Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 9h30
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Concernant les scénarios que nous avons cités, il est vrai que la réduction possible des taux et de la fiscalité locale nous laisse perplexes compte tenu de la baisse voire de la suppression de la taxe d'habitation engagée par ailleurs. Cela dit, si les collectivités territoriales dans leur ensemble nous démontrent le contraire, nous le constaterons bien évidemment dans nos rapports futurs.

Nous avons essayé de dire que l'objectif de maîtrise de la dépense est ambitieux, à 1,2 %. Avec la reprise de l'inflation, c'est pratiquement inédit. Pour 2018 et 2019, un certain nombre d'indices concordants peuvent nous laisser penser que tout cela est possible, mais nous avons des interrogations sur la suite en raison de l'amélioration de la situation financière globale des collectivités territoriales. Elles peuvent, effectivement, augmenter leurs investissements. Est-ce dramatique ou condamnable ? Non, sûrement pas. Encore faut-il considérer que tout investissement n'est pas vertueux en lui-même. Cela renvoie à la question de la pertinence des investissements. Un certain nombre de rapports des chambres régionales ou de la Cour des comptes pointent parfois l'existence d'un certain nombre d'investissements qui n'apparaissent pas nécessairement pertinents une fois qu'ils ont été mis en oeuvre, et qui peuvent entraîner des coûts de fonctionnement relativement importants qui n'ont pas toujours été anticipés par les collectivités territoriales. L'investissement peut être utile, encore faut-il qu'il corresponde à des besoins avérés. Les élus ont effectivement le dernier mot en la matière. Cela peut conduire aussi les collectivités territoriales à desserrer leur effort de maîtrise des dépenses de fonctionnement. En tout cas, compte tenu du passé, nous pouvons considérer qu'il existe un risque possible. Nous essayons donc d'attirer votre attention sur les risques possibles, qui peuvent remettre en cause la trajectoire telle qu'elle est prévue dans la loi de programmation.

Le président de la délégation et le rapporteur général ont posé une question sur les critères de modulation. Nous avons pu constater que le dispositif de modulation existant est perfectible, malgré la mise en place de trois critères qui peuvent apparaître intéressants : l'évolution démographique, le revenu moyen par habitant et l'évolution des dépenses de fonctionnement. Mais on voit que l'amplitude des taux ne correspond pas aujourd'hui à l'hétérogénéité des situations des collectivités. On voit qu'ab initio, le dispositif de modulation a été conçu pour ne permettre qu'une faible prise en compte des situations locales. D'ailleurs, 103 collectivités n'étaient éligibles à aucun de ces critères. D'où la question que nous posons. Dans le passé, nous avions recommandé la modulation de la baisse des dotations selon des critères de ressources et de charges. Le dispositif de modulation qui lui succède ne nous conduit pas à modifier notre appréciation. Davantage qu'une différenciation selon les catégories de collectivités, le critère de modulation le plus pertinent demeure, selon nous, celui des ressources et des charges. Il conduirait d'ailleurs de facto à un certain niveau de différenciation, notamment dans le cas des départements, même s'il existait, dans le dispositif ancien, un certain nombre de critères qui pouvaient prendre en compte des situations différenciées au niveau des départements – certes de façon insuffisante, et il faudrait en tout cas élargir cette modulation possible. Le Premier ministre, dans sa réponse, vous le constaterez, accepte tout à fait que cette question puisse être portée à l'ordre du jour et faire partie des réflexions. Il faudrait bien sûr disposer de suffisamment de recul pour pouvoir apprécier la pertinence de nouvelles propositions. Un an, est-ce c'est suffisant ? Peut-être pas, même si déjà, dès la première année, on peut percevoir quelques faiblesses dans le dispositif.

Nous avons constaté que la modulation est faible dans les contrats. Il est vrai que, compte tenu de la publication de notre rapport, compte tenu des délais de contradiction, nous n'avons pas examiné ou instruit les travaux des préfets. Peut-être le ferons-nous à l'avenir si nous voulons dresser un bilan de la première année de ce dispositif de contractualisation. En tout cas, il nous semble qu'il existe quelques marges de progrès pour améliorer la modulation nécessaire compte tenu – tout le monde le constate – de la grande diversité de la situation des collectivités territoriales.

Sur la taxe d'habitation, il n'appartient pas à la Cour de porter d'appréciation. C'est une décision politique qui a été prise ; nous n'avons donc pas de commentaire à faire. Nous aurons vraisemblablement, dans l'avenir, à en apprécier les conséquences sur les moyens et les budgets des collectivités territoriales. Nous savons que des réflexions sont en cours, notamment sur la fiscalité locale. Nous avons également pris connaissance du rapport de MM. Bur et Richard, qui esquisse des pistes – que nous citons dans le rapport. Mais à ce jour, aucune décision n'a encore été prise. En tout cas, aucune proposition ne nous est faite, sachant d'ailleurs que le dispositif de suppression de la taxe d'habitation n'est pas encore totalement décidé. Des points pourront vraisemblablement encore être revus. Pour le moment, c'est un dégrèvement. Et sur l'année concernée, il n'y aura a priori pas d'incidence sur le budget des collectivités territoriales.

J'en viens à notre proposition d'étendre le champ de la contractualisation aux budgets annexes. En fait, nous ne parlons pas tout à fait de la même chose. La recommandation de la Cour porte sur une extension du champ de la contractualisation, aujourd'hui limité aux dépenses de fonctionnement des budgets principaux, à celle des budgets annexes – après, bien sûr, neutralisation d'éventuels flux croisés. Il s'agit bien des dépenses de fonctionnement des budgets annexes. Les subventions d'équipement éventuellement versées des budgets principaux vers les budgets annexes n'ont pas vocation à entrer dans le calcul de la trajectoire des dépenses de fonctionnement.

Votre dernière question portait sur la possibilité pour les chambres régionales d'être considérées comme des tiers de confiance et d'intervenir en cas de contentieux entre la préfecture et une collectivité signataire. Nous apprécions, bien sûr, d'être reconnus comme des tiers de confiance, mais il ne nous appartient pas de solliciter de nous-mêmes cette évolution non prévue par la loi de programmation des finances publiques. Si le Parlement devait reprendre à son compte les propositions des associations nationales d'élus, deux points au moins seraient à préciser : qui pourrait saisir la chambre régionale – seul le préfet ou aussi les collectivités locales concernées, ce qui n'est pas tout à fait la logique actuelle – et comment mesurer l'incidence de cette saisine sur les autres missions des chambres régionales ? Ces conséquences sur les autres missions des chambres régionales méritent d'être étudiées de près.

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