Intervention de Thierry Michels

Réunion du jeudi 4 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Michels :

Le 25 janvier 2018, un rapport d'information sur la transition énergétique au sein de l'Union européenne, assorti d'une proposition de résolution européenne, a été présenté à la commission des affaires européennes. Il avait permis de procéder à l'examen détaillé des principaux textes européens sur le climat et l'énergie en cours d'élaboration ou d'actualisation. Grâce au rythme dynamique impulsé aux négociations interinstitutionnelles par la Présidence bulgare, ces textes sont, pour la majorité d'entre eux, maintenant stabilisés. Il est désormais possible de dresser un premier bilan des compromis obtenus.

La résolution européenne adoptée présentait différentes propositions dont notamment le rehaussement de plusieurs objectifs : un objectif d'efficacité énergétique accru : 40 % au lieu de 27 % d'ici à 2030 avec des objectifs nationaux contraignants ; un objectif d'énergies renouvelables renforcé : 35 % d'ici à 2030 au lieu de 27 % avec des objectifs contraignants ; un soutien de l'innovation ; un accompagnement des systèmes et des personnes ; une aide aux États membres aux ressources insuffisantes pour les aider dans leur transition énergétique, soit une transition solidaire.

Ces différents leviers doivent permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre avec un objectif de 40% d'ici à 2030 et 95% d'ici à 2050. Il faut établir une stratégie à long terme. Tout ceci s'inscrit en cohérence avec le but poursuivi par l'Accord de Paris de limiter la hausse de température à 2° C et l'analyse du prochain rapport du GIEC dont la publication est attendue pour le 8 octobre 2018.

Cette résolution européenne est devenue définitive en mars 2018. La Commission européenne a réagi à cette demande, le 28 juin 2018, et la réponse s'articule en trois points : les propositions auxquelles elle adhère, celles pour lesquelles elle a émis des réserves et enfin celles qui n'ont pas trouvé écho.

À propos des points d'adhésion, la Commission européenne prend acte du souhait de l'Assemblée nationale d'accroître l'objectif de 30 % à 35 % en ce qui concerne les règles de partage de l'effort pour les secteurs non couverts par le système européen d'échange de quotas d'émission, dit système ETS. Concernant la gouvernance de l'Union de l'énergie, la Commission européenne « salue l'ambition de l'Assemblée nationale sur l'instauration des points de passage contraignants et leur caractère linéaire ».

La Commission européenne apporte une réponse un peu plus nuancée sur deux points. Concernant la révision des règles applicables à l'efficacité énergétique, elle considère qu'un objectif compris entre 30 % et 35 % peut se justifier en termes de rapport entre les coûts et les bénéfices, mais que fixer un objectif supérieur à 35 % « serait irréaliste, en raison du niveau d'investissements que cela représenterait, en particulier dans le domaine de la rénovation des bâtiments ». Le texte européen, adopté depuis, fixe l'objectif à 32,5 %. Concernant la révision des règles applicables aux énergies renouvelables, la Commission européenne estime que l'objectif de 27 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie qu'elle avait proposé en 2016 pour 2030 pourrait être relevé. Ce positionnement est en phase avec le volontarisme de la résolution européenne du 9 mars 2018 qui proposait un objectif ambitieux de 35 %. Le texte législatif européen fixe cet objectif à 32 %.

La Commission européenne a également pris note de certaines propositions et a mis en oeuvre des actions pour les concrétiser ou s'apprête à le faire. Concernant la réduction des émissions européennes de gaz à effet de serre, la Commission européenne prépare sa contribution pour le développement d'une stratégie visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne à long terme. Il est impératif qu'elle fasse preuve d'ambition afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Concernant l'accompagnement du public dans la transition énergétique et la prise en considération des impacts sociaux que cette dernière pourrait avoir, la Commission, convaincue que la transition énergétique doit être inclusive a proposé une série de mesures allant dans ce sens dans le quatrième paquet énergie. Elle a mis en place, en janvier 2018, un Observatoire de la précarité énergétique pour aider les États membres dans leur transition.

Des point de divergences entre le contenu de la résolution européenne et la réponse de la Commission persistent. Concernant la révision des règles applicables au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, les changements législatifs récents ont commencé à se traduire par un renforcement du signal-prix. C'est pourquoi la Commission estime « préférable, à ce stade, de laisser la réserve de stabilité renforcée, qui régit le volume de quotas plutôt que le prix, déployer ses effets avant d'envisager d'autres options complémentaires comme la réglementation directe du prix » qui figurait dans la résolution européenne. Il faut souhaiter que les effets attendus se déploient rapidement car l'urgence climatique s'accélère. Je reste convaincu que nous avons besoin de signaux prix plus affirmés. Concernant le souhait de rehausser les objectifs de l'Accord de Paris, la Commission répond que la question du rehaussement de la contribution européenne à l'Accord de Paris ne se pose pas dans l'immédiat. Cette analyse me semble surprenante à la veille de la publication du prochain rapport du GIEC qui devrait faire le constat inverse.

La proposition de règlement sur la gouvernance de l'Union de l'énergie, contenue dans le quatrième paquet énergie actuellement en cours de finalisation, mérite une attention particulière. Ce règlement, qui constituera l'acte législatif cadre destiné à permettre d'atteindre les objectifs de l'Union européenne en matière d'énergie et de climat à l'horizon 2030, définit la manière dont les États membres collaboreront entre eux et avec la Commission pour atteindre les objectifs ambitieux que l'Union européenne s'est fixés en ce qui concerne l'énergie propre, notamment les objectifs en matière d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique, ainsi que ses objectifs à long terme concernant les émissions de gaz à effet de serre. Il prévoit notamment des points de passage contraignant avec l'établissement de mécanismes de contrôle qui contribueront à s'assurer que les objectifs sont atteints et la mise en place de mesures correctives fortes en cas de retards ou de manquements ainsi que l'introduction du concept du bilan carbone qui permet d'exposer clairement la quantité de carbone qui peut encore être consommé. En donnant de la visibilité aux entreprises, le règlement sur la gouvernance de l'Union de l'énergie favorisera l'établissement de stratégies cohérentes et encouragera les investissements tant publics que privés, notamment dans l'innovation. Ainsi, la transition énergétique pourra véritablement être appréhendée par tous les acteurs et permettra l'implication de tous les acteurs.

Ce règlement propose un calendrier pour la mise en place des plans nationaux en matière d'énergie et de climat. Les États membres devront soumettre leurs projets de plans à la Commission européennes pour le 31 décembre 2018 et la Commission européenne présentera ses recommandations au plus tard le 30 juin 2019. Le délai pour la présentation des plans nationaux définitifs est fixé au 31 décembre 2019. Concernant les rapports d'avancement bisannuels sur la mise en oeuvre des plans nationaux en matière d'énergie et de climat, la date de remise des premiers rapports a été fixée au 15 mars 2023. Un point très important du règlement concerne l'établissement de trajectoires pour les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Afin de parvenir à son objectif général global de 32 % d'énergies renouvelables d'ici 2030, l'Union européenne devra avoir atteint 18 % de l'objectif d'ici 2022, 43 % d'ici 2025 et 65 % d'ici 2027. Il a également été convenu de fixer trois années de référence pour l'efficacité énergétique (2022, 2025 et 2027).

Si l'on peut globalement dresser un bilan positif des compromis obtenus, il reste quelques points de vigilance. Dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, il faudra veiller à ce que les investissements aillent prioritairement vers les énergies renouvelables et s'assurer que le débat sur les marchés de capacité ne favorise pas le maintien de solutions du passé. Il faudra aussi obtenir la fixation d'objectifs plus ambitieux car une diminution de 40 % en 2030 ne permettra pas d'atteindre l'objectif de l'Accord de paris (une diminution de 95 % en 2050). Il faudra enfin s'assurer que les États membres les moins riches bénéficient d'un accompagnement pour la mise en place de mesures d'efficacité énergétique. Cela sera un point clé lors des élections européennes de 2019.

Pour atteindre de tels objectifs, les États membres devront fournir des efforts à géométrie variable. Tous ne partent pas du même point de départ. Ceci a notamment été mis en exergue par le questionnaire, envoyé à ma demande à l'ensemble des États membres, concernant leur plan de financement de la transition énergétique.

Pour compléter ce point d'actualisation sur l'état d'avancement des textes législatifs européens, il m'a semblé utile de procéder parallèlement à l'évaluation des politiques de transition énergétique dans les différents États membres de l'Union européenne en rassemblant, pour chaque État membre, des données sur quatre points principaux : le cadre général de la transition énergétique : existence ou non d'une programmation pluriannuelle ; existence ou non d'objectifs de réduction de gaz à effet de serre, de la part des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique pour la période 1990-2030 ; l'évaluation des progrès réalisés par rapport aux objectifs fixés ; le financement public de la transition énergétique ; l'évaluation de ce financement. La qualité très hétérogène des informations fournies a rendu impossible la réalisation d'une véritable étude comparative. Il n'a notamment pas été possible de faire clairement émerger quels étaient les financements publics les plus rentables en matière de transition énergétique.

La difficulté à établir un bilan comparatif des financements publics des politiques de transition énergétiques met en évidence la nécessité d'instaurer un système de reportage permettant aux uns et aux autres de s'inspirer de mesures mises en place dans des pays énergétiquement vertueux. Pour ce faire, il faudrait instaurer des critères d'évaluations communs à l'ensemble des États membres. On constate une grande diversité des objectifs entre les États membres concernant les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour la période 1990-2030. Un autre exemple de disparité entre les États membres concerne l'existence d'une programmation pluriannuelle de l'énergie. Enfin, on constate surtout que la plupart des États membres ne dispose pas d'un document officiel rendant compte du financement public de la transition énergétique.

La question du financement de la transition énergétique reste cruciale. Des moyens de plus en plus importants y sont consacrés, mais cela reste insuffisant par rapport aux montants nécessaires estimés. La seconde édition du One Planet Summit, qui s'est tenu le 26 septembre 2018, a permis de faire le point sur de nombreuses initiatives de financement publiques ou privées en faveur de la transition énergétique. Au niveau européen, la Commission européenne propose que 25 % de la totalité de son prochain budget soit consacré à des objectifs climatiques, ce qui représente 320 milliards d'euros sur la période allant de 2021 à 2027. Le Programme LIFE, qui est l'instrument de financement de l'Union européenne spécifiquement dédié au soutien de projets dans les domaines de l'environnement et du climat, sera doté de 5,4 milliards d'euros, ce qui correspond à une hausse de 60 % par rapport au budget précédent. Ces efforts de financement sont loin d'être négligeables, mais ils semblent très insuffisants en comparaison des mille milliards d'euros annuels envisagés par le pacte finance-climat proposé par Jean Jouzel et Pierre Larrouturou et qui permettrait de passer à une transition énergétique de rupture.

Les élections européennes de 2019 offrent une opportunité historique pour que l'exigence en matière de transition énergétique, mise en évidence lors des consultations citoyennes sur l'Europe, se réalise enfin. Cela permettrait de fédérer les citoyens européens autour d'une réalisation concrète et de transformer cette obligation morale vis-à-vis des générations futures en opportunités économiques, d'innovation et de solidarité. Je vous remercie.

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