Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du mercredi 1er août 2018 à 15h00
Immigration maîtrisée droit d'asile effectif et intégration réussie — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

On en oublierait le réel : sur les trente dernières années, le solde migratoire en France est nul. Comme l'a rappelé non pas une officine gauchiste mais le Défenseur des droits, Jacques Toubon, l'idée de submersion migratoire est tout simplement fausse. En revanche, le nombre de non-admissions de migrants en France connaît une hausse considérable. Ainsi, il y avait 85 408 personnes non admises en 2017, soit une augmentation de 34 % en un an. En 2016, près de 64 000 personnes ont vu leur demande refusée, contre moins de 16 000 en 2015. Votre bilan est donc déjà consternant, accablant. Il me donne le sentiment que les portes se ferment à mesure que la Méditerranée se transforme en cimetière. Et, honnêtement, ce n'est vraiment pas l'idée que je me fais de l'esprit français.

Mais cela ne vous suffit visiblement pas, puisque la loi que vous nous soumettez aujourd'hui en dernière lecture est la promesse d'un enfer pire encore pour les migrants.

Citons d'abord le doublement de la durée de rétention, portée à 90 jours, je l'ai dit, et même à 135 jours dans certains cas, contre 45 actuellement. Avec vous, la rétention va tout simplement devenir la détention. C'est comme si, désormais, les préfets devenaient des juges, qui condamnent à la prison des étrangers considérés comme des criminels, puisque ce sont les préfets qui demandent la prolongation de la rétention, laquelle est ensuite validée ou non par un juge des libertés et de la détention.

Votre projet de loi tend également à autoriser l'inspection visuelle et la fouille des bagages, et à automatiser la prise d'empreintes digitales et de photographie d'un étranger. Le refus peut entraîner des sanctions pénales et une interdiction de retour sur le territoire français lors d'une retenue pour vérification du droit au séjour, dont la durée passe de seize à vingt-quatre heures. Ainsi, tout Français qui n'a pas sur lui sa carte nationale d'identité pourra, parce qu'il aurait l'air d'un étranger, voir ses bagages fouillés et devra alors obligatoirement laisser prendre ses empreintes digitales et être photographié. S'il refuse, il peut faire l'objet de poursuites pénales et devoir acquitter 3 750 euros d'amende.

Autre effet liberticide de votre loi : prenons l'exemple d'un demandeur d'asile maltraité en Hongrie et venu en France pour y retrouver son cousin ; lorsqu'il sera renvoyé à la Hongrie – « dubliné », comme on dit – pour que ce pays examine sa demande d'asile, il ne pourra plus revoir sa famille en France durant trois ans.

À l'article 4, encore, vous créez la possibilité de retirer l'asile à un étranger qui a été condamné dans un pays de l'Union européenne – auparavant, cela ne concernait que la France – « en dernier ressort » « soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement », et dont « [la] présence constitue une menace grave pour la société ».

La formulation est particulièrement floue et les conséquences peuvent être incroyables dans le cas de crimes qui ne sont pas reconnus en droit français. En effet, vous le savez, il n'existe pas d'harmonisation pénale en Europe. Imaginez donc quelques cas, absurdes mais qui peuvent devenir réalité. Celui, par exemple, d'une réfugiée condamnée pour avoir avorté à Malte – où l'avortement est un crime qui peut être puni d'une peine de dix-huit mois à trois ans de prison – , ou celui d'un réfugié ayant commis le délit de blasphème en Allemagne, où l'« insulte aux croyances religieuses », condamnée par l'article 166 du code pénal, peut être sanctionnée de trois ans de prison.

Citons encore l'assignation à résidence dans un lieu désigné par l'administration pour un étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français – OQTF – mais – c'est une nouveauté – avec délai de départ volontaire. Ce n'est probablement pas constitutionnel, et c'est quasiment calqué sur la loi sur la sécurité intérieure de 2017 et ses fameuses assignations à résidence. La logique est toujours la même : au fond, l'étranger est supposé vouloir s'échapper et frauder ; il faut donc le traquer. Dans votre imaginaire, les évadés fiscaux, eux, optimisent et ruissellent !

Vous attaquez à la hache le droit d'asile – nous en avons débattu en commission des affaires étrangères – , méconnaissant le droit au recours contenu dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'exigence de traitement sérieux de la demande. Vous voulez ainsi ramener les délais de recours à six mois en moyenne, tous recours inclus. Le projet de loi réduit par exemple les délais de dépôt de demande d'asile de 120 à 90 jours, et même à 60 jours en Guyane.

Les audiences et rendez-vous physiques devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, la Cour nationale du droit d'asile et les juges pourront tous se dérouler automatiquement en télé-audience, par exemple par Skype. Vous inventez la télé-asile. Kafka avait finalement raison. Désormais, un demandeur d'asile pourra être seul dans une salle face à un écran.

Avec votre loi, nous allons vers le recensement et le tri des demandeurs d'asile. Votre projet prévoit ainsi des échanges d'informations entre les services intégrés d'accueil et d'orientation, chargés de l'hébergement d'urgence de droit commun, et l'Office français de l'immigration et de l'intégration concernant les demandeurs d'asile et les réfugiés. Nous reconnaissons là le parfum de la fameuse circulaire Collomb du 12 décembre 2017, vivement dénoncée par les associations.

Selon une vision utilitariste et libérale de l'immigration, les talents et les jeunes start-upers verront en revanche les portes de la France s'ouvrir à eux. Les travailleurs sans papiers ne font l'objet d'aucune attention, mais des profils ciblés pour les multinationales jouiront de nouvelles possibilités d'accueil. Il y a en France 200 000 à 400 000 travailleurs sans papiers ; le Gouvernement préfère les balayer d'un revers de main pour traiter la situation des grands groupes multinationaux et des travailleurs de pointe et de luxe que représentent les étudiants et chercheurs de haut vol pour les entreprises, particulièrement les start-up.

Autre point notable : un débouté de l'asile ne pourra plus avoir le droit automatique de demander un titre de séjour. Un étranger malade, atteint, par exemple, d'un cancer qu'il ne peut faire soigner dans son pays, et dont la demande d'asile aura été rejetée en six mois, sans qu'il ait pu demander – ou même penser à le faire – un titre de séjour « étranger malade », sera donc renvoyé à la mort dans son pays, puisqu'on lui refusera la possibilité de déposer une demande après ce rejet.

Citons enfin l'ordonnance que vous avez prévue pour créer un titre de séjour unique qui fusionne ceux de salarié et de travailleur temporaire.

La liste est malheureusement à la Prévert, mais elle a sa cohérence, et sa cohérence, c'est la fermeté ; voilà tout. La chasse est ouverte, et elle sera sans pitié.

Vous nous direz que cela vaut toujours mieux que la mouture sortie du Sénat ; c'est vrai : on pourrait marcher encore davantage dans les pas des droites extrêmes. Vous pourrez aussi nous dire que vous avez dégagé quelques centaines de milliers d'euros et de places d'hébergement. Mais c'est une plaisanterie au regard de l'attaque en règle contre les migrants et les réfugiés que représente cette loi.

Je terminerai en citant la « Déclaration des poètes » qui conclut Frères migrants de Patrick Chamoiseau : « ne pas accueillir [… ] celui qui vient qui passe qui souffre et qui appelle est un acte criminel ». Patrick Chamoiseau dit aussi : « On ne peut pas laisser passer cela ! »

Nous ne laisserons pas passer cela. Nous proposons en conscience à chacune et chacun des députés présents dans cet hémicycle de revoir entièrement la copie et, à cette fin, d'adopter notre motion de rejet préalable sur ce texte, le plus sinistre dont nous ayons été saisis depuis fort longtemps.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.