Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 9h30
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

De nombreuses questions ont été posées – des questions pas faciles. Il est difficile de répondre précisément sur un sujet donné, tellement parfois il en concerne d'autres, ou en tout cas une réflexion plus large.

La question des relations entre l'État et les collectivités territoriales est déjà un premier sujet qui n'est pas facile. Nous suggérons qu'il y ait une plus grande transparence et une appréciation de l'incidence des mesures prises par l'État sur le budget des collectivités territoriales plus importante qu'elle ne peut l'être aujourd'hui. Voilà déjà un premier volet. Je pense que des marges de progrès sont sûrement encore possibles pour améliorer le dialogue nécessaire entre l'État et les collectivités territoriales.

Un autre sujet est celui des niveaux de déconcentration et de décentralisation susceptibles d'être acceptés. Ce sont des réponses que doit apporter le politique. L'on peut considérer que plus on est près du terrain, mieux l'on a la capacité à répondre à un certain nombre de besoins qui s'expriment. De quelle façon ? Est-ce au niveau de la base, est-ce au niveau intercommunal ? Une réflexion doit aussi être conduite sur les compétences exercées par les uns et par les autres. L'on voit que les lois récentes n'ont pas encore totalement réglé le problème de la clarification des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, et entre les collectivités territoriales elles-mêmes. Voilà, c'est un sujet qui est sur la table. Nous sommes vraisemblablement l'un des rares pays à ne pas avoir prolongé sa réflexion jusqu'au bout. Nombre de pays, que ce soit l'Allemagne, l'Italie ou d'autres, ont réformé les relations entre l'État et les collectivités territoriales, mais aussi réformé leur organisation territoriale. Nous, nous sommes n'en sommes pas encore là. Ce sont des sujets sensibles dont le politique doit effectivement se saisir.

Concernant la modulation, la modularité ou la meilleure prise en compte des spécificités de certaines situations, je suis d'accord avec ce qui a pu être dit : il faut à la fois un enrichissement des critères – c'est ce que nous suggérons – et plus de souplesse. Il faut que les préfets puissent disposer de davantage de souplesse à partir de l'orientation globale qui peut être donnée par le Gouvernement, précisément pour pouvoir prendre en compte quelques spécificités. Nous avons constaté que non seulement des critères doivent être précisés et élargis, mais qu'en plus, un peu de souplesse doit permettre de mieux répondre aux spécificités de certaines situations.

Après, se pose le problème non seulement de ces critères, mais aussi de ce qui est pris en compte dans l'encadrement. Nous constatons qu'aujourd'hui, la totalité de la dépense n'est pas concernée par l'encadrement. D'où la nécessité, vraisemblablement, de prolonger le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales, pour voir ce que l'on doit prendre en compte dans l'encadrement. Je suppose que les associations d'élus doivent également formuler un certain nombre de propositions. Aujourd'hui, trop d'éléments échappent encore à l'encadrement des dépenses de fonctionnement. Je pense donc qu'il faut améliorer le dispositif de contractualisation. Or il est vrai que dans ce contrat, les partenaires ne sont pas tout à fait sur le même pied d'égalité – un certain nombre d'entre vous l'a constaté – puisque l'État a le dernier mot, en l'occurrence. Mais il est quand même toujours préférable d'avoir un échange plutôt qu'une décision autoritaire – même si, une fois de plus, une décision autoritaire peut se justifier pour répondre à une situation d'urgence, mais jamais sur le long terme. Je pense qu'il était vraisemblablement utile de changer de dispositif. Ensuite, pour apprécier l'efficacité du nouveau, il faut bien évidemment davantage de recul.

Sur les questions de fiabilité des comptes, je pense en effet qu'il existe encore des marges de progrès. Un travail est en cours – l'expérimentation de la certification, un dispositif lourd qui peut ne pas être adapté à l'ensemble des collectivités territoriales. Alors il est vrai que si l'on doit avoir une certification mise en place et élargie, la question des moyens des chambres régionales des comptes se posera. On ne peut pas sans cesse élargir les missions d'une juridiction, de l'ensemble des juridictions financières, sans en tirer les conséquences. Nous avons réorganisé notre réseau. Nous avons essayé de réformer l'organisation du travail. Mais, que ce soit pour la Cour ou pour les chambres régionales, c'est une question de priorité. La maîtrise d'un budget et la maîtrise de la dépense n'interdisent pas que l'on ait des priorités, c'est-à-dire des budgets qui augmentent et des budgets qui n'augmentent pas autant. Après, cela dépendra de ce que souhaitera le politique, en fonction des missions qui sont les nôtres.

Quand on regarde les moyens des juridictions financières en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni – pays comparables –, l'on s'aperçoit que, à la fois sur le plan des effectifs et du budget, les juridictions financières françaises sont plutôt moins bien dotées, alors même qu'elles ont des missions plus larges qu'en Allemagne et au Royaume-Uni. À vous d'en tirer les conséquences, c'est vous qui votez le budget ! C'est un peu la traduction de ce que la culture de transparence ou de contrôle sur toutes ces questions budgétaires et financières a mis du temps à se mettre en place dans notre pays. Nous n'avons pas la même culture de transparence et de contrôle que peuvent avoir d'autres pays. Je pense qu'il est très important de la développer. Le Parlement, l'Assemblée nationale, y sont extrêmement sensibles. Les citoyens aussi. Les travaux des juridictions financières contribuent, je crois, à cette transparence et à éclairer le décideur que vous êtes, sachant que – j'ai entendu ce qu'a dit Mme Kamowski sur les travaux des chambres régionales – la décision politique revient bien sûr aux représentants du suffrage universel. Il n'y a pas de jugement en opportunité de la part des chambres. À partir d'un référentiel, en tout cas, on ne pourra pas dire que telle collectivité ne respecte pas la loi. C'est un cadre de référence qui peut être utile pour que la collectivité se situe par rapport à d'autres, pour que l'on puisse conduire un certain nombre d'analyses. Mais en aucun cas un référentiel ne pourra être pris comme étant une disposition législative ou réglementaire qui s'impose aux collectivités territoriales. Et, vous le savez, il faut toujours distinguer les observations que nous pouvons faire lorsqu'une collectivité ne respecte pas la loi ou les règlements, de lorsque nous apprécions l'efficacité ou l'efficience – là, nous souhaitons être le plus utile possible aux décideurs dans le cadre d'une transparence nécessaire. Bien sûr, les élus peuvent ne pas suivre une recommandation. Mais à partir du moment où elle existe, il faut dire pourquoi on ne la suit pas. Je pense que cela contribue au débat démocratique. Il est vrai que, parfois, les rapports ou les travaux, aussi bien des chambres régionales que de la Cour, peuvent être instrumentalisés : je vois parfois des titres de journaux totalement excessifs eu égard au contenu de certains rapports. C'est un risque, évidemment, mais il n'existe pas de monde idéal, et nous ne maîtrisons pas les réactions des uns et des autres à nos rapports. Parfois, nous constatons qu'il existe des lectures différentes ou différenciées selon les sensibilités ou les responsabilités des uns et des autres. Cela peut arriver. Il faut se reporter aux textes mêmes de la Cour pour se faire sa propre appréciation !

Je reviens à l'autonomie fiscale. Elle n'est pas reconnue en tant que telle par la Constitution. Le Conseil constitutionnel reconnaît l'autonomie financière. Il applique d'ailleurs une définition relativement large des ressources propres. Il existe toute une jurisprudence. Mais l'autonomie fiscale en tant que telle n'est pas reconnue dans nos textes constitutionnels. Je tenais à le préciser. Bien évidemment, il peut y avoir des propositions de révision de la Constitution ! Mais c'est autre chose.

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