Intervention de Christine Hennion

Réunion du jeudi 4 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Hennion, rapporteure :

Pour expliquer les transformations prévues par le futur programme-cadre pour la recherche et l'innovation (PCRI), Horizon Europe, je vous propose d'examiner rapidement le contenu de l'actuel PCRI, Horizon 2020. Ce programme, qui va s'achever en 2020, comprend trois piliers : un premier pilier destiné au soutien à la recherche fondamentale, avec le Conseil européen de la recherche et un programme d'échanges entre chercheurs européens Marie Sklodowska-Curie. Le deuxième pilier prévoit de soutenir les nouvelles technologies, qui ont des besoins de financement élevé tout en étant prometteuses d'innovations d'avenir. Le troisième pilier est orienté vers des défis de société (santé, environnement, mobilité…). Il ressort de nos auditions que l'action du Conseil européen de la recherche constitue la véritable réussite du programme-cadre pour la recherche et l'innovation Horizon 2020.

Avec un budget d'1,8 milliard d'euros par an, il apporte un soutien aux meilleurs chercheurs européens, au moyen de bourses de longue durée, sur trois ans, de montants élevés, de 2 millions d'euros. D'autant plus qu'une fois les projets sélectionnés, les chercheurs disposent d'une grande liberté dans l'utilisation des fonds, l'organisation des équipes, le choix des matériels et des équipements. Très appréciée des chercheurs, cette liberté permet d'obtenir d'excellents résultats. En outre, certains des projets soutenus, s'ils ont vocation à se traduire par le développement d'un prototype préalable à un produit industriel, peuvent recevoir une aide complémentaire de 150 000 euros. Toutefois, les chercheurs qui souhaitent bénéficier de cette dernière doivent se soumettre à la lourdeur d'une nouvelle procédure. Nous proposons que ce financement complémentaire soit accordé de manière quasi-automatique.

Dans l'ensemble, il ressort des évaluations à mi-parcours du programme Horizon 2020 que les instruments de soutien sont complexes, peu visibles, à destination pour l'essentiel des PME, lesquelles ne sont pas nécessairement en mesure de s'orienter au sein des procédures. Les start-up ne s'y sentent pas nécessairement éligibles, ne serait-ce que parce que cette dénomination est étrangère à la terminologie des programmes de la Commission. La durée d'instruction des dossiers peut être très longue au regard du rythme de l'évolution d'une start-up : il faut ainsi compter un an en ce qui concerne l'institut européen d'innovation et de technologie (EIT). Le bilan dressé tant par le groupe d'experts présidé par M. Pascal Lamy que par la Cour des comptes européenne souligne donc la complexité résultant de la masse de règles, de procédures et de la multiplicité des instruments de financements et appelle à une réelle simplification. En conséquence, le futur PCRI proposé par la Commission en juin dernier s'appuie sur une nouvelle organisation.

Ce que l'on considère comme une réussite, le Conseil européen de la recherche, a été conservé dans le premier pilier. Conformément aux suggestions du rapport Lamy, il est envisagé de créer, au sein du troisième pilier, un Conseil européen de l'innovation, doté d'un budget de dix milliards d'euros – qu'il faut absolument sanctuariser. C'est cette nouvelle instance qui doit être dévolue à l'innovation de rupture. Et plutôt que d'avoir un deuxième pilier exclusivement tourné vers les technologies et l'industrie, ce pilier aurait vocation à soutenir, au travers de missions transversales, la recherche pour répondre à des défis « sociétaux ». Précisons que la Commission avait au préalable lancé une enquête, dénommée BOHEMIA, auprès d'un panel de plus de mille citoyens européens représentatifs. Il en ressort la réelle volonté d'intégrer une dimension de progrès social au budget alloué à la recherche. Cette préoccupation est très forte parmi de nombreux acteurs européens, et notamment les parlementaires allemands que nous avons pu rencontrer.

Il est également très important, et c'est peut-être le point qu'il aurait fallu évoquer d'emblée, de souligner que la recherche connaît une très forte augmentation de son budget. On passe en effet de 77 milliards dans Horizon 2020 à presque 100 milliards avec Horizon Europe. En prenant en compte l'impact quantitatif du retrait britannique, l'on parvient à une augmentation de 65 %, ce qui représente un effort considérable, même si le rapport Lamy allait plus loin en préconisant le doublement de ce budget.

Le Conseil européen de l'innovation, avec son budget de 10 milliards d'euros, doit donc se concentrer sur l'innovation de rupture. Pour ce faire, il s'appuiera sur deux instruments : d'une part, « l'Éclaireur pour la recherche avancée » destiné aux premières phases de recherche prendra la forme de subventions. Il s'inspire d'un outil existant de financement des PME. D'autre part, « l'Accélérateur » a vocation à remédier au manque de financement privé dans la phase la plus délicate de scaling up, que l'on appelle également traversée de la « vallée de la mort », et durant laquelle se conjuguent mise au point des prototypes et développement commercial. Apportant un soutien sur une période de longue durée, il allouera des financements mixtes combinant subventions et investissements en capitaux propres.

Nous nous réjouissons réellement de cette volonté d'investir dans l'innovation de rupture. Néanmoins, l'organisation de la future agence européenne, projetée par la Commission suscite un certain nombre de réserves et d'interrogations que nous détaillons dans le rapport. Parmi les plus importantes – et cela a été souligné dans toutes nos auditions - se trouve la question de la gestion de ces projets, avec, d'une part, le besoin d'équipes de gestionnaires très talentueux rassemblant une expertise technique, commerciale, financière et managériale. Or ces profils sont rares, à l'heure actuelle, en Europe. Il faut donc s'assurer que la Commission soit bien en mesure d'attirer ces talents et de former ces équipes. Et d'autre part, la nécessité de règles de gestion souples afin de pouvoir sélectionner en connaissance de cause des projets risqués. Or la Commission n'a pas, à ce stade, modifié ses règles de gestion des projets. On peut donc avoir un doute sur la façon dont le niveau de risque va être choisi. Il faut impérativement retrouver le goût du risque en Europe. Mais serons-nous collectivement capables de mettre de l'argent dans des projets d'innovation radicale comportant 90 % à 95 % de risque d'échec, dans un contexte bien légitime de saine gestion des deniers publics ? Il faudra résoudre cette contradiction pour permettre au Conseil européen de l'innovation de réussir.

Consciente du défi que représente la mise en place de cette nouvelle structure, la Commission a lancé une expérimentation, financée par des crédits du programme Horizon 2020, afin d'affiner le fonctionnement du futur Conseil européen de l'innovation. Cela est a priori une bonne initiative. Nous déplorons toutefois que la première sélection des projets ne se soit pas faite de manière transparente, les critères de sélection n'ayant pas été publiés. Nous sommes loin, par exemple, du mode de fonctionnement de la DARPA, qui lance au monde de la recherche des « défis » et qui est considéré par l'ensemble des personnes que nous avons rencontrées comme la meilleure manière de procéder aujourd'hui.

Parmi les points à améliorer, mentionnons également la nécessité de la coordination entre les différents échelons d'intervention régionaux, nationaux, européens, mais aussi entre les directions générales de la Commission. Il arrive que certaines d'entre elles lancent des projets relatifs à l'innovation, en ordre dispersé, sur la PAC, sur la blockchain, par exemple. Comment ces différentes initiatives seront-elles dans le futur coordonnées avec la politique d'innovation de rupture ? Nous sommes dans l'incertitude sur ce point.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.