Intervention de Olivier Véran

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 9h35
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Véran, rapporteur général :

L'activité des services d'urgences des établissements de santé en France augmente de 2 % à 3 % par an en moyenne actuellement. Ce sont 23 millions de patients qui frappent chaque année à la porte des urgences. Certaines études estiment cependant qu'entre 25 % et 30 % des patients pris en charge aux urgences ne relèvent pas du tout de ce type d'accueil, et ressortent d'ailleurs de l'établissement sans avoir subi le moindre examen complémentaire – ni imagerie, ni rien qui fasse appel un plateau technique – et sans faire l'objet d'un diagnostic de sévérité.

Il s'agit pour une large part de patients qui peinent à trouver un médecin en ville ou à l'hôpital et qui se rendent aux urgences faute d'autre solution. Parfois ils appellent SOS Médecins, parfois ils essaient d'appeler leur généraliste, parfois ils vont directement aux urgences. Pour un certain nombre de patients entre aussi en ligne de compte le fait qu'il n'y a ni reste à charge ni ticket modérateur à payer.

Quoi qu'il en soit, cette explosion de l'activité de médecine d'urgence met en grande difficulté les équipes médicales et paramédicales, qui sont saturées. Quiconque a fait l'expérience de se rendre aux urgences y aura trouvé un personnel dévoué, mais aura eu sans doute la mauvaise expérience de patienter plusieurs heures sur un brancard avant de pouvoir quitter l'établissement... Cela pose un véritable problème.

C'est pourquoi, pour ces six millions de personnes qui ne relèvent pas des urgences mais qui s'y présentent, nous avons mis en place, depuis quelques années, des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) ou des centres de soins urgents non programmés en ambulatoire, censés éviter aux personnes concernées de devoir se rendre aux urgences.

Or, le système actuel de financement « à l'activité » n'incite pas les établissements de santé à réorienter les patients ni à travailler davantage en coopération avec ces structures ambulatoires de soins urgents non programmés, lorsque ces structures existent. J'ai moi-même rencontré des urgentistes ou des infirmières d'accueil qui m'expliquaient que proposer à un patient qui a une otite d'aller plutôt à la maison de santé qui se trouve à 500 mètres revenait à « se tirer une balle dans pied », puisque ce type de patient ne prendra pas beaucoup de temps aux équipes des services d'urgences, mais « rapportera » à l'établissement.

Permettez-moi un exemple. J'ai vu le cas d'un hôpital qui a mis en place, dans ses urgences pédiatriques, une structure de consultations externes où vont exercer des pédiatres et des médecins généralistes libéraux. Cette structure d'urgence recevait à peu près 30 000 enfants par an dans ses urgences sur-saturées. Désormais, ses équipes ont réussi à réorienter 5 000 enfants vers la structure ambulatoire. Les enfants sont donc pris en charge tout de suite, sans délai. Cela permet de réduire la surcharge de travail au sein des urgences.

Eh bien, que s'est-il passé ? L'assurance maladie a évidemment payé les consultations médicales pour les 5 000 enfants dans la maison médicale de garde, mais, de ce fait, n'a plus donné de forfait au service des urgences, au motif qu'il n'avait pas soigné. Ainsi, l'hôpital a perdu 400 000 euros. Or il n'avait pas suffisamment réduit son activité pour réduire son équipe soignante… Il faut arriver à casser ce cercle non vertueux.

C'est pourquoi j'avance une proposition qui peut paraître originale, mais qui a du sens, et qui a été mise en place dans d'autres pays avec un succès jamais démenti.

Le principe est le suivant : si le patient qui arrive avec une otite aux urgences repart avec un rendez-vous en ville ou à l'hôpital, on alloue à celui-ci, au lieu du forfait d'urgence qui est actuellement d'une centaine d'euros, un « forfait de réorientation ». Je précise que la décision de réorientation est prise par un médecin urgentiste ou, pourquoi pas, par un infirmier ou une infirmière d'accueil, dans le cadre d'un protocole bien arrêté avec les équipes médicales.

Ensuite, ce forfait de réorientation est financé par le fait que, s'il y a une solution alternative, l'hôpital ne percevra certes plus, pour le patient arrivé aux urgences pour une otite sans gravité, le tarif d'une consultation d'urgence, mais percevra tout de même celui d'une consultation spécialisée, si bien que le dispositif n'est absolument pas coûteux ; il n'y a pas de perdants.

Troisième étage de la fusée : on parerait aux cas de renoncement aux soins pour raisons financières : si un patient est réorienté des urgences vers la médecine de ville ou vers une consultation hospitalière, il n'y aura pas de reste à charge ni de ticket modérateur.

Enfin, j'y insiste, le patient aura toujours le droit de refuser la réorientation et de dire qu'il souhaite malgré être traité aux urgences. Voilà, c'était un peu long, mais le sujet est technique et, je pense, important.

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