Intervention de Jean-Jacques Ferrara

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 8h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Ferrara, rapporteur pour avis :

Monsieur le président, chers collègues, avant de présenter à grands traits les crédits inscrits en PLF 2019 au profit de l'armée de l'air, j'aimerais revenir un instant sur l'année 2018, au cours de laquelle elle a vu ses capacités commencer à se renforcer.

S'agissant d'abord des livraisons, l'armée de l'air a accueilli, vendredi dernier, le premier des quinze avions de ravitaillement et de transport MRTT qui remplaceront, à terme, les valeureux sexagénaires C135 stationnés sur la base aérienne d'Istres et la flotte d'avions blancs de l'Esterel. Ainsi, s'engage la modernisation de la composante aéroportée de la dissuasion, en même temps que se poursuit la mutation de la flotte de transport stratégique. L'année 2018 a ainsi été marquée par la livraison d'un nouvel A400M et d'un nouvel avion C130J, qui viendront conforter nos capacités patrimoniales dans le domaine de l'aviation de transport stratégique et tactique. L'armée de l'air a également reçu trois Rafale, quatre pods de désignation laser de nouvelle génération et 69 missiles Meteor, l'ensemble de ces équipements contribuant à renforcer l'aviation de combat. Je n'oublie évidemment pas la livraison de nouvelles capacités de commandement et de conduite des opérations aérospatiales. Surtout, il me faut souligner l'arrivée des huit premiers avions PC-21 destinés à la base aérienne de Cognac dans le cadre du programme de formation modernisée et d'entraînement différencié des équipages de chasse (FoMEDEC), attendus depuis longtemps – je rappelle que ce programme s'appelait initialement « Cognac 2016 ». Les PC-21 permettront de raccourcir la formation des pilotes de combat, tout en la confortant.

Au rang des commandes, ont notamment été lancés : six opérations de modernisation du C130H ; la commande de trois avions MRTT ; quarante-cinq rénovations de Mirage 2000 D.

Il s'agit donc d'une année riche !

L'année 2018 a notamment permis de reprogrammer des commandes annulées au titre du décret d'avance de juillet 2017, dont les effets se font encore sentir.

Car, cela n'aura échappé à personne, un équipement manque toujours. Sans surprise, je fais référence à la commande d'un hélicoptère Caracal destiné à remplacer l'un des deux détruits en opération. J'accepte volontiers de vous voir sourire face à ma persévérance ou ma constance, c'est selon, mais tous, ici, vous reconnaîtrez qu'elles sont au service de nos forces, en l'espèce de nos forces spéciales. Les missions de ces dernières sont de plus en plus intenses, et leur engagement croissant. En conséquence, il est nécessaire pour elles de disposer d'une autonomie suffisante pour mener à bien ces missions. Dès lors, il convient de se demander si cette rupture capacitaire n'obère pas notre potentiel opérationnel en BSS.

Il s'agit d'un réel sujet de préoccupation, que partagent l'état-major des armées comme la ministre des Armées. L'an dernier, j'avais déposé un amendement prévoyant les crédits nécessaires au financement d'une telle commande. La ministre m'avait alors assuré que ma préoccupation serait « satisfaite ». Mes premières craintes sont apparues en juin dernier lorsque, interrogée à ce sujet par notre collègue Jean-Charles Larsonneur, la ministre s'était montrée bien plus évasive…

Aujourd'hui, force est de constater qu'aucune commande d'un Caracal n'est intervenue en 2018, et que rien n'est prévu en PLF 2019.

Je n'ai aucune raison de mettre en doute l'engagement de la ministre. Je sais qu'elle juge cet équipement prioritaire et qu'elle tentera, dans le cadre de ses négociations avec Bercy, d'obtenir un dégel permettant de remédier à ce manque. Je compte l'y aider en redéposant un amendement en séance, et j'espère que tous, sur ces bancs, individuellement et collectivement, vous accepterez de l'y aider. Vous en êtes à présent avertis et avez tout le temps d'y réfléchir d'ici la séance publique. Je compte sur vous, au service de nos forces.

Ceci étant dit, j'en viens désormais à la présentation des crédits alloués à l'armée de l'air dans ce projet de budget. Je vous promets d'être rapide, Monsieur le président.

Au sein du programme 178, ces crédits sont retracés au sein de l'action 4, intitulée « Préparation des forces aériennes ». Ils doivent permettre aux forces aériennes de conduire les missions qui leur sont assignées par la loi de programmation militaire : la protection aérienne du territoire national et des populations ; la dissuasion nucléaire ; l'intervention visant à protéger nos ressortissants, à défendre les intérêts de la France, à honorer nos alliances et à respecter nos engagements internationaux.

En PLF 2019, les crédits de l'action 4 représentent 4,327 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,319 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 66 % et de 9,2 % respectivement.

La forte augmentation des autorisations d'engagement s'explique essentiellement du fait du recours à des marchés pluriannuels majeurs pour l'entretien programmé des matériels, conformément à la nouvelle philosophie mise en oeuvre par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé). Concernant les crédits de paiement, l'augmentation de la dotation prévue pour 2019 n'est que la déclinaison de l'actualisation de la LPM 2014-2019 et des dispositions de la nouvelle LPM.

Bien que mon avis ne porte que sur le programme 178, permettez-moi de dire un mot des crédits figurant dans les autres programmes de la mission « Défense » et intéressant l'armée de l'air. D'abord, au sein du programme 144, une part des ressources affectées aux études amont se rapporte directement aux forces aériennes. Je pense au SCAF et au programme FMANFMC, dont l'objectif est de concevoir les missiles qui succèderont aux SCALP et aux Exocet. Ensuite, le programme 146 retrace les financements liés à l'acquisition de nouvelles capacités. Je n'entrerai pas dans les détails. Enfin, les crédits relatifs au financement des infrastructures d'accueil des nouveaux équipements sont inscrits au programme 212. Pour l'armée de l'air, cela concerne essentiellement l'accueil des A400M à Orléans, des MRTT à Istres et des Rafale supplémentaires à Mont-de-Marsan.

Voilà, mes chers collègues, ce qu'il m'était possible de vous dire sur le PLF 2019. Il s'agit d'un budget intéressant, qui décline l'ambition exprimée par la LPM 2019-2025, dont on ne peut que saluer les orientations.

Pour le membre de l'opposition que je suis, il s'agit donc d'aborder la mise en oeuvre de cette nouvelle programmation avec confiance, mais aussi avec vigilance.

Je ne méconnais pas en effet les quelques manques de la programmation – pensons aux hélicoptères, véritables parents pauvres de la LPM, et à certains équipements missionnels, en particulier les pods – de même que je demeure attentif face aux incertitudes qui persistent. Il ne s'agit pas de refaire le débat de la LPM, mais chacun sait ici que la trajectoire budgétaire est ambitieuse, et exponentielle, surtout après 2022 ! De plus qui peut aujourd'hui garantir que la disponibilité des matériels s'améliorera, que la reprise des recrutements est assez forte, ou encore que les coopérations européennes que nous appelons de nos voeux aboutiront ?

Mais trêve de pessimisme, je veux avoir confiance en l'avenir même si, comme l'écrit Flaubert « à mesure qu'on s'avance, il recule, recule et s'en va ». Cette confiance en l'avenir, c'est du moins ce que nous devons à nos forces.

Évoquer l'avenir m'amène à la seconde partie de mon intervention, consacrée à l'aviation de transport tactique et stratégique. C'est en effet à cette question que j'ai décidé de consacrer la partie thématique de mon avis.

Pour ce faire, je me suis rendu sur différentes bases aériennes, à Orléans, Évreux, Creil, Villacoublay et Istres, ainsi qu'au siège du Commandement européen du transport aérien, l'EATC, à Eindhoven. J'ai aussi eu le privilège de me rendre en BSS, en immersion au sein d'un équipage d'A400M effectuant une rotation logistique.

Avant toute chose, je souhaiterais clarifier un point, évoqué tout à l'heure par notre collègue Claude de Ganay. Comme vous le savez, le transport tactique et stratégique a fait l'objet de nombreuses critiques et polémiques, en partie fondées, notamment à la suite de la parution d'un premier rapport de la Cour des comptes en 2016. En 2017, notre collègue François Cornut-Gentille a rendu un rapport étayé, et très commenté, sur les errements de l'affrètement stratégique, qui a notamment conduit la ministre à diligenter une enquête, confiée au contrôle général, et à saisir la justice. Le Parquet national financier enquête, des perquisitions ont eu lieu, tandis que la Cour des comptes a annoncé qu'elle lançait des travaux complémentaires. Il ne m'appartient pas d'interférer dans ces procédures, ni de jeter de l'huile sur le feu.

Ma démarche a pour but de dresser un état des lieux de l'aviation de transport stratégique et tactique, d'évaluer les fragilités actuelles de l'aéromobilité et de souligner les enjeux de la remontée en puissance.

Mais d'abord, de quoi parle-t-on ?

Le transport stratégique définit la projection de forces, au début d'une opération, mais également le transport de personnels et de fret en cours d'intervention, et à son terme. De fait, il inclut aussi l'évacuation sanitaire, ou médicale (EVASAN). Ces missions sont mises en oeuvre par la flotte d'avions blancs de l'Esterel, les A310 et A340, qui transporte près de 100 000 personnes par an, ainsi que par l'ET60 – la flotte Falcon et l'A330 dit présidentiel –, dont on ne mesure pas suffisamment le rôle essentiel dans l'évacuation des blessés. Il faut savoir qu'en moins de vingt-quatre heures, l'ET60 est en mesure de récupérer un blessé en tout point du globe et de le ramener à Paris pour une prise en charge à Percy. Sur une année, cela représente en moyenne 55 missions et 60 blessés. Les ravitailleurs participent également aux missions stratégiques, soit par le transport de personnel, soit pour l'EVASAN avec la mise en oeuvre du kit Morphée. Depuis 2008, cinq missions de rapatriement ont eu lieu avec ce kit, permettant de ramener cinquante-six soldats blessés.

Le transport tactique se rapporte, quant à lui, aux opérations conduites sur le terrain, transport intra-théâtre, bien sûr, mais aussi opérations d'aéroportage, d'aérolargage, de renseignement d'opportunité et de brouillage, d'avitaillement au sol, etc. Le transport tactique est assuré par les CASA du Ventoux et du Vercors ainsi que les Transall C160, stationnés à Évreux, et les C130H du Franche-Comté et du Poitou, qui compte également un C160, à Orléans. Enfin, les C130J, qui feront partie d'ici peu d'un escadron franco-allemand à Évreux, et les A400M du Touraine à Orléans sont à mêmes d'effectuer des missions tactiques et stratégiques.

Le transport militaire se situe à un moment charnière, en pleine transition entre des matériels âgés de plusieurs dizaines d'années, et des équipements des plus récents. Celle-ci permettra, d'ici 2025, de passer d'une capacité de projection de 200 tonnes à 5 000 tonnes en cinq jours, grâce à un accroissement de 94 % de la charge offerte.

Elle n'occulte néanmoins pas les fragilités actuelles de l'aéromobilité, et impose d'être pilotée finement afin d'être pleinement au rendez-vous.

Dans un premier temps, j'évoquerai ces fragilités.

Celles-ci touchent d'abord au fait que notre parc est incomplet. D'abord, en raison des retards dans les livraisons de matériels et dans la maturation de leurs capacités tactiques. Il est évidemment question de l'A400M. Malgré le plan « Hexagone », seuls dix des 14 avions français disposent des premières capacités tactiques. Si tout va mieux et que l'avion donne satisfaction, nous sommes toujours dans l'attente de la qualification de nouvelles capacités : ravitaillement en vol, largage de parachutistes par les portes latérales de manière simultanée, par exemple. L'équipe de marque est néanmoins confiante et, d'ici 2020, l'ensemble de la flotte devrait être au rendez-vous des capacités tactiques.

Ensuite, l'incomplétude du parc est liée au faible niveau de disponibilité. Il y a bien sûr des raisons. Citons pêle-mêle le vieillissement des flottes, le manque de maturité des plus récentes, le défaut de pièces, les conditions difficiles d'emploi sur les théâtres. Toujours est-il qu'en mai dernier, le taux de disponibilité des CASA était de 46 % à N'Djaména. Celui des C130H était quant à lui de 35 % en avril… En moyenne, en 2018, 12 avions de transport tactique étaient disponibles sur les 44 du parc !

Cette faible disponibilité, couplée à un fort niveau d'engagement, a aussi d'importantes conséquences sur les ressources humaines. Les temps de formation s'allongent, les savoir-faire les plus complexes peuvent se perdre. Cela concerne les pilotes, bien sûr, mais aussi les personnels dont on parle moins : les mécaniciens, les agents de transit et d'escale. Dans le même temps, le « boom » du secteur aéronautique civil attire de nombreux militaires, de toute ancienneté, ce qui contribue à fragiliser les unités.

Enfin, dernière fragilité qu'il convient de mentionner, les risques de l'affrètement. Je n'entrerai pas ici dans le détail, mais nous dépendons encore de compagnies ukrainiennes et russes pour une large part de nos acheminements stratégiques. S'il est moins médiatisé, l'affrètement concerne aussi le transport tactique, sur les théâtres, puisque nous recourrons à de nombreux prestataires privés, au service des opérations Barkhane et même Sabre. Ces affrètements posent question sur notre liberté d'action, la préservation de notre souveraineté nationale, la garantie de confidentialité et la sécurité des personnels. Rappelons que, il y a un an, un Antonov 26 transportant notamment quatre militaires français s'est écrasé à Abidjan, provoquant la mort de l'équipage étranger. Cet appareil était exploité par une compagnie moldave.

Dès lors, la remontée en puissance de nos capacités de transport stratégique et tactique soulève plusieurs enjeux d'importance.

Il conviendra d'abord de piloter finement la transition capacitaire. Cela implique de ne pas bâcler la fin de vie des Transall, dont le retrait est prévu pour 2023. Ils rendent encore de nombreux services et il convient de préserver jusque-là les compétences des équipages ainsi que celles des mécaniciens. Parallèlement, il faudra accompagner la montée en puissance des nouvelles flottes, en veillant à prévoir les infrastructures nécessaires à leur mise en oeuvre et en s'assurant de la performance de leurs capacités tactiques. Dans ce contexte, la constitution de l'escadron franco-allemand de C130J constitue un réel défi, car il nous faudra adapter les méthodes de travail et les règles d'engagement, et construire un environnement accueillant pour les personnels étrangers.

Par ailleurs, afin de bâtir une offre capacitaire cohérente, il nous faudra approfondir les entreprises de mutualisation et de coopération avec nos alliés. L'escadron franco-allemand en fait partie, mais je pense également à l'utilisation des moyens de nos alliés grâce à des accords bilatéraux. La présence de trois hélicoptères britanniques CH-47 au Sahel témoigne de l'importance de ces partenariats. Au-delà, la France, j'en suis convaincu, doit soutenir la montée en puissance de l'EATC, qui incarne probablement un modèle pour l'Europe de la défense. Avec les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne, plus récemment l'Italie et l'Espagne, nous mettons en commun près de 200 avions qui contribuent tous aux missions des uns et des autres. Demain, un avion allemand peut transporter du fret français au Levant, tandis qu'un A400M peut acheminer des militaires belges dans les pays baltes. C'est une grande réussite, trop méconnue, même si cette relative discrétion est peut-être la raison de son succès.

Enfin, pour conclure, Monsieur le président, j'insisterai sur l'immensité du défi que constituent les ressources humaines.

Aujourd'hui, le limitant des ressources humaines est quasi invisible en raison de la faiblesse des taux de disponibilité. Demain, il faudra recruter à tout va. Pour ce faire, l'école de transport d'Avord prévoit d'instruire 50 pilotes par an, contre 25 aujourd'hui. Mais une fois recrutés, il faudra former les pilotes aux savoir-faire les plus complexes, tâche ô combien difficile alors que les instructeurs manquent. Dans ce contexte, les capacités de simulation constituent un enjeu essentiel pour améliorer et accélérer la formation des personnels. Sur certains segments, elles sont au rendez-vous ; je pense au simulateur A400M de la base d'Orléans. En revanche, les forces ne disposent pas d'un simulateur CASA en patrimonial, et le simulateur du C130 n'est plus adapté.

Et une fois formés, il faut trouver les moyens de fidéliser les transporteurs. Des moyens spécifiques existent, comme des conventions avec les acteurs du secteur civil pour organiser les reconversions en fin de carrière. Nous touchons néanmoins là à un point qui ne concerne pas que l'armée de l'air, mais l'ensemble de nos forces. Il me reste donc à vous remercier de votre attention.

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