Intervention de Alexandre Urwicz

Réunion du mardi 2 octobre 2018 à 11h00
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Alexandre Urwicz, président de l'Association des familles homoparentales (ADFH) :

Avant de débuter ma présentation, je tiens à vous dire que nous regrettons de ne pas avoir à nos côtés la présence de notre référente PMA qui est absente pour une raison simple : elle vient d'être maman d'une petite Adèle, conçue en Espagne par PMA et née en France.

Adèle va bien ; elle émerveille chaque jour son grand frère. Adèle a de la chance : elle a été conçue dans l'un des vingt-six États membres du Conseil de l'Europe qui ouvrent déjà l'accès à la PMA aux célibataires et aux couples de femmes. D'ailleurs, sa maman me faisait remarquer qu'aucun des pays européens ayant ouvert le mariage aux couples de même sexe n'avait refusé l'accès de la PMA aux femmes lesbiennes ; aucun, sauf la France. Même les pays non européens dans lesquels les couples homosexuels peuvent se marier et adopter n'interdisent pas l'accès à la PMA en raison de l'orientation sexuelle. Oui, Adèle a de la chance parce que sa maman est aussi en bonne santé, son parcours a été encadré par des médecins espagnols et des médecins français.

Valentine habite Pantin. Elle est infirmière et son épouse est assistante maternelle. Valentine est à l'échelon 3 et touche 1 772 euros nets par mois. Avec son épouse, elle frôlent les 3 000 euros de revenu mensuel. Valentine a vite compris qu'une fois le loyer et les dépenses courantes acquittées, elle n'avait pas les moyens, contrairement à la maman d'Adèle, d'engager les frais de transport et les frais de clinique que représente une PMA à l'étranger. Alors Valentine a passé une annonce gratuite sur un forum internet pour trouver un homme qui voudrait bien être le père de son enfant ou simplement donner son sperme et lui permettre de concrétiser son projet parental.

Après des échanges de photos Valentine sélectionne un homme qui accepte de n'être qu'un géniteur et pas un père pour l'enfant. La rencontre a lieu dans une chambre d'hôtel à la porte de Pantin. L'homme insiste alors pour avoir un rapport sexuel avec Valentine, qui lui rappelle qu'il avait été convenu qu'elle recueillerait uniquement son sperme dans un préservatif ; le protocole était clair, précis, détaillé avant la rencontre.

Après quelques palabres, l'homme accepte finalement de se rendre dans la salle de bains. Il en ressort un peu plus tard, agitant le préservatif rempli, le faisant miroiter à Valentine. Valentine le remercie, le reconduit à la porte de sa chambre et téléphone à sa femme, restée dans le hall et prête à intervenir en cas de problème. Valentine ne connaît pas l'identité réelle de cet homme, pas plus que lui ne connaît la sienne.

Valentine utilise une seringue normalement réservée à l'administration du Doliprane chez les nourrissons pour s'injecter le sperme dans son vagin. Dix-neuf jours passent, aux termes desquels le test urinaire indique à Valentine qu'elle est enceinte. Elle est dans les jours qui suivent contactée par l'hôpital, qui la convoque rapidement. Elle est bien enceinte, mais le médecin lui annonce aussi une autre surprise : elle est séropositive.

Elle raconte alors au médecin sa rencontre avec le géniteur. Le médecin lui demande si elle s'est fait communiquer une sérologie récente de ce dernier. Infirmière, Valentine avait évidemment pensé à interroger l'homme, qui lui avait certifié que ses résultats étaient négatifs. Elle n'avait pas jugé nécessaire de voir de ses yeux les analyses, sachant que l'anonymat qui préside à ce type de rencontre permet à chacun de produire les résultats de n'importe qui.

Sans traitement, il y a un risque sur quatre pour que le bébé de Valentine soit séropositif à la naissance. Le risque peut être réduit de 5 % à 30 % par l'administration d'antiviraux. Je ne connais pas la suite de l'histoire de Valentine, car elle ne correspond plus avec moi. Elle songeait à une interruption volontaire de grossesse (IVG), mais, lors de nos derniers échanges, elle n'en était pas encore totalement convaincue. Combien de Valentine existe-t-il en France ?

En revanche, je suis toujours en relations avec Bertrand. Bertrand a élevé pendant neuf ans, avec son partenaire de l'époque, ses jumelles nées aux États-Unis par GPA. Pour l'état civil américain, Bertrand est le père, au même titre que son partenaire, qui est, lui, le père biologique des enfants. Mais un jour son partenaire a quitté Bertrand, il est parti avec leurs filles à l'étranger, où il a refait sa vie avec un autre homme. Il a coupé les ponts avec Bertrand, qui s'est retrouvé dans l'incapacité de justifier de sa qualité de père en France, puisque seul son « ex » – le père biologique des enfants – est mentionné sur l'état civil français des jumelles. Il ne peut même pas saisir le juge aux affaires familiales, puisque il faut, pour cela, être parent. Il a donc signalé sa situation au procureur de Nantes, qui administre les états civils des enfants français nés à l'étranger. Mais le procureur de Nantes lui a répondu qu'en l'état actuel du droit, la France ne reconnaissait pas sa qualité de père puisque, précisément, il n'était pas mentionné sur l'acte d'état civil français dressé par ses soins.

Bertrand attend. Il attend que le législateur français change la loi pour que le père qu'il est puisse être reconnu par la France et qu'il puisse faire valoir ses droits, comme n'importe quel parent séparé. De temps en temps, il part à l'étranger et file voir ses filles en cachette à la sortie de l'école. La dernière fois, il a même emmené ses parents, les grands-parents des filles.

Mesdames et messieurs les députés, sachez qu'il est surprenant à nos yeux de devoir venir devant vous, réclamer ce que les pays ayant ouvert le mariage et l'adoption aux couples de même sexe ont accordé de droit, sans hésitation, au nom de l'égalité des droits.

La PMA est une technique procréative, ce n'est pas un traitement curatif contre l'infertilité. Nous sommes ici pour vous dire que maintenir l'interdiction faite à une femme d'accéder à une technique procréative parce qu'elle est homosexuelle est une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

Combien de fois devrons-nous rappeler que l'homosexualité n'est pas un choix ? Nous n'avons pas choisi d'être homosexuels, mais nous avons choisi d'être parents.

C'est cette liberté que nous voulons pour toutes les femmes, c'est celle de la vie, de la transmission, celle du bonheur, des joies et des peines liées à toute construction familiale. C'est cette liberté que nous voulons pour toutes les femmes, parce que les femmes sont d'abord des femmes avant d'être définies par leur orientation sexuelle, avant d'être des épouses ou des célibataires.

On aurait pu croire que la fraternité, la solidarité et surtout l'égalité des droits trouvent dans le domaine qui nous occupe un terrain d'exercice ; il n'en est rien. Selon certains en effet, nous, homosexuels, ne devrions pas singer la nature mais accepter sans broncher d'être mis à l'écart des projets parentaux. Nous devrions rester dans une voie sans issue familiale parce que d'autres, qui bénéficient déjà de ce droit, voudraient en plus nous le confisquer. Quelle humiliation !

On aurait pu croire que notre pays, terre des droits de l'Homme, montre à l'unisson la direction, celle de l'émancipation de la femme, celle du respect de sa condition, de sa dignité. Le droit à l'enfant n'existe pas pour les couples hétérosexuels ; il n'y a pas plus de droit à l'enfant pour les couples de femmes ou les femmes célibataires, il y a simplement une exigence, celle de leur octroyer un égal accès à une technique créative et celle de protéger les enfants dès la naissance, en reconnaissant leur deux mères.

S'agissant des enfants nés par GPA et après cinq condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), il n'est plus question de rester dans une situation où certains enfants se voit amputer du parent d'intention sur l'état civil français parce que notre système judiciaire serait le seul au monde à choisir quel parent garder et quel parent effacer sur un acte d'état civil étranger.

En 2018, on ne peut plus trier les enfants en fonction de leur mode de conception, comme dans ces années où les enfants conçus sous la couette conjugale avaient plus de droits que ceux conçus hors mariage. Nous avons accompli le chemin permettant qu'aucun enfant n'ait à subir le jugement moral porté sur le comportement de ses parents. De même, nous devons aujourd'hui penser uniquement à l'intérêt supérieur des enfants nés à l'étranger, en leur permettant d'avoir une filiation reconnue par la France, identique à celle de leur pays de naissance.

Quand je regarde mes deux enfants jouer dans la cour de récréation avec leurs copains, je ne distingue pas ceux qui sont nés de PMA ou de GPA, ceux qui sont nés dans le mariage ou hors du mariage, ceux dont les parents sont divorcés : je ne vois que des enfants.

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