Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du lundi 22 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Article 37 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Je trouve par ailleurs que des efforts ont été accomplis pour rendre cette annexe pédagogique, et j'apprécie que des développements très clairs y figurent à propos de la position française dans la négociation du prochain cadre financier pluriannuel. Nous sommes également éclairés par le rapport pour avis de Maurice Leroy – qui préside à cet instant la séance – , au nom de la commission des affaires étrangères, par le rapport spécial de Xavier Paluszkiewicz, au nom de la commission des finances, ainsi que par une communication d'Alexandre Holroyd. Je les remercie d'avoir étudié en détail les propositions formulées le 2 mai dernier par la Commission en vue du prochain cadre financier pluriannuel. Il est en effet important, en la période cruciale qui s'ouvre, que les parlementaires suivent les négociations en cours.

De nombreux sujets ont été mis sur la table par la Commission. Certaines propositions sont particulièrement bienvenues, comme la suppression progressive des rabais dont vous parliez à l'instant, madame la ministre, contre lesquels je me suis toujours élevé dans les différentes réunions, ou encore la conditionnalité de l'attribution des fonds européens au respect de l'État de droit. D'autres nous inquiètent, en particulier la réduction des crédits de la PAC ou encore l'attribution des fonds structurels selon un critère de produit intérieur brut par habitant, alors qu'il conviendrait aussi de prendre en compte des critères sociaux, économiques et territoriaux.

La Commission propose un budget européen de 1 280 milliards d'euros sur sept ans, soit environ 180 milliards d'euros par an. C'est un budget en expansion malgré le départ d'un contributeur net, le Royaume-Uni. De ce fait, le prélèvement sur recettes pourrait à l'avenir se situer entre 26 milliards et 28 milliards. En clair, la contribution française augmenterait alors de quelque 6,3 milliards par an en moyenne sur la durée du cadre pluriannuel financier.

Mais il est clair qu'avec un budget de seulement 1,1 % du PIB européen, dont les deux tiers sont redistribués sous forme de politique de cohésion et de politique agricole commune, l'Union européenne n'a pas vocation à se substituer aux États. Rappelons à cet égard, mutatis mutandis, que le budget fédéral des États-Unis atteint 20 % du PIB. La taille modeste du budget européen l'empêche d'avoir une fonction stabilisatrice et surtout une fonction redistributrice qui permettrait de remédier à certains déséquilibres internes, dont les déséquilibres commerciaux.

La négociation du prochain cadre financier pluriannuel se déroule dans un contexte difficile pour les Européens convaincus. Par le passé, nous nous battions pour faire l'Europe ; aujourd'hui, nous avons l'impression de lutter pour éviter qu'elle ne se défasse. Nous sommes dans une période de fortes tensions politiques, au moins sur trois fronts : le front du Brexit ; le front budgétaire et financier ; aussi et surtout le front des valeurs.

La seule chose que je trouve positive avec le Brexit est qu'on ne parlera plus du chèque britannique. Au fond, le Brexit pourrait servir de catalyseur pour réformer l'Europe – je me suis toujours battu contre les rabais, je le rappelais à l'instant. Mais le compte à rebours est angoissant car la négociation sur l'accord de sortie semble ne guère progresser, c'est un euphémisme. Certes, des avancées ont été annoncées sur les droits des citoyens britanniques résidant dans l'Union, et réciproquement sur les droits des citoyens européens résidant au Royaume-Uni. De même, a été trouvé un accord sur la continuité des engagements budgétaires du Royaume-Uni. Mais, sur tout le reste, un flou assez inquiétant domine à seulement 158 jours et sept heures du Brexit, qui devrait avoir lieu le 29 mars, à vingt-trois heures précises… La question de la frontière nord-irlandaise est insoluble, et l'on ignore tout des futures relations commerciales entre le Royaume-Uni et l'Europe. Mais l'Union a eu raison de refuser le plan Chequers proposé par Theresa May, car on ne peut pas avoir les avantages du marché unique sans en accepter quelques contraintes. La possibilité d'un no deal est de plus en plus forte, et une prolongation de la période de transition repousserait les problèmes sans les régler : il serait désastreux pour tout le monde que cette crise se prolonge.

On croyait en avoir fini avec le front budgétaire et financier depuis que la crise des finances publiques grecques a été jugulée, mais celui-ci redevient un sujet de préoccupation avec le budget présenté par le gouvernement italien. La Commission a averti ce dernier que son projet de budget présentait un « risque de non-conformité particulièrement grave ». Dans la sémantique bruxelloise, c'est une très sévère mise en garde. Et pour cause : on ne peut pas mener une politique expansionniste avec un déficit élevé quand sa dette publique dépasse 130 % du PIB. Au fond, si ce n'est pas l'Europe qui rappelle à l'Italie ses engagements, ce pourrait bien être les marchés financiers. Les taux d'intérêt sur la dette italienne ont doublé depuis le mois de mai, passant de 1,7 % à près de 3,6 % pour les obligations à dix ans – contre 0,8 % pour la France et 0,4 % pour l'Allemagne, je le rappelle. Si l'Italie devait connaître des difficultés concernant la soutenabilité de ses finances publiques, c'est toute l'Europe qui s'en trouverait menacée.

Mais le front qui doit le plus nous inquiéter est bien sûr celui de nos valeurs communes. Si les tensions sur ce sujet avec l'Italie et certains pays de l'Est ne doivent pas être niées, nous devons rester fermes sur nos valeurs, car c'est sur elles que se fonde l'Europe. Vous avez raison, monsieur le président Leroy, de le rappeler dans votre rapport : « L'Union européenne est en effet beaucoup plus qu'un marché unique et qu'un "carnet de chèques", c'est une union de valeurs. »

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