurer de la meilleure consolidation possible des informations recueillies avant leur transmission au ministre. Par construction, le ministère de l'intérieur brasse une quantité relativement impressionnante d'informations en tout genre, certaines anecdotiques, d'autres d'ampleur allant de la bulle instantanée aux renseignements classifiés très « secret défense ». Pour d'évidentes raisons de confidentialité, les informations les plus sensibles peuvent remonter directement au directeur-adjoint ou au directeur de cabinet auxquels il incombe fréquemment de les confirmer, de s'assurer de leur exactitude, de les mettre en perspective avant la communication au ministre. Dans un ministère de l'urgence, ce rôle implique une priorisation de chaque instant et exclut la précipitation.

Par ailleurs, le directeur de cabinet joue un rôle tout particulier d'interlocution avec les autres représentants des autorités exécutives. Il est à cet égard l'interlocuteur habituel du directeur de cabinet du Président de la République, du directeur de cabinet du Premier ministre, des autres directeurs de cabinet de ministres. Dans sa responsabilité, il est un interlocuteur privilégié des préfets, et bien sûr du préfet de police, voire du directeur de cabinet du préfet de police.

Pour éclairer les contacts avec ces autorités ou entre ces autorités, je dois restituer la spécificité du rôle de la préfecture de police vis-à-vis des autorités gouvernementales que vous a d'ailleurs décrite le préfet de police.

L'histoire de la préfecture de police, comme il a pu vous le dire, est bicentenaire et ses rapports avec les pouvoirs publics exécutifs sont évidemment d'une nature particulière parce que la préfecture de police est chargée de l'organisation et du bon déroulement en matière de sécurité de toutes les grandes manifestations qui surviennent à Paris mais aussi, vous le savez, des déplacements du Président de la République à Paris et de la sécurité du périmètre de proximité de la présidence de la République. Ce rôle particulier conduit naturellement le préfet de police, fort d'une administration de plus de 40 000 policiers et fonctionnaires, à être très souvent à l'initiative de transmission d'informations ou de renseignements au directeur de cabinet du ministre, voire au ministre directement. Ainsi, il m'arrive chaque jour d'avoir en ligne une ou plusieurs fois le préfet de police qui me rend compte directement d'événements survenus à Paris ou en petite couronne dont il considère qu'ils justifient une information rapide. De fait, de tels appels ont été réguliers les 1er et 2 mai. Ils portaient pour l'essentiel sur les conséquences des manifestations du 1er mai, sur les dégâts constatés à Paris, notamment en vue de l'estimation des dégâts pour les commerces, sur les infrastructures ou le mobilier urbain qui avaient été concernés, situés à proximité de la place Valhubert et du boulevard de l'Hôpital, et sur les chiffres des interpellations et les procédures ou les suites qui avaient été données, ainsi que sur la préparation des déplacements du ministre le soir du 1er mai et dans la matinée du 2 mai.

Il en va de même pour des affaires ou des sujets qui, du point de vue de la préfecture de police, intéressent la présidence de la République. Le préfet de police entretient à ce sujet une relation directe avec la direction de cabinet de la présidence, ou encore avec d'autres interlocuteurs institutionnels de la présidence. Les échanges deux à deux et trilatéraux, dont le préfet de police, le directeur de cabinet du Président de la République et moi-même vous avons fait part, sont donc habituels dans le fonctionnement institutionnel et quasi quotidien que nous avons.

Enfin, à l'instar du préfet de police et du ministre d'État, je souhaite insister sur le contexte des événements mobilisant les forces de police auxquelles je voudrais moi-même rendre solennellement hommage au regard de leur engagement des semaines passées, qu'il s'agisse d'opérations de maintien de l'ordre ou d'évacuations complexes comme Notre-Dame-des-Landes, Bure, ou encore d'opérations de prévention de lutte contre le terrorisme dans lesquelles, dans mes fonctions de directeur de cabinet, je me suis globalement largement impliqué.

Je voudrais donc replacer ces faits dans le contexte de tension, de violence, de forte mobilisation de l'ensemble du ministère, contexte dans lequel l'urgence de notre journée du 2 mai fut d'établir le bilan des événements du 1er mai, d'assurer le contact avec les entreprises concernées, victimes de dégâts, et dans le même temps de se plonger dans la préparation de journées d'action ou de manifestations qui s'annonçaient dans les jours suivants, manifestation du 5 mai, préparation de la deuxième phase d'évacuation de Notre-Dame-des-Landes, évacuation projetée de certains sites universitaires occupés, le tout alors que continue à peser sur la France une menace terroriste qu'on peut qualifier d'intense. Le ministre d'État l'a mentionné, nous avions subi un attentat à Trèbes, à la fin du mois de mars, et dix jours après cette manifestation, Paris était à nouveau victime d'une attaque qui nous a de nouveau mobilisés et a appelé de notre part une exigence d'action et de réaction avec l'ensemble des services de police. Nous étions donc, et nous le sommes d'ailleurs toujours, dans un contexte où l'attention du ministre et de ses proches collaborateurs était tournée vers la protection des Français. C'est également le sens principal de la mobilisation des forces de l'ordre auxquelles je souhaite rendre tout particulièrement hommage.

Tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance.

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