Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 19 septembre 2018 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, merci de m'accueillir aujourd'hui au sein de votre commission. Comme je m'y étais engagée, je viens vous présenter les éléments relatifs à l'évasion de M. Rédoine Faïd et les mesures que j'ai décidé de prendre après avoir tiré les conclusions de cet événement grave et exceptionnel.

Il y a, chaque année, des évasions dans nos établissements pénitentiaires. Elles restent néanmoins peu nombreuses en dépit de l'augmentation tendancielle de la population détenue. Ainsi, il y a eu quinze évasions en 2017 dont six depuis des centres de semi-liberté. Sur les neuf autres évasions, quatre ont eu lieu en métropole et cinq outre-mer. Il s'agit souvent de personnes condamnées à de courtes peines qui quittent des établissements généralement vétustes et peu sécurisés. Nous avons d'ailleurs eu récemment une évasion de la prison de Colmar qui est assez vétuste.

L'évasion de M. Rédoine Faïd ne relève pas de cet ordre-là. Il s'agit d'un « gros profil », si vous me permettez la familiarité de l'expression. Il s'était déjà évadé à l'explosif de la prison de Lille-Sequedin. Il avait ensuite été à nouveau condamné pour sa participation à un braquage ayant entraîné la mort d'une policière municipale.

La singularité de cette évasion tient aussi au fait que la prison de Réau est un établissement moderne et sécurisé. Elle comprend une maison centrale, ce qui correspond normalement au niveau le plus élevé de sécurité. Cela rend l'événement d'autant plus inquiétant.

Le jour même de l'évasion de M. Rédoine Faïd, le dimanche 1er juillet, je me suis rendue au centre pénitentiaire de Réau, à la rencontre du personnel confronté à cet événement hors norme. J'ai pu constater que les surveillants étaient extrêmement choqués. Comme je ne connaissais pas cette prison, je souhaitais me rendre compte par moi-même du cadre dans lequel il avait pu se dérouler.

Le même jour, j'ai diligenté une mission d'inspection. L'inspection générale de la justice (IGJ) relève quatre points principaux dans le rapport qu'elle m'a rendu.

Tout d'abord, elle constate une conjonction de failles de sécurité, parfaitement exploitées par un commando aux méthodes paramilitaires : l'absence de filins anti-hélicoptère dans la cour d'honneur, le positionnement d'une porte d'intervention vers les parloirs donnant directement dans cette cour d'honneur. Il faut ajouter à cela un dispositif d'appel d'urgence défaillant du côté des forces de l'ordre, alors qu'il avait été testé le matin même. Enfin, l'inspection estime que l'organisation des parloirs mérite d'être repensée.

En second lieu, l'IGJ souligne la stupeur du personnel face à une attaque de nature hautement improbable puisqu'elle impliquait notamment l'atterrissage d'un hélicoptère dans une cour très étroite. Cette stupeur a annihilé la capacité de réaction des surveillants, mais elle a probablement évité un lourd bilan humain face à des malfaiteurs très déterminés qui disposaient d'armes lourdes.

En troisième lieu, le rapport relève une difficulté tenant à la doctrine de gestion de détenus d'une dangerosité particulière. Cela résulte, tout à la fois, du statut de prévenu qui s'appliquait à M. Rédoine Faïd, des règles d'affectation et de transfert et d'une approche probablement trop formaliste de l'administration centrale face aux alertes opérationnelles du terrain.

Enfin, le rapport de l'inspection note une insuffisance d'analyse de la situation de chaque détenu particulièrement signalé (DPS) de la part des bureaux chargés de la gestion de la détention et du renseignement.

Ces éléments, mis en exergue par le rapport de l'inspection, m'ont conduite à décider d'un plan d'action. Avant de vous l'exposer, je tiens à rappeler que je n'ai pas attendu cet événement exceptionnel pour me saisir de la question complexe de la sécurité en détention et prendre un certain nombre de mesures. Voici quelques-unes de ces mesures qui étaient déjà à l'oeuvre.

J'ai augmenté les fonds alloués à la sécurité des prisons de plus de 10 millions d'euros dans le budget 2018. La mesure sera prolongée dans le budget de 2019.

J'ai décidé de professionnaliser et de renforcer le renseignement pénitentiaire. Nous avons conforté les effectifs de ce service en 2017 pour parvenir à 307 agents. Dans le cadre de la loi de programmation, nous allons encore augmenter ces effectifs d'une centaine d'agents d'ici à 2020.

J'ai aussi souhaité que les détenus radicalisés, que nous considérons comme étant ceux qui font courir le plus de risques à notre société, fassent l'objet d'un traitement particulier. J'ai ainsi créé des quartiers d'évaluation de la radicalisation qui permettent, entre autres, d'apprécier leur niveau de dangerosité dès leur entrée en détention. Je me suis aussi engagée à mettre progressivement en place des structures étanches pour isoler ces détenus radicalisés.

Nous commençons à déployer des dispositifs efficaces de brouillage des téléphones portables. J'y reviendrai, si vous le souhaitez.

Nous avons lancé un marché pour acquérir un système de lutte contre les drones.

Nous revoyons la doctrine d'emploi des équipes de sécurité pénitentiaire qui pourront être armées à l'occasion des transfèrements médicaux pour prévenir les évasions. Cette année, quelques évasions et tentatives d'évasion ont eu lieu à l'occasion de tels transfèrements. Les personnels sont déjà armés pour les extractions judiciaires. Nous voulons, en quelque sorte, homogénéiser la doctrine d'emploi quels que soient les modes d'extraction.

À la suite des manifestations et des grèves des personnels, nous avons signé un protocole d'accord, le 29 janvier dernier, avec la première organisation représentative des surveillants pénitentiaires. Dans ce cadre, nous avons amplifié la dotation des équipements individuels renforcés pour les équipes au contact des détenus radicalisés ou violents. La livraison de ces équipements – gilets pare-lame et autres – s'étendra sur les mois de septembre et d'octobre.

Ces mesures sont importantes et très concrètes pour les personnels. Je suis convaincue qu'elles contribueront à améliorer réellement leur sécurité.

Au-delà de ces mesures et pour prendre en compte les conclusions et préconisations du rapport d'inspection lié à l'évasion de M. Rédoine Faïd, j'ai décidé d'agir selon quatre axes.

En premier lieu, nous tirons les enseignements, pour l'établissement de Réau, de cette évasion.

La cour d'honneur sera dotée de filins anti-hélicoptère, ce qui était prévu par le contrat de partenariat public-privé mais n'a pas été exécuté au moment de la livraison de l'établissement, en 2011. Les études nécessaires à l'implantation de ce dispositif de sécurité ont été engagées et la réalisation devrait être effective avant la fin du 1er trimestre de 2019.

Le positionnement de la porte d'intervention vers les parloirs sera revu.

Les serrures seront sécurisées même sur les portes blindées car, comme vous le savez peut-être, M. Rédoine Faïd et ses complices avaient scié les serrures.

Le fonctionnement des parloirs est revu et sécurisé avec un encadrement dédié et des surveillants présentant un niveau d'expérience suffisant.

Ces éléments de sécurité font l'objet d'une analyse au cas par cas, conduite en ce moment même sur les établissements pénitentiaires qui présenteraient des caractéristiques de même nature.

Le deuxième axe de mon plan d'action concerne l'adaptation des règles d'affectation des détenus présentant un risque particulier d'évasion. L'idée est de placer ces détenus dans les établissements les plus sécurisés.

Cette démarche s'intègre pleinement dans le plan pénitentiaire que j'ai présenté en conseil des ministres le 12 septembre dernier. En effet, l'un des volets de ce plan vise à diversifier le parc immobilier, en cohérence avec les régimes de détention qui y sont développés, de sorte que les structures et leur niveau de sécurité propres soient pleinement adaptés à la population accueillie.

Pour cela, nous devons prendre en compte les contraintes juridiques complexes qui existent et les faire évoluer si nécessaire. Prenons un exemple. Actuellement, le code de procédure pénale fait dépendre l'affectation des détenus de leur statut pénal : les prévenus sont en maison d'arrêt et les condamnés dits définitifs sont en centre pour peine, sans considération de la dangerosité réelle des uns et des autres.

M. Rédoine Faïd avait fait appel dans deux affaires et il s'était pourvu en cassation dans une troisième. Au regard du code de procédure pénale, il avait donc le statut de prévenu. Cela a fait obstacle à un transfèrement plus aisé dans un autre établissement que celui de Réau.

Je vais donc proposer une modification du code de procédure pénale pour permettre l'affectation dans les établissements pénitentiaires les plus sécurisés de certains détenus particulièrement signalés (DPS), quel que soit leur statut pénal de prévenu ou de condamné. Cette modification législative sera proposée dans le cadre du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice dont la discussion commencera au Sénat le 9 octobre prochain.

Dans le même temps, nous allons classifier les établissements en fonction des risques présentés par les détenus. Nous allons notamment identifier une trentaine d'établissements capables d'accueillir les DPS au titre du risque d'évasion. Une trentaine de détenus sont actuellement concernés.

Enfin, nous revoyons la doctrine de gestion des DPS pour permettre un suivi en temps réel des transferts en cas de risque. Cela aurait probablement dû être le cas pour M. Rédoine Faïd.

Le troisième axe du plan d'action est consacré au renforcement du renseignement pénitentiaire sur les détenus particulièrement signalés.

Au cours des derniers mois, le renseignement pénitentiaire s'est concentré sur la lutte contre le terrorisme et sur les phénomènes de radicalisation. Si les différents plans mis en oeuvre à ce titre ont justifié le renfort et la réorganisation du renseignement pénitentiaire, il convient désormais de refaire de la prévention des évasions et de la sécurité des établissements une priorité du prochain service à compétence nationale. Le renseignement pénitentiaire devient, en effet, un service à compétence nationale.

Les pôles « criminalité organisée » du service de renseignement pénitentiaire, qui se trouvent au sein de l'administration centrale et dans les directions interrégionales, sont compétents pour suivre les DPS. Ils seront renforcés : une quinzaine d'emplois – sur les 100 recrutements prévus – leur sera dédiée.

Nous alignerons les moyens du renseignement pénitentiaire en matière de prévention des évasions et de bon ordre sur ceux de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Le recours à l'ensemble des techniques de renseignement, comme l'enregistrement du son ou de la vidéo, doit être possible dans certains lieux tels que les parloirs. Je proposerai, à cette fin, les modifications utiles du code de sécurité intérieure.

Le dernier axe de mon plan d'action – que je ne décris que dans les grandes lignes et sur lequel je pourrai peut-être revenir en réponse à vos questions – porte sur la réorganisation de l'échelon central de l'administration pénitentiaire. J'entends tirer les conséquences d'un fonctionnement décrit par l'inspection comme insuffisamment réactif et centré autour de l'application trop normative d'une doctrine et de règles de gestion dont la pertinence n'est pas suffisamment réinterrogée à l'aune de l'expérience du terrain et des situations individuelles.

J'ai demandé au directeur de l'administration pénitentiaire de me proposer une organisation de ses services centraux fondée sur trois principes.

Premier principe : ne pas séparer l'appréciation générale portée sur les régimes de détention de l'opérationnel, du terrain qui fait face aux dangers.

Deuxième principe : assurer une meilleure lisibilité de l'organisation de l'administration centrale pour ceux qui travaillent sur le terrain. Il faut qu'ils puissent, dans toute situation, identifier clairement les interlocuteurs pertinents au sein de l'administration centrale.

Troisième principe : renforcer la gestion et l'efficacité de la prise en charge des questions de sécurité. Il s'agit de recréer un pôle de sécurité cohérent et renforcé au sein de la direction de l'administration pénitentiaire. Ce pôle devra être capable de mettre en oeuvre le deuxième axe du plan, celui qui est relatif à l'affectation des détenus et à une gestion plus dynamique des profils à dangerosité particulière.

On constate actuellement un éparpillement des responsabilités en matière de gestion de la sécurité. Il faut absolument y mettre fin et assurer efficacement une double mission : la gestion des situations pénales individuelles, c'est-à-dire les affectations, les transferts, les décisions de placement à l'isolement, le suivi ; le traitement général des risques pour en avoir une bonne évaluation, savoir les prévenir et les endiguer. J'ai demandé à M. le directeur de me présenter cette nouvelle organisation à la fin de l'année pour une mise en oeuvre au début de l'année prochaine.

Pour conclure, mesdames et messieurs les députés, je dirais que ces préconisations s'insèrent parfaitement dans le plan pénitentiaire global que j'ai présenté récemment en conseil des ministres. La question de la sécurité est au coeur de mes préoccupations. Elle est centrale dans un plan qui vise à sanctionner ceux qui ont commis des infractions, à protéger la société et à réinsérer les détenus. Ces trois missions sont des vecteurs de protection de la société.

Le parc immobilier pénitentiaire, qui a trop longtemps été laissé dans un quasi-abandon, doit être repensé, à la fois en termes de concepts architecturaux et de régimes de détention mis en oeuvre au sein des structures. Cette double approche doit se traduire dans les nouvelles constructions que nous aurons l'occasion de proposer. Ce parc doit comprendre des établissements tournés vers la réinsertion, avec des niveaux de sécurité adaptés, et des prisons beaucoup plus sécuritaires pour contenir et gérer des publics à dangerosité particulière. C'est tout ce travail que nous engageons au travers de la loi de programmation et de réforme pour la justice qui sécurisera les moyens nécessaires à cette évolution.

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