Intervention de Joël Barre

Réunion du mercredi 10 octobre 2018 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Joël Barre, délégué général pour l'armement :

Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, pour la partie qui concerne le programme 146 et les études amont du programme 144.

Permettez-moi d'évoquer, en introduction, l'exécution budgétaire 2018. S'agissant du programme 146, le niveau d'engagement prévu à la fin d'année est de 12,7 milliards d'euros. Ce niveau élevé est dû notamment au lancement des travaux du Rafale F4 et du successeur du missile d'interception de combat et d'autodéfense (MICA), dont le lancement en réalisation est intervenu il y a quelques semaines ; à la commande de trois avions de ravitaillement multi-role transport tanker (MRTT) supplémentaires, (le premier MRTT sera livré à Istres le 19 octobre) ; à la commande du cinquième sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda.

Les besoins de paiements actualisés pour 2018 sont estimés à environ 12 milliards d'euros. Les ressources en crédits de paiements disponibles s'établissent, quant à elles, à 9,9 milliards d'euros. À ces crédits disponibles s'ajoutent 357 millions d'euros actuellement gelés, au titre de la réserve budgétaire.

Le report de charge du programme 146 à la fin de 2018 est estimé à 2,1 milliards d'euros. Pour ce qui est de la réserve de précaution, nous avons cette année, contrairement aux années précédentes, non seulement gelé les paiements, mais aussi les engagements. Si une partie de cette réserve venait à n'être pas levée, il n'y aurait donc pas d'impact sur le report de charges, mais les besoins correspondants devront être reportés sur les annuités ultérieures.

S'agissant des études amont, le niveau d'engagement prévu en fin d'année 2018 est de 777 millions d'euros. Les besoins de paiements actualisés pour 2018 sont estimés à 723 millions d'euros. La totalité de la ressource disponible en crédits de paiement sera ainsi consommée d'ici la fin de l'année. Sur ce poste, la réserve de précaution est de 17 millions d'euros.

Au titre des études amont de 2018, qui se poursuivront l'an prochain, je souligne que nous avons poursuivi le dispositif du régime d'appui pour l'innovation duale (RAPID), à destination des petites et moyennes entreprises (PME) et établissements de taille intermédiaire (ETI) innovantes, à hauteur de 50 millions d'euros par an. S'y ajoutent les trois premiers investissements réalisés au titre du fonds Definvest, mis en place avec Bpifrance : Karlay, conceptrice de micro-processeurs dits « intelligents », Fichou dans le domaine des composants optiques, et Unseenlabs, dans le domaine des nanosatellites de surveillance maritime.

En termes de livraisons importantes, l'année 2018 est marquée par celles d'un avion de ravitaillement et de transport de type MRTT Phénix, attendue le 19 octobre, d'avions Pilatus pour la formation modernisée et entraînement différencié des équipages de chasse (FOMEDEC), destinés aux pilotes de l'armée de l'air, d'un satellite optique MUSIS, attendu en décembre prochain. Dans le domaine maritime, nous relevons la livraison d'un bâtiment multi-missions (B2M) et de deux bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH). Dans le domaine terrestre, nous relevons la livraison de 500 véhicules légers tactiques polyvalents (VLTP), remplaçant les P4, et de 125 postes de tir et 200 munitions du système de missile de moyenne portée (MMP) – d'environ quatre kilomètres de portée minimale, avec un premier déploiement prévu dans la bande sahélo-saharienne.

En termes d'exportations, le bilan de l'année 2017 s'établit à une prise de commande de 6,9 milliards d'euros, dans la moyenne des années antérieures, si on exclut les pics des grandes commandes de contrats export du Rafale. Nous nous attendons à un montant similaire en 2018.

Concernant les effectifs de la DGA, la période 2014-2018 aura été marquée par une forte déflation, à hauteur de 400 équivalents temps plein (ETP). Ainsi, la cible à fin 2018 pour les effectifs de la DGA est de 9 625 ETP. La masse salariale associée de la DGA est de l'ordre de 760 millions d'euros.

J'en viens au projet de loi de finances pour 2019.

En ce qui concerne le programme 146, les besoins d'engagements s'établissent à 14,3 milliards d'euros, les principaux engagements prévus sont : le programme de drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE) européen, qui comprend la commande de quatre systèmes de drones – la phase de préparation s'achève en ce moment, en coopération avec les Allemands, les Italiens et les Espagnols ; l'activité de capacité universelle de guerre électronique (CUGE), qui inclut la commande de deux avions qui remplaceront les Transall C-160 Gabriel ; l'activité Flotte logistique avec notamment la commande des pétroliers-ravitailleurs FLOTLOG, associés au programme italien Logistic Support Ship (LSS) ; l'activité Barracuda avec la commande d'un sixième sous-marins nucléaire d'attaque.

Les besoins de paiements s'établissent à 11,5 milliards d'euros, tandis que les ressources allouées en crédits de paiement sont de 10,95 milliards d'euros. Ces prévisions sont strictement conformes à la trajectoire retenue pour l'année 2019 dans la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 adoptée il y a quelques semaines.

Parmi les principales livraisons prévues pour 2019, je citerai 89 véhicules du programme Scorpion, six drones MALE Reaper supplémentaires, une frégate multi-missions (FREMM).

J'en viens au programme 144. Les ressources consacrées aux études amont représenteront 920 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 758 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Il s'agit du premier signe de la montée en puissance de l'effort consenti au profit des études amont et consacré dans la trajectoire inscrite en LPM. Par rapport à l'an dernier, la hausse est en effet de 5 %. Je vous rappelle que nous visons un milliard d'euros en 2022.

En 2019, on verra se poursuivre l'effort relatif au dispositif RAPID, à hauteur de 50 millions d'euros, complété 10 millions d'euros pour le fonds Definvest.

En ce qui concerne la DGA, l'année 2019 sera l'année de mise en place de sa transformation. Nous en avons défini les principales orientations sous l'autorité de Madame la ministre, en juillet dernier.

Ces principales orientations comprennent d'abord la création de l'Agence de l'innovation de défense (AID), effective depuis le 1er septembre 2018 ; Emmanuel Chiva est à sa tête. Cette agence a pour but de mieux soutenir, coordonner et harmoniser les différentes initiatives d'innovation du ministère, qu'elles soient prises à la DGA, dans les armées ou au secrétariat général pour l'administration (SGA). Il s'agit aussi de s'ouvrir davantage aux technologies issues du civil, dans le domaine du numérique, de la robotique, etc.

Pour ce faire, cette nouvelle structure disposera d'environ 100 personnes provenant de la direction générale de l'armement, à raison de 80 personnes, de l'état-major des armées (EMA), à raison d'une dizaine de personnes, et du SGA, à raison d'une dizaine de personnes. Toutes ces équipes seront regroupées. Ce regroupement est en cours et sera achevé en novembre prochain. L'AID est donc désormais sur des rails.

Une seconde orientation de la réforme de la DGA est le renforcement de la démarche capacitaire. Il s'agit de définir les programmes, non plus par silo, mais par capacité.

Pour ce faire, nous allons co-localiser les équipes du service de préparation des systèmes futurs et d'architecture (SPSA) avec ceux de la division cohérence capacitaire de l'EMA. Ce rapprochement sera effectif à partir de novembre prochain. Les équipes seront dotées des moyens nécessaires à un travail collaboratif, non seulement entre elles, mais aussi avec les industriels. Car c'est au stade de la préparation des programmes qu'il faut trouver, grâce à des méthodes d'analyse fonctionnelles de la valeur, le bon compromis entre les besoins et leur réalisation possible. Nous espérons être ainsi encore plus efficaces que nous n'avons su l'être dans le passé.

Une troisième orientation de la réforme de la DGA, liée aux deux précédentes, est la refonte des méthodes de conduite des opérations d'armement. Le nombre de phases sera limité à trois, au lieu de six actuellement. Préparation, réalisation et exploitation : chacune de ces phases fera l'objet de mesures visant à apporter plus d'efficacité et de réactivité.

Au stade de la préparation, il s'agit de travailler en amont de manière collaborative entre l'EMA, la DGA, et l'industrie. Nous cherchons à aboutir à un document initial de spécification unique, fusionnant l'actuelle fiche de caractéristiques militaires avec les spécifications techniques de besoin figurant dans les contrats actuels avec les industriels. Plutôt que d'exprimer les besoins en deux temps, par un document, puis par l'autre, un document unique liera d'emblée les trois acteurs du triangle EMA-DGA-industrie.

En phase de réalisation, nous devons être plus agiles, en particulier dans le domaine des systèmes numériques, où les logiciels ont une place prépondérante. Pour cela, nous généraliserons les démarches incrémentales, permettant de livrer des matériels aux armées au fur et à mesure de l'évolution des capacités technologiques. Cette démarche existe déjà pour les standards du Rafale, qui évolue actuellement vers le standard F4 ; nous l'appliquons aussi désormais sur Scorpion : les premiers véhicules seront livrés en 2019, mais nous étudions en parallèle un complément robotique, que nous espérons pouvoir mettre en service à partir de 2021 ou 2022, selon le résultat de ces études.

En phase de réalisation, nous devons aussi restructurer et simplifier notre processus d'essais. Aujourd'hui, quand on achève un programme d'armement, l'industrie procède à des essais de validation, tandis que nous procédons, à la DGA, à des essais de qualification et que les états-majors se livrent à des expérimentations visant à vérifier la conformité des équipements à leur emploi. Nous devons généraliser le plan d'essais et d'expérimentations qui existe déjà, de façon à rationaliser ces essais, sans les multiplier de manière inutile, selon qu'ils sont conduits sous la responsabilité de l'industrie, de la DGA ou des armées.

Nous devons aussi, dans cette phase de réalisation, mieux prendre en compte les nécessités de soutien, en étant capables de raisonner de manière globale.

Il appartient ainsi à la DGA, dans le cadre de ses responsabilités, de proposer une stratégie de soutien que nous devons définir pendant la phase de réalisation, en liaison avec les armées, et en particulier avec les services de soutien, qu'il s'agisse de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), du service de soutien de la flotte (SSF) ou bien de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT).

Nous devons ensuite contractualiser cette stratégie de soutien. Nous cherchons de plus en plus à passer avec notre industrie des contrats de réalisation qui soient globaux, c'est-à-dire qui incluent le développement, la réalisation, mais aussi les premières années de soutien, en ne se limitant pas au soutien initial, mais en allant jusqu'à une période d'exploitation suffisamment représentative – de l'ordre de cinq à sept ans.

Puisque je viens de mentionner les industriels, j'en profite pour dire que, dans la mise à jour de notre transformation, nous avons aussi à revoir les règles de contractualisation avec l'industrie. Je crois que Madame la ministre vous l'a dit lorsqu'elle est venue vous voir il y a déjà quelques jours : tout euro dépensé doit être un euro utile. Cela veut dire que, vis-à-vis de l'industrie, nous devons resserrer les dispositions de contrôle.

Nous recherchons ainsi un rééquilibrage de la relation entre la DGA et l'industrie. En amont, nous devons effectivement mieux associer l'industrie à la préparation des programmes. Car on doit trouver le bon compromis entre l'expression des besoins et les possibilités de réalisation par l'industrie : c'est l'objet du travail collaboratif que j'ai évoqué dans la démarche capacitaire.

Mais, inversement, une fois qu'on a passé le contrat, il faut que les engagements pris par l'industrie soient tenus. Nous devons évidemment continuer à passer des contrats forfaitaires, comme nous le faisons aujourd'hui, contrairement aux Anglo-Saxons. Ceux-ci pratiquent en effet un système dit de dépenses contrôlées, dans lequel on rembourse l'industrie des dépenses qu'elle réalise sur un projet donné, quel que soit le niveau de ces dépenses, de sorte qu'elle ne prend aucun risque ni aucune responsabilité dans ce domaine.

Pour notre part, nous travaillons en régime de forfait depuis plusieurs années déjà. Nous voulons renforcer notre capacité de contrôle des coûts a priori dans la négociation de ces forfaits, comme nous voulons renforcer notre capacité de contrôle des coûts en l'exerçant même une fois que nous avons passé le contrat après mise en concurrence. Nous voulons élargir nos capacités d'enquête de coûts pour qu'elles englobent non seulement l'industriel maître d'oeuvre avec lequel nous passons nos contrats, mais également ses différents sous-traitants et coopérants. Voilà quelques-unes des dispositions du « rééquilibrage » de la relation contractuelle avec l'industrie. Telles sont les grandes lignes de nos orientations en matière de refonte du processus de préparation et de conduite des programmes.

Je viens donc de vous résumer nos trois axes : agence d'innovation de la défense, démarche capacitaire et refonte du processus de préparation des programmes. Cela s'accompagne d'un gros effort dans l'évolution de notre maison elle-même, la DGA. Nous devons nous doter des moyens d'ingénierie qui viennent soutenir ce plan de transformation : nous avons créé un service consacré à l'ingénierie système et à la simulation au sein de notre direction technique ; nous sommes en train de créer un service dédié à nos moyens informatiques pour dégager les synergies possibles entre notre informatique scientifique et technique et notre informatique de gestion ; nous sommes en train de simplifier nos propres processus internes, nous avons ainsi lancé une démarche de type lean à l'intérieur de la « maison DGA ». Bien entendu, nous devons aussi construire petit à petit notre modèle de ressources humaines à partir de l'année 2019. Autant de chantiers que nous achèverons d'ici la fin de cette année, pour mise en oeuvre en 2019 au titre de la première année de la loi de programmation militaire. À la fin de 2018, nous serons 9 712 personnes à travailler au sein de la DGA.

Permettez-moi un dernier mot sur l'Europe. L'« arrivée de Bruxelles » est en effet à mettre au nombre des nouveautés de l'année 2018, grâce à la naissance d'une coopération structurée permanente. Le fonds européen défense concerne directement nos programmes. Sa phase préparatoire est actuellement en cours, tant au niveau recherche – puisque l'action préparatoire de recherche a été lancée – qu'au niveau de développement capacitaire, grâce à l'European Defence Industrial Development Programme (EDIDP). La Commission a annoncé qu'elle pourrait mettre sur la table 500 millions d'euros en 2019 et en 2020 pour commencer à contribuer au financement de nos programmes d'armement européens.

Voilà qui est fondamental. Nous sommes donc en train de discuter aujourd'hui le programme de travail correspondant, c'est-à-dire la liste des projets qui pourraient bénéficier de cet argent du budget communautaire. Cela sera une première dans le domaine de l'armement. Il faut que nous relevions ce défi et que nous réussissions à passer ce cap, la démarche de 2019 et 2020 étant comme le prototype du Fonds européen de défense qui démarrera en 2021. Pas plus tard qu'hier, nous nous en sommes entretenus avec nos collègues espagnols, italiens et allemands, lesquels sont nos trois partenaires majeurs désormais, du fait du Brexit.

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