Intervention de Bénédicte Peyrol

Réunion du mercredi 12 septembre 2018 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBénédicte Peyrol, rapporteure de la mission d'information :

Après plusieurs mois de travaux, le temps est venu de présenter les conclusions de cette mission qui nous a longuement occupés, et à l'occasion de laquelle nous avons pris beaucoup de plaisir à travailler ensemble.

Attaque contre la démocratie, atteinte au consentement de l'impôt, pratiques qui érodent les finances publiques et compromettent la réalisation d'ambitieuses politiques publiques : l'évasion fiscale est un fléau qui gangrène nos sociétés. Chacun d'entre nous, sur ces bancs, a eu l'occasion de le souligner. Cette année 2018 a d'ailleurs offert à plusieurs reprises à notre commission l'opportunité de traiter ce sujet. Nous avons ainsi évoqué le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude. Nous avons en outre examiné une proposition de loi de Fabien Roussel sur les paradis fiscaux, dont les travaux ont pu utilement enrichir nos réflexions ainsi que le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, et un projet de loi portant sur la ratification de la Convention multilatérale de l'OCDE dont j'étais rapporteure pour avis. Nul doute que le prochain projet de loi de finances sera également l'occasion de débattre de ce sujet. Le rapport qui vous est soumis contient d'ailleurs des pistes destinées à l'alimenter.

Venons-en à la présentation du rapport, qui traduit la conclusion des travaux de cette mission d'information. Comme l'a souligné son président, Jean-François Parigi, ces travaux ont associé un grand nombre de personnes d'horizons variés, car il nous semblait indispensable d'entendre tous les interlocuteurs. Cette variété de profils s'explique aussi par le prisme original que nous avons retenu, dont nous vous avons fait part lors de la présentation du lancement de cette mission, le 13 mars dernier : ne pas se cantonner à la seule dimension fiscale ni aux seuls aspects techniques et juridiques, mais aborder la question sous un angle global touchant également à la diplomatie et à l'économie de la France. Par ailleurs, il nous a semblé non seulement utile, mais aussi nécessaire de consacrer une partie du rapport à une clarification des contours des questions liées à l'évasion fiscale.

J'apporterai tout d'abord quelques précisions sur la forme de ce rapport, avant d'aborder le fond.

Les dimensions novatrices pour un rapport parlementaire consacré à l'évasion fiscale, auxquelles je faisais référence, de même qu'un souci d'être aussi précis que possible pour aboutir à des pistes opérationnelles, expliquent le volume assez copieux du document. Telle n'était pas votre commande initiale, monsieur le président, vous qui aviez préconisé un dossier synthétique. C'est pourquoi ce rapport est doublé d'une synthèse de 40 pages qui permet, en une dizaine de minutes, d'obtenir une vision très complète du contenu du document. Nous avons de surcroît élaboré une feuille de route opérationnelle, détaillant les niveaux d'intervention et le calendrier que nous nous fixons – car le travail se poursuivra bien évidemment après la présentation de ce rapport. En annexe figure la liste des trente-huit recommandations, détaillées tout au long du rapport. Elles constituent des pistes d'évolution et ont servi de base à la quasi-totalité des quinze propositions que je qualifierais de « phares ». Certaines de ces dernières correspondent exactement à l'une de ces recommandations, tandis que d'autres en agrègent plusieurs.

J'en viens désormais au fond du rapport, c'est-à-dire à l'essentiel. Ainsi que le président de la mission d'information l'a rappelé, nous avons décidé de concentrer nos travaux sur l'évasion fiscale des entreprises à travers l'impôt sur les sociétés.

Les développements du rapport débutent par une partie préliminaire essentiellement pédagogique. Nous avions indiqué, lors du lancement de la mission en mars dernier, qu'un effort de clarification serait effectué sur le contenu des termes « évasion », « optimisation agressive » ou encore « optimisation », et qu'un accent serait porté sur l'évaluation chiffrée de ces pratiques. En effet, les estimations souvent avancées dans le débat public varient considérablement, et ne portent pas toutes sur les mêmes notions. Au quatuor classique réunissant la fraude, l'évasion, l'optimisation agressive et l'optimisation admise, nous préférons une distinction plus fine reposant non plus sur la légalité des comportements, mais sur les notions de substance économique et d'artificialité. Cette clarification n'a ni pour objet, ni pour effet de réduire le champ de ce qui n'est pas admissible et doit être sanctionné. Il s'agit de précisions méthodologiques faites dans un souci de lisibilité, visant une meilleure appréhension de ce qui est acceptable fiscalement et de ce qui ne l'est pas. Le rapport contient ainsi un organigramme qui, en fonction des opérations, permet d'identifier ce qui relève de la fraude, de l'évasion ou du cadre admis.

S'agissant des évaluations, le rapport ne propose pas d'estimations chiffrées, mais étudie celles qui existent et les méthodes sur lesquelles elles s'appuient. Il en ressort que certains chiffres doivent être appréhendés avec précaution, tandis que d'autres méritent que soit précisé le périmètre qu'ils recouvrent. À titre d'exemple, le montant de 60 à 80 milliards d'euros régulièrement avancé est issu d'une estimation du syndicat Solidaires Finances publiques, réalisée sur la base des données du contrôle fiscal – méthode reconnue, mais qui peut conduire à des surestimations. Surtout, contrairement à ce qui est souvent affirmé, cette estimation ne concerne pas le seul impôt sur les sociétés et les entreprises, mais embrasse bien tous les impôts – impôt sur le revenu, TVA, impôt sur les sociétés, taxes locales, fiscalité du patrimoine, etc. – et est surtout concentrée sur la fraude.

Face aux difficultés méthodologiques et à la variété des chiffres en jeu, il nous a semblé indispensable que l'administration française réalise enfin une évaluation de l'impact de la fraude et de l'évasion fiscales, en associant des experts de différents horizons et en s'accordant, avant tout, sur une méthode.

Toujours dans le volet pédagogique du rapport, il nous a semblé opportun de rappeler le chemin parcouru depuis la dernière mission consacrée à ce sujet, en 2013, sous la présidence d'Éric Woerth. Nous assistons, depuis, à une forte prise de conscience internationale. Elle est le fait, d'abord, de l'OCDE, via son ambitieux projet BEPS, dont nous avons eu à connaître avant l'été à travers la Convention multilatérale à laquelle je faisais référence plus tôt. Elle est le fait, ensuite, de l'Union européenne, avec la multiplication d'importantes initiatives : projet d'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS), directives anti-évasion fiscale, information des administrations, liste commune des paradis fiscaux et, dernièrement, taxation du numérique.

Enfin, cette partie préliminaire du rapport s'attache à rappeler ce qui doit être une évidence pour nous, législateur, mais qui est parfois oublié : une action législative responsable s'exerce dans un cadre juridique contraint qui limite certaines marges de manoeuvre. Ces limites résident dans le droit constitutionnel, le droit de l'Union européenne et les conventions fiscales internationales. Il nous a semblé qu'une action de législateur responsable supposait d'émettre des propositions pouvant connaître une traduction effective dans notre droit, sans recourir à la facilité consistant à proposer des pistes révolutionnaires mais contraires aux normes que le droit est tenu de respecter – et, de ce fait, inapplicables. Rassurez-vous toutefois, cette responsabilité ne signifie nullement l'inaction. Vous pourrez le constater dans les propositions que nous vous soumettons.

Au terme de la présentation de ce volet pédagogique, il me reste à vous soumettre les orientations du rapport.

Ainsi que je vous l'ai indiqué, nous avons retenu une approche originale qui associe les dimensions diplomatique et économique. C'est dans un tel contexte que la première partie du rapport aborde les moyens permettant de développer l'assiette fiscale française, et ceci à travers quatre volets : l'établissement stable, la valorisation des transactions, les outils anti-abus et l'attractivité du territoire français, s'agissant notamment de la propriété intellectuelle et de la diplomatie fiscale. Le diptyque classique de la fiscalité internationale repose d'une part sur le droit d'imposer, et d'autre part sur la valorisation de l'assiette une fois ce droit reconnu. Sans droit d'imposer, il ne peut y avoir d'assiette. Sans valorisation, il y a théoriquement une assiette, mais elle peut être dérisoire. Les questions liées au droit d'imposer ont connu d'importants progrès, que nous présentons. Au-delà, la valorisation de l'assiette m'a semblé constituer un point absolument essentiel. Elle renvoie aux questions de manipulation des prix de transfert.

Je rappelle que les prix transfert n'ont rien de dommageable en tant que tels. C'est leur manipulation abusive qui présente des difficultés. Il est donc indispensable de mieux valoriser l'assiette en luttant plus efficacement contre les manipulations de prix de transfert.

À cet égard, nous avançons une proposition reposant sur deux piliers.

Il s'agit en premier lieu de clarifier les différentes méthodes de valorisation. Celles-ci sont au nombre de cinq, chacune ayant ses forces et ses faiblesses. Au cours des auditions, il est apparu que l'administration tendait à employer essentiellement l'une d'entre elles, dite méthode transactionnelle de la marge nette, ou transactional net margin method (TNMM), même lorsque cela ne se justifiait pas. Il paraît opportun d'encadrer l'action de l'administration et, surtout, de l'accompagner dans un usage plus fréquent, lorsqu'il est pertinent, de la méthode dite du partage des bénéfices, ou profit split. Cela améliorerait la relation de confiance entre l'administration et les entreprises, et éviterait de surcroît que l'action de l'administration se trouve fragilisée au contentieux du fait d'un recours inapproprié à telle ou telle méthode.

En second lieu, il paraît impératif d'enrichir le droit applicable en matière de prix de transfert. Cela implique notamment de mener une réflexion sur l'évolution du contenu de l'article 57 du code général des impôts, qui remonte aux années 1930 et dont la rédaction est lapidaire. Dans le même dessein s'avère nécessaire un développement des instructions fiscales, voire l'adoption d'une charte en matière de prix de transfert qui, comme celle qui est consacrée aux droits du contribuable vérifié, serait opposable.

S'agissant des outils anti-abus, le rapport dresse un panorama des principaux dispositifs existants et de leur rendement. Nos travaux se sont concentrés sur l'abus de droit et les clauses anti-abus. Nous en appelons à une clarification à cet égard, la multiplication des clauses anti-abus rendant leur articulation assez illisible. Nous proposons également d'assouplir l'abus de droit. Cette mesure, qui avait été suggérée par la mission de 2013, s'était heurtée à une censure du Conseil constitutionnel. Dans le souci de responsabilité qui nous anime, nous avons tenu compte de cette censure. Nous proposons en conséquence un abus de droit à deux étages. Le premier étage rendrait l'outil, d'une redoutable efficacité, applicable aux montages dont le but est principalement fiscal, mais sans majoration automatique. Le second étage, quant à lui, correspondrait à l'outil actuel et viserait les montages exclusivement fiscaux, avec majoration de 80 %. Une procédure de rescrit particulière est également proposée. Ajoutons que la proposition que j'avance anticipe la transposition de la directive relative aè la lutte contre l'évasion fiscale, dite ATAD – pour anti tax avoidance directive –, qui prévoit une clause anti-abus générale. Par conséquent, la proposition de dispositif anti-abus à double étage que je vous soumets permet de transposer la directive ATAD, en articulant l'article L. 64 du livre des procédures fiscales avec cette nouvelle clause.

Parmi les outils anti-abus, nous avons étudié tout particulièrement ceux qui portent sur la déductibilité des charges financières. Nous proposons le renforcement de certains d'entre eux, et appelons à la plus grande vigilance dans le cadre de la transposition de la directive ATAD sur ce sujet qui devrait intervenir dans le projet de loi de finances pour 2019.

L'attractivité, je le disais, a elle aussi été prise en compte. Son renforcement est indispensable dans un contexte de concurrence économique et fiscale. S'il faut, bien évidemment, lutter contre l'optimisation fiscale à travers des dispositifs anti-abus, il faut aussi s'attacher à préserver une base fiscale en France, sachant que nous évoluons dans un monde ouvert. Nos réflexions sur de nouveaux dispositifs doivent donc être systématiquement sous-tendues par l'enjeu de l'attractivité de la France, de son territoire et de son droit fiscal. Il ne s'agit évidemment pas de rendre la France attractive en la transformant en un paradis fiscal, bien au contraire. C'est en exploitant les atouts français que, dans un cadre fiscal vertueux, nous avancerons.

Un point essentiel de l'attractivité est souvent négligé, même s'il a ici d'ardents promoteurs : la sécurité juridique. Un droit fiscal plus stable et prévisible est essentiel. Il est en outre incontournable de développer les rescrits, notamment en matière de prix de transfert. Enfin, s'il faut se montrer inflexible avec ceux qui pratiquent l'évasion fiscale, il paraît pertinent de valoriser ceux qui sont vertueux.

Nous avons également analysé l'imposition des actifs incorporels, dans le contexte d'une réforme fiscale américaine particulièrement agressive sur ce point. L'évolution du régime fiscal des brevets, cette patent box française jugée dommageable par l'OCDE et par l'Union européenne, devrait intervenir dans le prochain projet de loi de finances. C'est une évolution favorable, qui n'amoindrit toutefois pas la nécessité de rester attentif au maintien de l'attractivité du pays.

Ces questions font également écho à celle de la diplomatie fiscale, que le rapport propose de placer au centre de l'action française. Notre pays bénéficie d'une stabilité que nombre de ses voisins lui envient. Il dispose du deuxième réseau diplomatique au monde. Ces atouts constituent des forces qui doivent être exploitées pour inciter des pays étrangers à évoluer favorablement sur les sujets fiscaux. Ces sujets doivent d'ailleurs être systématiquement pris en compte dans le cadre des rencontres officielles.

La France doit peser de tout son poids à cet égard, tout particulièrement dans l'Union européenne. Certains États membres, heureusement peu nombreux, ne jouent pas le jeu en matière fiscale. Je pense notamment à Malte ou à l'Irlande. Consacrer pleinement la lutte contre l'évasion fiscale dans l'Union, au titre du semestre européen, et valoriser le code de conduite européen en matière de fiscalité des entreprises, sont autant d'actions susceptibles de porter des fruits rapidement. Parallèlement, il est indispensable d'accompagner les États membres dont le modèle repose sur la fiscalité vers un modèle plus vertueux. L'Irlande, par exemple, a vu ses conditions de financement très allégées à la suite des records de croissance dus à son attractivité fiscale numérique. Toutefois, cette croissance est au moins en partie artificielle. Imposer à l'Irlande un changement radical aurait des conséquences très lourdes pour le pays et sa population. Il faut donc être ferme, mais proposer une véritable évolution et une véritable transition.

La diplomatie fiscale est d'autant plus indispensable que le monde se fait instable. Là aussi, la France doit peser de tout son poids face à ses partenaires pour assurer le respect des conventions fiscales, dont beaucoup sont méconnues par l'autre partie. J'évoquais plus tôt la réforme fiscale américaine. Elle appelle une réponse claire de la France, mais aussi, et surtout, de l'Union européenne.

Enfin, la diplomatie fiscale de notre pays nous concerne, nous parlementaires, au premier chef. Il est donc proposé de renforcer substantiellement l'association du Parlement dans les négociations des conventions fiscales, d'enrichir l'information du Parlement et d'accroître le rôle de ce dernier dans le cadre décisionnel européen. À cet égard, il semble souhaitable que le Parlement, avant les réunions du Conseil européen et du Conseil de l'Union européenne, puisse donner au Gouvernement un mandat politique de négociation. Cela accroîtrait la démocratisation du processus et renforcerait la position de la France, dont la légitimité se trouverait accrue à travers le cadre parlementaire.

Notre monde se transforme également sous l'effet de la numérisation et de la financiarisation de l'économie, qui posent de sérieux défis fiscaux. C'est à ces défis que la deuxième partie du rapport s'attache à répondre.

La numérisation de l'économie a bouleversé les règles fiscales traditionnelles, et ne concerne pas les seuls géants de l'Internet. Tous les secteurs sont touchés. C'est là une nouvelle révolution, après la révolution industrielle. Le rapport fait état de ces défis et tente d'apporter une réponse – à tout le moins, un éclairage – sur les conséquences que pourrait avoir une adaptation intégrale des règles fiscales à la numérisation, notamment à travers la question d'un glissement de la valeur vers les marchés de consommation. Là aussi, le prisme économique a été pris en compte. Pour autant, une évaluation complète par la France et par l'Union européenne, ainsi qu'une position commune de l'Union, nous ont semblé indispensables.

Une fois les défis posés, vient le temps des réponses. Le cadre d'action pertinent est international, mais il n'existe pas de consensus en la matière. L'Union européenne, autre cadre d'action efficace, a en revanche considérablement avancé sur ces questions. Le projet d'assiette commune consolidée, dit ACCIS, bien qu'il ne soit pas cantonné à l'économie numérique, apporte une réponse qui doit trouver, de notre part, un soutien appuyé. Ce projet, relancé par la Commission européenne en 2016, a semblé s'enliser mais a trouvé un nouveau souffle, notamment sous l'impulsion de la France. Son premier volet, l'assiette commune, pourrait aboutir dès 2019.

Parallèlement au soutien au projet ACCIS, il importera d'appuyer le paquet européen de mars dernier sur la fiscalité numérique. Celui-ci propose deux solutions. La première, de court terme, réside dans une taxe de 3 % appliquée aux revenus tirés de certains services numériques. La seconde, structurelle et de long terme, repose sur le principe de présence numérique significative. Elle permettra de lutter contre les schémas abusifs, notamment ceux des géants du numérique, grâce à la notion d'établissement stable virtuel.

La taxe sur les services numériques (TSN) est opportune, mais doit impérativement rester une solution de court terme, sans se pérenniser. Ce qui est essentiel est bien la solution structurelle d'établissement stable virtuel. Aussi le rapport préconise-t-il de limiter la durée d'application de la TSN à deux ans, pour inciter les pays à avancer vers la solution de long terme qu'est l'établissement stable virtuel.

Les propositions de notre rapport sur l'économie numérique se déclinent en plusieurs scénarios.

Le scénario idéal suppose des progrès sur le projet ACCIS et la TSN, conduisant à limiter la durée de celle-ci à deux ans, pour avancer le plus rapidement possible sur l'établissement stable virtuel. Il sera aussi l'occasion de réaliser une évaluation complète de l'impact du projet ACCIS.

Le scénario de repli, si les négociations européennes sur la TSN s'enlisent et que le projet ACCIS ne connaît pas d'avancée notable, prévoit une double action au niveau national. Il s'agit tout d'abord de consacrer en droit français l'établissement stable virtuel, le cas échéant avec quelques améliorations par rapport à la proposition européenne. Il s'agit d'autre part de créer en droit français une taxe spéciale anti-abus, qui pourrait s'inspirer de dispositifs étrangers mais qui devra éviter les écueils constitutionnels.

Parallèlement au défi de la numérisation, le rapport aborde les questions de la financiarisation de l'économie à travers deux prismes : la lutte contre les paradis fiscaux et la transparence. Il propose une série de mesures renforçant la lutte contre les paradis fiscaux, qu'il s'agisse d'États ou territoires non coopératifs – les fameux ETNC – ou de pays à régime fiscal privilégié. Ici aussi, outre les propositions accroissant l'efficacité des outils, nous suggérons une meilleure information du Parlement.

En matière de transparence financière et fiscale, le rapport préconise une ouverture accrue mais encadrée du registre des trusts. Rappelons que la publicité de ce dernier avait été censurée par le Conseil Constitutionnel pour atteinte à la vie privée. La transparence imposée aux banques et intermédiaires fiscaux et financiers est également abordée dans ce volet.

La troisième et dernière partie du rapport est consacrée à l'acteur sans lequel la lutte contre l'évasion fiscale serait un vain mot : l'administration.

Pour agir efficacement, l'administration doit disposer de données. Jamais celles-ci n'ont été aussi abondantes, qu'il s'agisse de la documentation en matière de prix transfert ou des échanges d'informations entre administrations. Se pose toutefois la question des outils permettant d'exploiter ces éléments. Le rapport encourage le développement de l'exploration de données – ou data mining – ainsi que des outils d'intelligence artificielle, de même qu'une approche des contrôles sur leur intégralité, depuis le lancement jusqu'à la conclusion contentieuse, afin d'enrichir les contrôles futurs.

L'administration dispose aussi d'un outil efficace : la déclaration pays par pays des entreprises. La question de sa publicité fait débat. Le rapport propose de soutenir une telle publicité au niveau de l'Union européenne – une proposition de directive est d'ailleurs en discussion en ce sens. Dans l'attente de son aboutissement, le rapport propose d'organiser en France une publicité ciblée à destination de journalistes et d'organisations non gouvernementales accrédités à cet effet.

Parallèlement à ces moyens techniques, nous avons étudié les moyens humains. Un enrichissement de l'expertise de l'administration pourrait – du moins, le rapport le propose-t-il – passer par un accroissement des perspectives de mobilité entrante et sortante. L'administration bénéficierait ainsi des compétences d'experts fiscaux et d'avocats extérieurs, tandis que les fonctionnaires enrichiraient leur parcours et leurs compétences d'expériences dans des entreprises ou des cabinets privés. Mutuellement bénéfiques, ces mobilités devraient prévoir des garanties pour éviter tout conflit d'intérêts. L'ouverture de l'administration reste, en tout état de cause, une chance qu'il faut saisir.

Cette partie du rapport traite en outre de l'intégration de la lutte contre l'évasion fiscale dans un contexte économique international. Nous proposons ainsi que soient systématiquement associés à l'administration fiscale les services compétents en matière diplomatique et économique.

Enfin, pour dépasser le cadre traditionnel de réflexion sur l'évasion fiscale, des pistes alternatives ont été abordées. L'une porte sur le droit de la concurrence, que la Commission européenne, mais aussi l'Allemagne, exploitent pour renforcer la justice fiscale. Deux autres pistes, évoquées dans la conclusion du rapport, sont certainement plus lointaines, mais aussi très ambitieuses.

La première consisterait à mettre en place, au niveau de l'Union européenne, une taxe à l'égard des entreprises étrangères qui ne respecteraient pas les standards européens minimaux en matière sociale, environnementale, fiscale et commerciale. Elle assurerait une plus grande justice fiscale, mais lutterait aussi contre le dumping fiscal de certains États ou les atteintes à l'environnement.

La seconde, qui constitue en quelque sorte une prise de distance vis-à-vis des règles fiscales actuelles, propose d'engager une réflexion sur un changement de paradigme pour identifier de nouvelles assiettes. À cet égard, une piste intéressante pourrait résider dans la prise en compte du prisme environnemental, notamment vis-à-vis des acteurs du numérique et des externalités négatives qu'ils peuvent engendrer.

Quelles que soient nos affinités politiques, nous nous accordons tous à considérer que la lutte contre l'évasion fiscale doit constituer une priorité qui dépasse les clivages partisans.

Je crois vous avoir présenté l'ensemble des conclusions de la mission et ses principales propositions. Celles-ci sont de divers ordres et s'inscrivent dans des temporalités variées. Toutes sont cependant importantes, qu'il s'agisse de renforcer certains outils, d'en créer de nouveaux, d'améliorer la prise en compte par les autorités de la question fiscale internationale, ou encore de développer les moyens de l'administration. Leur niveau d'action est variable, depuis l'OCDE jusqu'à l'Union européenne ou la France. En dépit de cette variété, l'objectif qu'elles poursuivent est identique : améliorer la lutte contre l'évasion fiscale et renforcer la justice fiscale.

Avant de répondre à vos questions et de vous demander d'accepter la publication de ce rapport, je souhaite remercier vivement le président de cette mission, Jean-François Parigi, qui m'a accompagnée tout au long des auditions. Mes remerciements vont également au président de la commission des finances, Éric Woerth, qui m'a fait confiance malgré mon jeune âge – l'argument m'a été opposé… – et m'a confié une telle tâche. Enfin, je tiens à remercier l'administrateur de la commisison des finances mis à la disposition de la mission d'information.

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