Intervention de Général Jean-Pierre Bosser

Réunion du mercredi 26 septembre 2018 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je me réjouis de vous retrouver à l'occasion de cette nouvelle audition par votre commission. Je sais que vous passez beaucoup de temps au contact de l'armée de terre et de ses soldats, que ce soit dans vos circonscriptions, à l'occasion de visites thématiques, ou encore en opérations, à l'étranger et sur le territoire national.

Monsieur le président, vous montrez l'exemple, comme le 25 mai dernier au 126e régiment d'infanterie, stationné depuis plus d'un siècle à Brive-la-Gaillarde, puis, fin juin, au 3e régiment de hussards, dans son quartier à Metz, à l'entraînement à Mourmelon, et en opérations sur le territoire national à Lille. Vous avez d'ailleurs pu constater à cette occasion, que nos soldats étaient parfaitement intégrés dans la cité et dans la vie quotidienne des Lillois.

Dans le cadre de vos rapports – je pense notamment au rapport d'information sur la numérisation des armées de MM. Thomas Gassilloud et Olivier Becht, ou encore au rapport annexé au PLF 2019 sur la préparation opérationnelle que préparent Mme Sereine Mauborgne et M. Thomas Gassilloud – certains d'entre vous ont pu se rendre auprès du 1er régiment d'hélicoptères de combat, du régiment d'infanterie chars de marine, dans nos centres d'entraînement spécialisé, ou encore au 3e régiment étranger d'infanterie en Guyane.

Je souhaite enfin faire une mention particulière pour ceux d'entre vous qui ont fait la semaine dernière un déplacement au Sahel : Jean-Michel Jacques, Philippe Chalumeau, Patricia Mirallès, Claude de Ganay, Philippe Michel-Kleisbauer, Yannick Favennec Becot, Alexis Corbière et Louis Aliot.

Les portes de l'armée de terre vous sont toujours ouvertes, que vous soyez seul ou en groupe. Je suis vos visites avec intérêt, et je tiens à vous redire ici le plaisir qu'ont les soldats de l'armée de terre à vous recevoir et à pouvoir échanger avec vous sur leurs conditions de vie et d'exercice de leur métier.

Nous nous sommes rencontrés le 15 février dernier, à l'occasion d'une audition de votre commission sur ce qui n'était à l'époque qu'un projet de loi de programmation militaire. Je vous avais alors donné mon appréciation sur ce texte soumis à votre examen et indiqué comment l'armée de terre se préparait pour entrer dans ce nouveau compartiment de terrain.

Depuis cette date, ce projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale en mars, puis par le Sénat en mai. Je me réjouis que la commission mixte paritaire soit ensuite parvenue à un très large accord entre les deux assemblées. Cette union des chambres, et donc de la Nation, est en effet un signe très fort en direction de nos soldats, qui y sont attentifs. La loi a été promulguée le 13 juillet, et nous entrons donc désormais dans le temps de sa mise en oeuvre. Pour reprendre les propos du président de la République en visite à Mourmelon le 1er mars dernier, « cette loi de programmation sera donc toute d'exécution ».

Aujourd'hui, vous me recevez au sujet de l'entrée en loi de programmation militaire (LPM). Je vois dans cette audition le signe tangible de votre détermination à veiller à la stricte exécution du texte que vous avez voté, ce dont je me réjouis.

En tant que chef militaire, j'ai tendance à aborder les problèmes en utilisant le modèle du raisonnement tactique que l'on enseigne aux jeunes militaires : une situation de départ, une mission reçue, une idée de manoeuvre pour la remplir. En l'occurrence, la mission est simple : réussir la loi de programmation militaire ; que le chef d'état-major de l'armée de terre (CEMAT) puisse affirmer qu'il n'a pas failli aux trois responsabilités majeures qui lui sont confiées : préparer les forces, équiper nos soldats et veiller à ce qu'ils soient bien commandés.

Mon objectif aujourd'hui est de vous exposer la façon dont l'armée de terre a conçu sa manoeuvre pour accomplir cette mission. Je développerai mon propos en trois points, au travers d'un exposé que j'inaugure devant vous et qui me servira ultérieurement pour ma communication interne, raison pour laquelle chaque mot a été pesé.

Dans une première partie, permettez-moi de vous présenter ma vision de notre armée de terre aujourd'hui.

Premier élément, elle combine, à un degré peut-être inédit dans son histoire récente, une très grande jeunesse et une très grande maturité. La jeunesse est celle de ses soldats, dont une majorité a entre dix-huit et vingt-cinq ans. Ce trait distinctif, qui est un véritable atout, voire un impératif en opérations, a été accentué par la remontée en puissance décidée en 2015. Contrairement à nos amis allemands et britanniques, nous ne connaissons pas de problèmes de recrutement. Cependant, nous avons un fort déficit sur les hauts de pyramide, chez les officiers et les sous-officiers en particulier, et nous aurons besoin de temps pour gagner la « bataille des compétences » et consolider l'expérience de l'encadrement de contact.

Quant à la maturité, elle découle pour partie de vingt-deux ans de professionnalisation. Mais l'armée de terre est surtout une institution ancienne, ancrée dans l'histoire de notre pays et de ses territoires. C'est ainsi que, lors d'une précédente audition, M. André Chassaigne m'avait rappelé l'attachement que Clermont-Ferrand portait au 92e régiment d'infanterie, présent dans la ville depuis près de cent cinquante ans…

Elle possède enfin une expérience opérationnelle considérable, acquise sans discontinuité sur des théâtres très divers et face à des menaces couvrant tout le spectre des relations de puissance, des pays baltes au Sahel, en passant par le Proche-Orient et, bien entendu, le territoire national, notamment depuis 2015. Cet engagement opérationnel est intense : 24 000 soldats sont quotidiennement en posture opérationnelle, et les soldats de la force opérationnelle terrestre ont passé en moyenne 115 jours en dehors de leur garnison en 2017.

En second lieu, pour comprendre dans quel état d'esprit l'armée de terre aborde la loi de programmation militaire, il est utile de savoir que son moral se maintient aujourd'hui à un niveau élevé, mais avec certaines réserves.

Cette question du moral est évidemment fondamentale, et plusieurs d'entre vous m'avaient d'ailleurs interrogé sur ce point lors de ma précédente audition, M. Yannick Favennec Becot ayant été jusqu'à me pousser dans mes retranchements sur les paramètres permettant d'évaluer le moral des soldats…

Aujourd'hui, donc, le moral est bon, parce que les soldats ont le sentiment de servir utilement leur pays, parce que la remontée en puissance est un vecteur d'optimisme et d'enthousiasme après des années de déconstruction, et parce que l'image de l'armée de terre est excellente dans l'opinion publique.

Le moral est plutôt à la hausse, parce que les annonces de la loi de programmation militaire et du plan « Familles » sont positives et offrent une perspective d'amélioration de l'efficacité opérationnelle et de la vie quotidienne des soldats.

Je nuancerai néanmoins ce constat en indiquant qu'il y a quelques réserves, car les soldats de l'armée de terre, assez légitimement, attendent de voir les effets concrets de ce qui leur est annoncé.

En troisième lieu, je note que l'armée de terre est regardée par les Français avec un mélange inédit de confiance et d'exigence. Nos concitoyens et nos dirigeants politiques ont une excellente image de l'armée : plus de 80 % des Français lui font confiance. L'armée de terre jouit de cette confiance pour ce qu'elle est, pour les valeurs qu'elle incarne, et pour ce qu'elle fait, notamment en opérations.

Parallèlement, nos dirigeants politiques, comme nos compatriotes, ont des attentes très fortes vis-à-vis des militaires de l'armée de terre, en termes d'exemplarité, non seulement professionnelle, mais également comportementale.

Enfin, l'armée de terre me semble être aujourd'hui dans une configuration singulière, différente sans doute de celle des autres armées. Elle s'est réorganisée autour du modèle « Au contact » que vous connaissez bien et qui est aujourd'hui quasiment finalisé.

Après des années de déconstruction, l'armée de terre a connu en 2015 une inversion de tendance qui a produit non seulement des effets physiques – 11 000 hommes sont venus compléter la force opérationnelle terrestre – mais également psychologiques, lui donnant à la fois une forme de temps d'avance et une expérience de la remontée en puissance.

C'est la raison pour laquelle l'armée de terre ne fait pas de grand plan stratégique. L'entrée en LPM m'apparaît comme une opération « toute d'exécution », dans laquelle nous arrivons en pleine vitesse, et en vue de laquelle nous allons diffuser dans une semaine un ordre d'exécution.

Cela m'amène à ma deuxième partie, qui concerne l'entrée dans la LPM, à travers une manoeuvre « toute d'exécution ». Cette manoeuvre, c'est celle qui est schématisée sur le document qui vous a été distribué, accompagnée du message du CEMAT, puisque dans les armées, il est important de connaître l'intention du chef pour remplir une mission.

Au bas de ce schéma figure l'armée de terre, en ordre de bataille aujourd'hui et « prête à déboucher », c'est-à-dire prête à entrer dans les compartiments de terrain de cette loi de programmation militaire qui inaugure notre remontée en puissance.

Si le président Bridey a parlé en ouverture d'un document interne, c'est qu'il est destiné à tous nos soldats, dont je souhaite qu'ils comprennent la loi de programmation militaire, qu'ils y adhèrent et qu'ils puissent se projeter dans cette période de temps qui est la leur, celle qui s'étend sur sept ans de leur vie, de 2019 à 2025, soit la durée moyenne de service d'un engagé volontaire dans les armées. Il s'agit de permettre aux jeunes de se projeter dans l'avenir et dans un accomplissement à la fois personnel et professionnel.

En quelques mots, sur le seuil de la LPM, la position de l'armée de terre se caractérise de quatre manières.

Premièrement, elle est organisée autour du modèle « Au contact », qui lui donne beaucoup de cohérence, de souplesse et de lisibilité. Il reste quelques objets du modèle à finaliser, notamment concernant l'emploi des chiens militaires, l'aguerrissement ou encore la pensée militaire, puisque j'ai l'ambition, après avoir recréé cette année l'école de guerre-Terre, d'étudier la rénovation du concours d'accès à cette école.

Deuxièmement, elle sera outillée et digitalisée grâce à la transformation numérique et capacitaire du programme « synergie du contact renforcée par la polyvalence et l'infovalorisation » (SCORPION), que nous avons largement anticipée, notamment à travers la création du laboratoire du combat SCORPION, de la force d'expérimentation du combat SCORPION, ou encore du commandement de l'entraînement et des écoles du combat interarmes, doté de complexes d'entraînement et de tir en cours de rénovation.

Troisièmement, elle a consolidé l'exercice du commandement, au travers de la révision de deux documents fondateurs, qui n'avaient pas été modifiés depuis la professionnalisation, à savoir L'Exercice du commandement – le « livre bleu » – et L'Exercice du métier des armes – le « livre vert ».

Quatrièmement, elle est orientée par une vision prospective, synthétisée dans le document « Action terrestre future » – le général Facon l'a évoqué hier devant vous en parlant des huit facteurs de supériorité opérationnelle retenus par l'armée de terre – qui la place dans une dynamique vertueuse d'anticipation des ruptures à venir.

Sur le schéma, au-dessus de l'armée de terre sur la ligne de départ, sont présentés les quatre compartiments de terrain de la LPM, dans lesquels je vais simultanément engager l'armée de terre. Ce faisant, j'ai conscience d'être un mauvais élève et de désobéir à Foch, qui prônait la concentration des efforts, mais, tâchant de faire mentir le précepte selon lequel un effort porté partout est un effort porté nulle part, je vais tenter de faire porter nos efforts sur les quatre compartiments de terrain suivants.

D'abord, la « hauteur d'homme », avec une vision en colimaçon autour du soldat, qui englobe la tenue, les équipements individuels, les conditions de vie et de travail, les infrastructures, la rémunération, le soutien et les familles. À cet égard, la LPM est porteuse d'enjeux cruciaux : il s'agit de préserver l'équilibre entre sujétions et compensations, par de réelles ambitions pour notre système de rémunération et d'accompagnement social.

Vient ensuite le terrain de la « réparation », avec le comblement de lacunes capacitaires, mais également l'instauration de normes d'activités pour restaurer notre capital opérationnel – la LPM nous ayant d'ailleurs considérablement aidés en inscrivant pour la première fois des normes d'activité quantitatives pour nos équipages de blindés, à l'instar de ce qui faisait déjà pour les aéronefs.

L'effort portera également sur la « modernisation », avec en particulier l'accélération du remplacement du segment blindé médian, la poursuite de la modernisation de l'aéro-combat avec la rénovation, à mi-vie, du Tigre, l'entrée dans l'ère du combat collaboratif et de l'info-valorisation, ou encore la transformation du maintien en condition opérationnelle (MCO) terrestre, validée par la ministre en juillet dernier.

L' « innovation » enfin est un compartiment de terrain très ouvert, où l'armée de terre, qui fourmille déjà de projets, se met en ordre de bataille : chaîne innovation de l'état-major aux régiments, Pôle innovation à Satory, Battle Lab.

Je ne détaille pas davantage ces quatre compartiments de terrain, parce que j'y reviendrai plus en détail pour ce qui concerne l'année 2019 lors de mon audition du 11 octobre prochain portant sur le budget.

Enfin, au sommet de ce schéma figure notre objectif, qui s'inscrit dans l'ambition du président de la République de disposer d'une armée de premier plan et de référence, ce que nous avons traduit par six critères.

En premier lieu, un modèle complet, pour faire face à toutes les menaces, régulières, irrégulières ou hybrides, toujours évolutives.

Deuxièmement, une masse pour produire des effets stratégiques dans la durée. Sur le plan des effectifs, nous avons presque atteint cette masse, mais l'adaptation des besoins et des compétences doit pouvoir continuer à suivre rapidement les évolutions du modèle.

Troisièmement, des équipements de quatrième génération pour dominer l'adversaire. À cet égard, l'armée de terre a l'ambition de pouvoir projeter un groupement tactique interarmes SCORPION en 2021, puis une brigade SCORPION en 2023.

Quatrièmement, une capacité à agir dans le cadre d'une stratégie globale pour gagner la paix.

Cinquièmement, une singularité militaire affirmée et assumée, au service de notre efficacité opérationnelle. Le chef d'état-major des armées (CEMA) en a fait à juste titre un thème central de sa vision stratégique, car cette singularité est la fois le fondement de la fonction militaire et la condition de son efficacité opérationnelle.

Enfin, un esprit guerrier, qui vise à décupler nos forces morales et notre combativité. Cet esprit guerrier doit à mon sens combiner l'aguerrissement, la haute technologie, mais également un honneur et des traditions militaires permettant l'alliance du sens et de la force. Le lien entre l'esprit guerrier et les traditions militaires est parfois mal compris. Pour l'expliquer de façon simple et pédagogique, je n'ai pas trouvé de meilleure illustration que celle des All Blacks, l'équipe de rugby de Nouvelle-Zélande. Si cette équipe développe une telle combativité sur le terrain, ce n'est pas uniquement parce qu'elle pratique un entraînement physique de très haut niveau en utilisant des technologies de pointe, c'est également parce qu'elle est portée par les traditions des peuples du Pacifique, dont le Hakka est l'expression la plus emblématique.

J'en viens à présent à ma troisième et dernière partie, qui concerne les facteurs de succès transverses.

Si l'armée de terre est prête à déboucher sans délai, si la manoeuvre qu'elle a conçue est « toute d'exécution », cela ne signifie pas qu'elle peut la réussir seule, ni qu'elle obtiendra tout facilement et immédiatement. C'est une manoeuvre collective, très exigeante, et sans droit à l'échec. Elle nécessite à mon sens que nous soyons attentifs à quatre points-clés, quatre facteurs de succès qui intéressent tout le ministère.

Le premier de ces facteurs de succès réside dans notre capacité à donner des signes rapides et tangibles de la remontée en puissance. C'est important pour le moral de l'armée de terre, comme je vous l'indiquais tout à l'heure.

Lors de mon audition en février dernier, j'avais souligné devant vous l'importance de ne pas laisser se créer des « temps de latence » entre les annonces extrêmement positives de la LPM et les attentes les plus immédiates de nos soldats. En effet, si les effets capacitaires les plus importants sont attendus dans le temps long, la LPM peut et doit également produire des effets rapides et très concrets en matière de petits équipements, d'habillement, de condition de vie et d'entraînement, bref tout ce qui fait le quotidien de nos soldats.

C'est la raison pour laquelle il est essentiel que les mesures du plan « Famille » s'adaptent aux besoins locaux et que ce plan s'inscrive dans la durée. C'est également la raison pour laquelle j'insiste sur des projets qui peuvent apparaître secondaires, mais que j'assume sans complexe et pour lesquels nous sommes prêts, comme la nouvelle tenue de sport – dont le coût serait de 15 millions d'euros en 2019 pour équiper toute l'armée de terre – ou le successeur du pistolet automatique – avec un coût de 35 millions d'euros pour l'acquisition de 60 000 armes, soit un peu plus de 500 euros par arme.

Il faut savoir en effet que l'armée de terre, c'est 50 % des hommes et femmes en tenue de ce ministère, pour qui la tenue de sport n'est pas seulement une tenue qui sert à faire du sport, mais également une tenue que l'on revêt en opérations durant les phases de repos : à Gao, jusqu'à preuve du contraire, nos soldats ne se promènent pas en jeans. Nos garçons et nos filles, quand ils rentrent du terrain, se mettent en tenue de sport. C'est aussi une tenue de préparation opérationnelle, celle avec laquelle on travaille l'endurance au quartier le matin, ou lors des séances de sport, celle avec laquelle on pratique les sports collectifs. Compte tenu donc de ses multiples usages, c'est une tenue qui me paraît essentielle pour notre armée, et il est donc primordial de remplacer dans des délais rapides une tenue dont la conception a plus de trente ans : un survêtement bleu en acrylique, qui vous met en légère sudation à peine monté dans le bus… (Sourires.)

Bien sûr, il conviendra de sérier les priorités et d'arbitrer entre les treillis pour les opérations et la tenue de sport. Nos soldats n'auront pas tout tout de suite – je le leur ai dit ; mais il y a des actions symboliques et massives, porteuses de changements qui sont susceptibles de contribuer à la bonne exécution de cette loi de programmation militaire.

Le deuxième facteur de succès réside dans l'évaluation des résultats des actions entreprises avec les ressources qui nous sont allouées.

La ministre a coutume de dire que « chaque euro dépensé doit être un euro utile ». Et je partage pleinement son approche. L'armée de terre a pendant longtemps fonctionné avec une seule logique de moyens. Désormais, nous avons la possibilité de nous tourner vers une autre démarche, avec une exigence de résultats. Des structures comme le centre d'entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB), que vous avez visité, ou le centre d'entraînement au tir interarmes (CETIA) « Opéra » de Canjuers, dont les travaux viennent de s'achever, permettent d'évaluer les résultats des unités à l'entraînement, de la cartouche aux missiles.

Nous devons être exigeants quant à l'utilisation des ressources financières qui nous sont allouées et être capables de mieux lier les mécanismes de décision, le pilotage des moyens et l'évaluation de résultats, en inscrivant notre action dans une logique approfondie de performance. L'armée de terre s'est déjà engagée résolument dans cette direction. Depuis 2015, elle a lancé une nouvelle démarche de contrôle de gestion qui se décline dans tous les domaines, de la préparation opérationnelle à la formation en passant par la maintenance. Je vous invite à venir voir comment nous pilotons la performance au sein des forces terrestres : je pense que vous serez assez étonnés. J'ai l'intention de prolonger et d'amplifier cette démarche en 2019 à travers une nouvelle politique de performance dans l'armée de terre.

Le bon emploi des ressources suppose également de faire preuve de souplesse et d'appliquer une forme de fongibilité afin d'être à même de réaliser des bascules d'efforts et des réorientations financières. Si un projet d'armement ou d'infrastructure ne peut aboutir, il nous faut être capables de faire avancer d'autres projets déjà préparés avec les uns ou les autres.

Pour cela, il me semble nécessaire de remettre en avant les notions de subsidiarité et de déconcentration ainsi que de redonner des marges de manoeuvre aux chefs d'état-major d'armée car ce sont eux qui, disposant d'une vision globale, sont le plus en mesure de faire des choix, d'établir des priorités, surtout de les expliquer et de leur donner du sens auprès des soldats en formation. J'y travaille avec mes homologues et avec le chef d'état-major des armées.

Le troisième facteur de succès a trait à ce que je pourrais qualifier de nouvelle gouvernance militaro-industrielle, et plus largement à la capacité de l'armée de terre à travailler en équipe avec la direction générale de l'armement (DGA) et les industriels.

Vous connaissez la boutade du maréchal Joffre : « Je ne sais pas qui a gagné la bataille de la Marne, mais je sais qui l'aurait perdue ». Je ne me place pas dans une perspective d'échec. Nous serons co-responsables de la réussite de la remontée en puissance mais nous devons d'abord co-construire et co-agir.

C'est le sens de mon message à Eurosatory en juin dernier : avec la DGA et les industriels, on part ensemble, on marche ensemble et on arrive ensemble. Stéphane Mayer, président du groupement des industries françaises de défense et sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), l'a bien compris et l'a traduit par une expression plus scientifique, le « trilogue interactif ». Nous avons un gros travail à accomplir pour faire fonctionner ce ménage à trois, qu'il s'agisse des processus, des mentalités ou des performances. Et ce qui est vrai pour les équipements aéroterrestres l'est aussi pour d'autres domaines.

J'en viens au quatrième et dernier facteur de succès : les relations internationales militaires, sujet que j'ai peu évoqué lors de mes auditions précédentes.

Le président de la République et la ministre des Armées ont appelé à bâtir une autonomie stratégique européenne, une capacité d'action autonome pour l'Europe.

L'armée de terre a engagé une action pour avancer de manière réaliste et pragmatique dans trois directions.

Il s'agit d'abord de la réflexion stratégique pour faire converger avec nos alliés européens notre appréciation des menaces et notre analyse des caractéristiques structurantes des engagements.

Il s'agit ensuite des capacités, afin de rapprocher nos besoins militaires à chaque fois que nous le pouvons. Je pense en particulier aux projets liés aux systèmes MGCS – Main Ground Combat System – et d'artillerie future.

Il s'agit, enfin, de la coopération opérationnelle afin de bâtir et d'entretenir des capacités d'intervention, notamment à travers le renforcement de notre interopérabilité, qui atteint avec certains de nos partenaires un degré inégalé. Je pense par exemple à l'exercice commun qu'ont effectué la 16th Air Assault Brigade britannique et notre 11e brigade parachutiste.

La semaine dernière, je me suis rendu en Autriche au forum qui réunissait vingt-quatre chefs d'état-major de l'armée de terre européens. Je pense qu'en matière d'autonomie stratégique européenne, le chemin sera long. Nous devrons nous montrer créatifs. Nous ne pouvons plus raisonner selon des schémas anciens.

Par exemple, en matière de dissuasion, comment construire une culture stratégique commune avec nos alliés européens qui ne disposent pas de l'arme nucléaire sans aborder la question du rôle des forces conventionnelles dans cette fonction stratégique ? Il faut sans doute y réfléchir pour que notre discours national sur la dissuasion soit entendu et compris par nos alliés. Pour contribuer à répondre à cette question, je souhaite que l'un des thèmes de réflexion pour l'armée de terre concerne la question « concept de dissuasion et forces conventionnelles ». Autre exemple, en matière de sécurité transatlantique, comment articuler notre investissement dans les structures de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) avec notre volonté de renforcer la capacité de l'Europe à exercer collectivement ses responsabilités en matière de sécurité ? Comment concilier le bon accomplissement des missions de protection du nord de l'Europe, liées aux alertes de la Force de réaction de l'OTAN – NATO Response Force (NRF) – et de la force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation – Very High Readiness Joint Task Force (VJTF) – et la préparation de l'initiative européenne d'intervention (IEI) ? Pendant toute la durée du forum des chefs d'état-major européens, il n'y a que moi qui ai prononcé le mot d'IEI et j'ai eu l'impression d'avoir en face de moi de vraies incompréhensions. Cela se comprend d'une certaine manière car il s'agit d'un concept récent. Les pays qui, depuis soixante ans, sont membres de l'OTAN se sont organisés, équipés, architecturés, interopérabilisés au travers de cette organisation. Tout cela me fait dire qu'il sera difficile de tracer un chemin.

Enfin, dernier exemple concernant nos équipements de défense : comment rapprocher nos ambitions nationales, en termes de coopération technologique et industrielle, avec celles de nos partenaires ?

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les députés, je vais conclure. Nous avons une responsabilité historique. Les travaux menés l'an dernier nous ont permis d'atteindre l'objectif que nous visions ensemble : élaborer le cadre de la reconstruction d'une armée de terre puissante, adaptée à son environnement, qui saura répondre aux menaces présentes et à venir.

À présent, il nous revient, il me revient de transformer cette position avantageuse en avancées concrètes et en perception durable, en externe comme en interne.

En la matière, je fais preuve comme toujours d'un optimisme raisonnable, empreint de volonté, de responsabilité et de gravité.

Je sais pouvoir compter sur votre soutien sans faille.

Je vous remercie pour votre attention et suis prêt maintenant à répondre à vos questions, Mesdames, Messieurs les députés.

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