Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mercredi 25 juillet 2018 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Je vais tâcher de ne pas abuser de votre temps, même si ce moment des travaux de la commission est important.

La position du Gouvernement peut s'exprimer en trois temps.

Tout d'abord, je constate avec vous que le Gouvernement a tenu sa parole quant à la façon dont il a travaillé avec le Parlement, en premier lieu dans le texte sur la confiance que vous a présenté Mme la garde des sceaux, puis lors de la création de la mission d'information commune suite à diverses discussions que nous avons eues au cours de l'examen des lois de finances, puis encore en ayant laissé la mission travailler – j'ai à cette occasion apporté l'une des solutions qui a été complétée, corrigée et largement amendée et qui a consisté à donner les clés du « verrou » au Parlement. À cet égard, je m'étonne des propos de M. Coquerel, qu'il a tenus sans malice et que je me permettrai de compléter : il ne faut pas interpréter l'absence de disposition gouvernementale concernant le « verrou » dans le texte initial, puisque le Gouvernement a d'emblée annoncé qu'il ne ferait pas de mauvaise manière au Parlement, notamment à l'Assemblée nationale, et qu'il lui laisserait le soin d'apporter les compléments, modifications et autres suppressions du « verrou de Bercy » – dont je rappelle qu'il n'existe pas dans les textes. Le grand paradoxe, en effet, est que ce « verrou » existe depuis un siècle sans être prévu nulle part ailleurs que dans la jurisprudence administrative et constitutionnelle. Vous allez donc en inscrire les critères dans la loi et c'est un progrès, mais nous pouvons considérer que c'est tout de même un paradoxe – et ce n'est pas le seul de cette ténébreuse affaire.

Ensuite, je me félicite du travail accompli en commun, en particulier celui de l'excellente mission d'information conduite par M. Diard et par votre rapporteure. Je remercie également l'administration – celle de la justice et celle de Bercy – qui a su accompagner les évolutions et éclairer les débats. Elle s'est constamment tenue à votre disposition et, même avec des points de vue parfois différents, vous a apporté les éléments qui vous permettent aujourd'hui de prendre une décision en toute connaissance de cause.

Je crois comprendre que l'amendement défendu par Mme Cariou fera l'objet d'une belle unanimité. Il ne s'arrête pas à la question des critères – j'y reviendrai – mais évoque également la connexité, un sujet très important dont on sait que le champ est réduit, et la possibilité de lever le secret fiscal et professionnel, auquel vous savez à quel point l'administration et les ministres des comptes publics sont attachés, lorsqu'aura lieu le dialogue entre l'autorité judiciaire, en particulier le procureur de la République, et l'administration chargée du contrôle fiscal. Mme la rapporteure l'a dit dans son propos liminaire : il ne faut pas sous-estimer cette avancée. C'est une forme de confiance collective que nous nous faisons en permettant la levée de ce secret fiscal alors même que des poursuites ne seront pas systématiquement engagées au sujet de tel ou tel dossier personnel. Je rappelle en effet que la levée du secret fiscal, le lancement d'une procédure de contrôle fiscal voire l'engagement de poursuites ne se traduisent pas toujours par une condamnation : il arrive que le contribuable visé ait raison contre l'administration – cela se produit même plus souvent qu'on ne le souhaite.

Connexité et levée du secret pour le dialogue entre administration et justice sont donc deux éléments du rapport de votre mission d'information. Il ne faudrait pas que le seul montant des critères cache la forêt de l'évolution des relations entre l'autorité judiciaire, la fonction du Parlement et l'activité de Bercy.

Permettez-moi néanmoins une pique que j'ai déjà formulée plusieurs fois à l'endroit de la représentation nationale, avec tout le respect que j'ai pour elle : nous sommes face à la conséquence de la non-utilisation des pouvoirs du Parlement, pourtant inscrits dans les textes, car depuis sept ans, mesdames et messieurs les députés – cela vaut aussi pour les sénateurs –, vous n'avez auditionné ni la CIF ni le directeur général des finances publiques sur les dossiers relatifs à ce « verrou ». Vous auriez pourtant dû le faire car la loi le prévoit, en particulier la loi portant création de la CIF à la fin des années 1970. Aucune des commissions, quelles que soient les majorités, ne l'a fait, à commencer par celle de l'année dernière ; c'est dommage.

Peut-être, cela dit, de telles auditions n'auraient-elles pas porté leurs fruits. Il se pose en effet un problème tenant au fait que la CIF ne répond devant personne puisqu'elle est indépendante par sa composition et qu'elle a pour mission de protéger les contribuables – c'était même sa raison d'être ; je reviendrai plus tard sur l'autre sujet qu'est l'opportunité de son maintien. Je constate qu'aujourd'hui, le directeur général des finances publiques, sur les conseils que lui donne son administration de transmettre ou non tel ou tel dossier au procureur de la République, passe par la CIF, qui donne un avis, et que 90 % de ces avis sont suivis ; les plaintes sont ensuite déposées en conséquence. Le ministre des comptes publics ne donne aucun avis sur la transmission des dossiers – du moins ne l'ai-je jamais fait en quinze mois, et il me semble que ce fut aussi le cas de mes prédécesseurs depuis qu'il n'existe plus de cellule de contrôle fiscal. Sur ce point précis, le ministre ne contrôle donc pas son administration, notamment le directeur général des finances publiques – en qui j'ai toute confiance mais sait-on jamais, un changement de directeur finira bien par arriver un jour, comme il se produira sans doute un changement de ministre. En clair, c'est le directeur général des finances publiques – qui n'est donc pas contrôlé par le ministre – qui transmet les dossiers ; quant à la CIF, personne ne la contrôle puisque vous ne l'auditionnez pas. Résultat : une plainte fiscale arrive sur le bureau d'un procureur ou d'un juge alors que personne n'a encore regardé comment les choses se sont passées. C'est là où l'opacité était selon moi la plus grande.

Cela étant dit, je laisserai une totale liberté au Parlement – tout en donnant un avis favorable à l'amendement de Mme Cariou – quant à la fixation des critères. Faut-il fixer aussi le montant – qui intéresse tout le monde ici et sans doute aussi à l'extérieur de cette assemblée – à 100 000 euros, c'est-à-dire, grosso modo, celui qu'ont retenu la direction générale des finances publiques (DGFiP), la CIF et, in fine, la justice, pour juger des dossiers ? Je pense que c'est un bon niveau, mais s'il appartient au Parlement de fixer les critères, alors il lui appartient aussi de fixer les montants. Il serait plus utile et plus simple de passer par un décret en Conseil d'État, comme le prévoit l'amendement du Sénat, mais je comprends la frustration que cela entraîne pour les parlementaires et je ne serais aucunement choqué qu'ils fixent eux-mêmes le montant de ces critères dans la loi – à ceci près qu'il faudra changer la loi pour changer les critères, notamment le montant, alors que l'on pourrait se contenter de changer un décret. Quoi qu'il en soit, je laisse au Parlement le soin d'en décider et je ne m'opposerai pas à l'une ou l'autre solution.

Faut-il ou non supprimer la CIF ? Je déduis de l'argumentation de M. Coquerel et de celle de M. de Courson que le « verrou » se réduit par abus de langage à la CIF. Je conçois que le moment quelque peu original que constitue le passage par la CIF des dossiers qui ne sont pas soumis au critère d'automaticité soit assimilé au « verrou ». En réalité, le « verrou » est le monopole laissé à l'administration de porter plainte au nom de celui qui a été lésé, c'est-à-dire le contribuable représenté par le ministre des comptes publics. Je trouverais dommage – je le dis en toute franchise – qu'un dispositif qui protège le contribuable contre une volonté éventuellement néfaste du politique – le fait de transmettre tel dossier et non tel autre peut en effet susciter le doute, ce doute qui a poussé le gouvernement de Raymond Barre et la majorité parlementaire d'alors à prévoir une protection face à ce que pourrait faire un ministre des comptes publics avec l'arme du contrôle fiscal dont il dispose en transmettant des dossiers à la justice mais, par un présage heureux ou malheureux, la CIF a désormais le monopole de l'opacité – je trouverais dommage, disais-je, que vous supprimiez la CIF et je me range plutôt à l'avis de Mme la rapporteure : gardons la CIF pour traiter les dossiers qui ne sont pas soumis à l'automaticité, quitte à en changer la composition, même si elle est actuellement composée de membres indépendants et sans lien avec le pouvoir politique. Je ne m'opposerai cependant pas à sa suppression si vous la souhaitez, s'agissant d'une protection du contribuable voulue par les parlementaires.

Troisième point : l'intervention de M. de Courson sur la HATVP fait écho à un débat public intéressant. Je peine davantage à comprendre Mme Louwagie et je constate hélas qu'après avoir beaucoup parlé du « verrou de Bercy » depuis quelques mois, aucun député du groupe Les Républicains n'est présent pour porter la contradiction alors que nous nous apprêtons à le supprimer, ce que je regrette. Je le dis sans méchanceté aucune : dans l'opposition, vous souhaitiez tous supprimer le « verrou », et une fois dans la majorité, vous n'avez jamais poussé votre ministre à le faire – au point de le mettre en minorité lorsque vous apparteniez à la majorité, monsieur de Courson. C'est aussi le cas des députés socialistes et des députés Les Républicains. Je suis heureux de constater que c'est nous, notamment la majorité des groupes La République en Marche et MoDem, qui ont créé les conditions politiques permettant de supprimer ce « verrou » ; c'est une grande victoire politique qu'il convient de souligner. C'est plus facile à faire dans la majorité, quand on est responsable, que dans l'opposition où l'on ne fait que parler.

Quoi qu'il en soit, la question de la HATVP est intéressante. C'est le Gouvernement, par ma voix, qui a souhaité déposer un amendement visant à ce que tous les responsables politiques et hauts fonctionnaires remplissent une déclaration particulière consistant à publier leur patrimoine – un acte qui me semble normal, mais dont il faut convenir qu'il n'est pas l'ordinaire du commun des citoyens, monsieur de Courson : il faut tout de même distinguer entre ceux qui ont une autorité particulière, notamment politique, et ceux qui n'en ont pas.

En pratique, l'administration fiscale transmet les dossiers inférieurs à 100 000 euros qui ne relèveraient pas du cheminement jurisprudentiel normal entre la DGFiP et la CIF vis-à-vis de la justice, parce que les contribuables concernés ont une personnalité particulière. Lorsqu'un ministre ne déclare ou ne paye pas ses impôts, par exemple, même si le montant est inférieur à 100 000 euros, la responsabilité est prise d'en transmettre le dossier à la CIF qui l'adresse à la justice, laquelle condamne manifestement ces personnes.

Un point de votre argumentation me semble très étonnant, monsieur de Courson : il faudrait absolument supprimer le « verrou », dites-vous, et faire confiance à la justice – ce que nous faisons en très grande partie – tout en considérant qu'un doute demeure concernant les élus et personnalités qui font une déclaration à la HATVP, et qu'il vaudrait mieux qu'ils soient traités comme les autres citoyens. Il me semble qu'étant donné l'exigence de probité – on peut la regretter mais elle reflète la société dans laquelle nous vivons –, on ne comprendrait pas que des dossiers qui sont aujourd'hui transmis automatiquement même lorsqu'ils n'atteignent pas 100 000 euros ni ne correspondent à vos critères, parce que les intéressés sont député, ministre, sénateur, préfet ou directeur d'administration centrale, ne soient plus transmis grâce ou à cause de l'amendement que vous allez adopter. Le Gouvernement maintiendra donc sa position dans l'hémicycle ; le Parlement prendra alors ses responsabilités en souhaitant éventuellement supprimer la distinction entre l'ensemble des contribuables et les personnes qui adressent des déclarations à la HATVP, mais j'estime que cela n'irait pas dans le sens de la vertu, pour reprendre les termes de l'échange que le Premier ministre a eu avec M. Mélenchon.

Se pose enfin la question de la date. J'ai compris que Mme la rapporteure souhaitait décaler la mise en place de la disposition pour que nous nous mettions tous d'accord. En ce qui me concerne, je laisserai le Parlement en décider. Il me semble que cela enverrait plutôt un mauvais signal, car un report laisserait croire que nous ne sommes pas prêts ; je peux vous dire que l'administration que je dirige sera évidemment prête, le jour où la loi sera promulguée, à l'appliquer à la date que le Parlement aura votée, et le plus tôt sera le mieux. Avant même le vote définitif de la loi, je publierai avec Mme la garde des sceaux les circulaires que j'ai promises à la rapporteure et à l'ensemble des parlementaires, notamment sur le fonctionnement de la connexité et du dialogue déconcentré.

Je vous remercie pour ce beau travail. Il s'agit à mon sens de l'un des moments les plus intéressants que nous ayons eu à connaître de la relation entre le Parlement et le Gouvernement – pour ce qui me concerne en tout cas, après 250 heures passées devant l'Assemblée nationale depuis ma nomination au Gouvernement.

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