Intervention de Bernard Doroszczuk

Réunion du mercredi 10 octobre 2018 à 17h00
Commission des affaires économiques

Bernard Doroszczuk :

Plusieurs de vos questions concernent la sûreté et la sécurité ; je vais donc y répondre de façon globale.

Aujourd'hui, l'Autorité de sûreté nucléaire française n'est pas compétente en matière de sécurité dans les installations nucléaires de base. En revanche, elle exerce déjà une mission en matière de sécurité, s'agissant des sources radioactives. Une mission qui lui a été confiée par la loi TECV de 2015.

Nous comprenons d'ailleurs bien l'intérêt d'une approche complète de la sécurité des sources : appréhender les risques de radioprotection – des sources étant utilisées dans le milieu médical et l'industrie, notamment pour réaliser des contrôles de soudure. Par ailleurs, une source peut-être volée pour un usage malveillant.

Pour ce qui concerne les installations nucléaires de base – cela est très bien expliqué dans le rapport de Mme Pompili –, la situation française est un peu paradoxale. D'abord, l'IRSN exerce des missions, à la fois de sécurité – pour le compte du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) – et de sûreté – pour le compte de l'ASN. Il existe donc bien, en France, un organisme qui assure ces deux missions, sans que soit posée la question du secret défense.

Par ailleurs, la quasi-totalité des autorités étrangères de sûreté nucléaire sont chargées de ces deux missions ; y compris dans les pays où les préoccupations du secret défense sont extrêmement importantes. Il s'agit d'autorités indépendantes. C'est le cas en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

L'argument qui consiste à dire que telle mission est secrète et doit être traitée par des gens « à part » n'est pas nécessairement impossible à dépasser puisqu'il l'a été dans de nombreux pays, mais aussi en France pour l'IRSN. Par conséquent, tout comme M. Pierre-Franck Chevet, je suis favorable à ce que les missions de l'ASN, en France, soient élargies aux missions de sécurité.

En revanche, la définition des menaces et des interventions doivent rester du ressort du ministère de l'intérieur. Mais, une fois que ces menaces sont définies, elles doivent être prises en compte dans les organisations internes et être gérées de manière intégrée avec la sécurité et la sûreté. Par exemple, s'agissant des piscines et de l'épaisseur des murs, on peut tout à fait imaginer le scénario suivant : tirer un projectile pour déterminer si le mur est suffisamment épais et résistant.

En termes de cohérence, il me semble donc que les missions de sûreté et de sécurité nucléaires, pour les installations nucléaires de base, pourraient être confiées, à terme, à l'ASN, après, bien entendu, une réflexion approfondie. Une réflexion à laquelle l'ASN doit être associée et qui doit être menée le plus rapidement possible, si une telle décision devait être prise. Il conviendrait de bien définir le rôle des acteurs, et peut-être même de tenir compte de l'expérience étrangère.

Si l'ASN échange des informations avec le haut fonctionnaire de défense et de sécurité, dans un cadre bien défini par une convention, ils n'exercent aucune opération conjointe, chacun ayant une mission distincte.

Pour ce qui concerne le secret défense, la mise en place d'une commission ad hoc au niveau parlementaire me semble tout à fait appropriée.

Le sujet du démantèlement et du seuil de libération figure au coeur du prochain débat relatif au Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Il conviendrait de s'interroger sur le coût-bénéfice d'un seuil, pour des déchets qui peuvent être très faiblement radioactifs et pour lesquels d'autres inconvénients existent – le transport, la capacité de stockage…

S'agissant du pouvoir de sanction, la loi TECV a élargi la palette d'injonctions de l'ASN en introduisant une possibilité d'amende administrative et d'astreinte financière.

La mise en place de ce dispositif est liée à la mise en application d'une ordonnance de 2016, pour laquelle aucun texte réglementaire n'a encore été publié. Cependant, l'Autorité de sûreté nucléaire a prévu la constitution d'un comité de sanctions, de manière à séparer la décision de sanction du pouvoir d'instruction et de contrôle ; un comité qui n'a donc pas pu être mis en place jusqu'à présent.

En ce qui concerne l'usage des sanctions financières ou des amendes, dès lors qu'elles figurent dans la batterie des instruments, il conviendra de les utiliser – à bon escient, bien évidemment. L'approche qui est celle de l'ASN aujourd'hui consiste, d'abord, à établir un dialogue approfondi avec l'exploitant et à mettre en place les actions nécessaires, puis, éventuellement, à passer à un degré supérieur d'injonction et, enfin, à prononcer une sanction. Il conviendra d'établir une approche proportionnée. Il sera de l'intérêt de tous d'entamer un dialogue constructif sur la manière dont l'ASN pourra mobiliser ce nouveau pouvoir de sanction.

Concernant la possibilité de rendre publique la liste des anomalies génériques, j'y suis, a priori, favorable, mais je me réserve le droit d'étudier ce point en profondeur – je n'ai pas encore eu le temps de l'examiner.

Par rapport aux projets étrangers, l'ASN a, non pas un rôle de conseil, mais un rôle de contrôle des installations en France. En outre, elle dispose d'un pouvoir d'influence dans les réunions et les instances internationales. En effet, le poids de l'ASN dans ces instances est extrêmement fort, et son engagement dans des travaux européens, important. Que ce soit sur les questions des déchets ou de la sûreté nucléaire, la réglementation européenne a été très largement inspirée, ces dix dernières années, par la réglementation française.

Une définition d'un haut standard de sûreté dans les règles européennes constituera une référence pour les opérateurs français à l'international.

Le développement de la mobilité va effectivement évoluer. Ce sujet n'est cependant pas du ressort de l'ASN. La politique énergétique à travers la programmation pluriannuelle de l'énergie, les choix énergétiques, les orientations, sont du ressort du Gouvernement. Je me garderai bien d'intervenir sur ce sujet.

Vous avez également évoqué le plan anti-fraude présenté par l'ASN. Il s'agit d'un sujet vraiment difficile, les fraudeurs ayant, bien entendu, une volonté délibérée de cacher leurs fraudes. Il n'existe pas de mesure unique ; on ne peut pas, après une seule action de contrôle, prétendre maîtriser le risque de fraude.

Néanmoins, le nombre de fraudes détectées est extrêmement faible. Par ailleurs, la volonté de frauder n'est ni purement française, ni purement réservée au nucléaire. Elle existe dans d'autres industries, en France et à l'étranger.

Pour lutter efficacement contre la fraude, une palette d'interventions, composée de deux axes forts, est selon moi nécessaire. D'une part, la prévention. Il convient de s'interroger sur les raisons des fraudes. Elles peuvent être liées à une culture d'entreprise, à une pression du client sur le fournisseur ou à une appréciation individuelle du fraudeur qui préfère frauder que de signaler un écart – sa carrière en dépend peut-être.

D'autre part, il convient d'instaurer le doute dans l'esprit du fraudeur. Le fraudeur doit en effet savoir qu'il risque d'être découvert. Pour cela, des contrôles inopinés sont indispensables : contrôles par sondages, contrôles aléatoires, contrôles dans l'entreprise par des tierces parties, par un réseau d'alerte…

Ces deux axes figurent dans le plan anti-fraude de l'ASN. Si je suis nommé président, non seulement j'appliquerai ce plan, mais je ferai en sorte d'en tirer un bilan rapidement.

Bien évidemment, le risque de fraude est, aussi et avant tout, de la responsabilité de l'exploitant et des fournisseurs. Ils se doivent de renforcer, au titre de la culture d'entreprise, leur dispositif interne et d'éviter, par exemple, qu'un contrôle interne soit réalisé par un service qui peut, lui-même, être à l'origine d'une fraude. Il convient de séparer la fonction de contrôle de la fonction de production.

Les capacités techniques et financières des exploitants sont un sujet sur lequel l'ASN avait attiré l'attention, dans son rapport de 2016 et dans le cadre de la recapitalisation et de l'organisation des acteurs – EDF et Areva, devenu Orano. En effet, certains investissements dans la sûreté avaient été soit retardés, soit réduits, ce qui pose un réel problème.

Il est envisageable que l'ASN, par rapport aux demandes formulées et aux engagements pris par les exploitants, puisse vérifier que les plannings annoncés sont respectés et s'interroger sur les raisons du retard. Si les raisons sont financières, cela peut être tout à fait détecté.

Les capacités techniques sont également importantes, dans un contexte de repli du parc nucléaire. Certains se sont fait l'écho d'un risque de désengouement des jeunes ingénieurs, mais aussi d'un risque de perte d'expérience, puisque pendant de nombreuses années aucune opération de construction n'a eu lieu. Le sujet de la capacité technique des exploitants est donc un point de vigilance pour lequel l'ASN dispose de moyens d'investigation, à travers ses inspections.

Enfin, le niveau de sûreté des réacteurs de 900 mégawatts est consubstantiel au processus de réexamen. Les installations classées pour la protection de l'environnement, les installations classées les plus polluantes, dites installations IED – soumises à la directive européenne du même nom, relative aux émissions industrielles – sont régulièrement soumises à une augmentation d'exigences en vue de se rapprocher le plus possible des meilleures technologies disponibles en termes de réduction des impacts sur l'environnement. Et quand ce n'est pas faisable, des dispositions équivalentes et acceptables doivent être trouvées. Nous ne pouvons disposer d'une règle absolue ; un certain nombre de réalités industrielles et technologiques doivent être prises en compte, même si le but est bien de se rapprocher le plus possible du dernier standard.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.