Intervention de Charles Sultan

Réunion du jeudi 27 septembre 2018 à 10h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Charles Sultan :

Les perturbateurs ont-ils un impact sur les cellules germinales ? Il y a près de quinze ans, de grandes revues ont rapporté que le Distilbène, xéno-oestrogène considéré par tous les chercheurs comme un modèle d'étude des perturbateurs endocriniens, était capable de modifier la transcription d'environ vingt-cinq gènes – en régulation positive ou négative. On sait maintenant que le Distilbène régule négativement les gènes de la famille Hox-10, impliqués dans la différenciation des canaux de Müller. Ce sont ces gènes qui vont entraîner ensuite les malformations utérines de la fille Distilbène… La médecine est ma passion, vous l'aurez compris, mais c'est encore plus beau lorsque c'est assorti de données fondamentales ! De la même façon, certains gènes de la famille des WNT-glyciprotéines sont modifiés par le Distilbène. Or cette famille est impliquée dans la croissance des cellules endométriales et vaginales, ce qui expliquerait le mécanisme de l'adénocarcinome du vagin.

Il en est de même pour le bisphénol A (BPA). Il y a quinze ans, une étude avait également démontré que le BPA entraînait des modi-réductions, en régulation positive ou négative, de gènes clés en biologie cellulaire, gènes responsables de la croissance, de la différenciation, mais aussi de facteurs transcriptionnels. Au niveau global, les mécanismes sont donc parfaitement connus.

Le professeur Michael Skinner a démontré que c'est au travers des cellules germinales que s'effectue le mécanisme transgénérationnel. Ce dernier ne relève pas exclusivement de la génétique : on le sait désormais, c'est un mécanisme épigénétique. Il est en outre clairement établi, Philippe Berta l'a souligné, que le pool d'ovocytes des femmes est en diminution constante. Vous pouvez évoquer la PMA je ne néglige pas les problèmes éventuellement posés par les nouvelles conditions d'accès mais il faut également avoir conscience que de très nombreux perturbateurs endocriniens altèrent le pool folliculaire. Au lieu de naître avec quatre cents follicules – c'est-à-dire quatre cents cycles d'ovulation à raison d'un follicule par mois, soit une moyenne de trente ans, durée de vie endrocrino-gynécologique d'une femme –, les dernières études rapportent que la dioxine, qui se lie au récepteur AhR – également appelé récepteur aux hydrocarbures aromatiques – entraîne une apoptose des cellules ovariennes chez le rat et le primate. En conséquence, au lieu de naître avec quatre cents follicules, la petite fille va naître avec deux cents ou trois cents follicules, ce qui pourrait expliquer en partie l'accélération de la ménopause observée en France et la hausse du taux d'infertilité. Je suis régulièrement en contact avec mes confrères gynécologues sur ce sujet. Ces évolutions pourraient donc avoir pour origine une contamination de l'ovaire foetal.

Les perturbateurs endocriniens ont également des conséquences sur le testicule foetal. Je connais bien ce sujet que j'étudie depuis plus de vingt ans. Les résultats scientifiques sont bien connus… Le testicule est composé de deux types de cellules : la cellule de Leydig et la cellule de Sertoli. La cellule de Leydig produit la testostérone et l'on sait désormais que de très nombreux perturbateurs agissent sur le schéma de la stéroïdogenèse, réduisent le taux de testostérone et entraînent donc des ambiguïtés sexuelles en période néonatale.

Mais ces perturbateurs altèrent également la cellule de Sertoli. Cela crée ce que Niels Skakkebaek a appelé le syndrome de dysgénésie testiculaire (testicular dysgenesis syndrome – TDS), réduisant la spermatogenèse à l'âge adulte. Quand Skakkebaek a publié son étude en 2001, la plupart des endocrinologues, qui sont mes maîtres, et des pédiatres, qui sont mes collègues, sont restés totalement silencieux !

L'impact à l'âge adulte est tel aujourd'hui tel qu'il faut agir. Comme le disait Henri Bergson, « il faut agir en homme de pensée et penser en homme d'action ». Je le cite modestement, d'autant que bien d'autres avant nous ont réagi à la pollution environnementale. Ainsi, il y a cent ans, dans le Faust de Goethe, la terre est décrite comme un vaste cloaque ; ce à quoi le grand Bertolt Brecht répond : « D'abord la bouffe, ensuite la morale. »

Cent ans après, j'entends les mêmes réflexions, le même déni, y compris de collègues de la faculté de médecine, d'amis, de scientifiques, d'intellectuels, d'hommes humanistes qui représentent normalement la quintessence de la réflexion… Une grande sociologue avait parlé du « déni du Distilbène » dans sa thèse. Dès 1971, Herbst évoquait ses dangers dans le New England Journal of Medecine. Quarante ans plus tard, personne n'a tiré les leçons du Distilbène !

Je vous remercie de nous avoir donné l'opportunité de cet échange.

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