Intervention de Franck Riester

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Franck Riester, ministre de la Culture :

C'est un plaisir pour moi, qui ai passé onze années de ma vie de député dans cette commission que j'apprécie tant, d'être devant vous pour ma première audition en qualité de ministre, et un grand honneur de présider aux destinées d'un ministère si important pour nos compatriotes et qui, je le sais, vous tient particulièrement à coeur. Le Président de la République, qui souhaite faire de l'émancipation de nos compatriotes une priorité de sa politique, entend mener une politique culturelle ambitieuse, fondée sur la rencontre avec les oeuvres et les artistes, afin que la découverte de la palette des expériences sensorielles permette à nos compatriotes de se confronter à l'universel et de se forger ainsi un esprit critique qui les rendra plus forts pour exercer le métier de vivre.

J'adresse un salut amical à Françoise Nyssen, qui m'a précédé dans cette fonction, et je la remercie de s'être consacrée avec toute son énergie à lutter contre la ségrégation culturelle et à agir pour faire de la décentralisation culturelle une réalité. J'inscrirai mon action dans la continuité de la sienne, en suivant la feuille de route fixée par le Président de la République et le Premier ministre.

Il me revient donc de vous présenter le budget 2019 du ministère de la Culture préparé par Françoise Nyssen et les équipes du ministère, que je remercie. Ce budget est un bon budget, un budget conforté, en hausse de 17 millions d'euros par rapport à 2018. Il atteint 3,65 milliards d'euros mais, en prenant en compte les ressources allouées à l'audiovisuel public, les taxes affectées à nos opérateurs et les dépenses fiscales, ce sont plus de 9,7 milliards d'euros qui seront consacrés à mettre en oeuvre les priorités politiques du Gouvernement en matière culturelle, que je suis venu rappeler.

D'abord, notre politique culturelle sera au service des territoires. Élu depuis 1995 et maire pendant dix ans, je sais l'importance des territoires, communes, départements et régions dans l'action culturelle, et il n'y a nul besoin de me convaincre de la complémentarité entre l'action de l'État et celle des collectivités territoriales. Le partenariat qui les unit doit dépasser les clivages partisans. Pour que notre action bénéficie aux territoires, ils doivent, dans la mesure du possible, gérer les moyens. Aussi le ministère de la Culture augmentera-t-il en 2019 la part de ses crédits déconcentrés pour les porter à 849 millions d'euros ; en deux ans, les moyens gérés par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) – dont les effectifs seront sanctuarisés – auront ainsi progressé de 8 %.

Cette action territoriale est incarnée par la politique du patrimoine. Les crédits d'entretien et de restauration pour les monuments historiques, hors grands projets, sont sanctuarisés à 326 millions d'euros d'autorisations d'engagement. Ils permettront de financer plus de 6 000 opérations, en métropole et outre-mer. Plus de 85 % de ces crédits sont consacrés aux monuments régionaux : la moitié des sites protégés sont situés dans des communes de moins de 1 000 habitants. C'est pourquoi nous accompagnerons aussi la croissance du Fonds en faveur des collectivités à faibles ressources, qui a permis de lancer en 2018 plus de 150 opérations de restauration en mobilisant les acteurs locaux, avec la participation de presque toutes les régions.

Je salue enfin la dynamique suscitée par Stéphane Bern avec le Loto du patrimoine. C'est un très beau succès populaire : après le tirage spécial du Loto, 7 millions de jeux de grattage ont été vendus à ce jour et 15 millions d'euros de recettes sont déjà assurées au profit de la Fondation du patrimoine, qui permettront de sauver de nombreux monuments en péril. Ces recettes devraient avoisiner 20 millions d'euros quand les 12 millions de jeux à gratter auront été atteints. La TVA et les prélèvements sociaux qui pèsent traditionnellement sur les jeux de grattage sont prélevés sur les mises des joueurs, si bien que la cible de 20 millions d'euros de recettes pour la Fondation du patrimoine n'en sera pas réduite.

J'insiste sur le fait que la masse des petits et grands projets régionaux ne saurait servir de variable d'ajustement aux grands projets patrimoniaux, notamment parisiens : la rénovation du Grand Palais et les projets immobiliers de nos établissements nationaux doivent faire l'objet de plans de financement spécifiques, étalés dans le temps, avec le souci constant de parvenir à un équilibre économique de long terme et de prévenir le risque de dérive budgétaire.

Dans cette optique, nous avons décidé de revaloriser de 5 millions d'euros les crédits en faveur de l'archéologie en 2019, pour éviter que, comme vous l'aviez observé à l'occasion d'une mission « flash », les crédits votés pour les monuments historiques ne doivent être réorientés en cours de gestion à d'autres fins, l'archéologie notamment.

Je note aussi que les exemples récents d'opérations patrimoniales alliant crédits de l'État, emprunts privés, ressources propres et mécénat responsabilisent l'ensemble des acteurs. Alors que la discussion de la première partie du projet de loi de finances s'est achevée, je rappelle l'importance du mécénat pour les acteurs culturels. Un quart des 2 milliards d'euros de dons déclarés en France en 2017 ont bénéficié à la culture et au patrimoine. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, il serait incohérent, et déstabilisant pour les opérateurs publics, de renoncer à des expositions, à des investissements ou à des acquisitions à cause d'une réforme du mécénat mal construite ou mal évaluée. J'appelle de mes voeux, lorsque la Cour des comptes vous aura remis son rapport d'assistance, une réflexion parlementaire visant à mettre un terme aux abus qui ont pu se produire mais j'invite instamment à procéder aux adaptations nécessaires sans casser un outil exceptionnel devenu indispensable à notre économie publique culturelle et à notre patrimoine.

Notre deuxième ambition, c'est l'égalité d'accès à la culture. Nous la voulons et la permettrons dans tous les territoires, d'abord grâce à la circulation des oeuvres et des artistes prévue par le plan « Culture près de chez vous » auquel le ministère consacrera 6,5 millions d'euros en 2019. Un premier bilan de ce plan aura lieu dans les prochaines semaines. Je partage son ambition, qui est de cibler des moyens nouveaux dans les territoires prioritaires identifiés par les DRAC et de soutenir des projets itinérants, dans le cadre de partenariats renouvelés avec les collectivités territoriales. À titre d'exemple, une oeuvre de Picasso va pour la première fois être présentée dans le musée de Coulommiers. L'événement a un écho très fort au sein de la population ; les Columériens sont ravis et fiers que leur musée accueille cette oeuvre.

Nous permettrons aussi l'égalité d'accès à la culture par le soutien aux bibliothèques, que nous ouvrirons plus longtemps ; c'est un objectif affirmé du Président de la République. L'aménagement de l'amplitude horaire d'ouverture de 265 bibliothèques est déjà accompagné, et se traduit par une extension moyenne de 6 heures par semaine. Nous les ouvrirons mieux encore : 2 millions d'euros additionnels seront mobilisés, en plus des 88 millions d'euros déjà prévus. Mais rien ne sera possible en cette matière sans un partenariat entre l'État et les collectivités territoriales.

Pour que chaque enfant ait, d'ici 2022, accès à la culture dès l'école, pour que tous puissent approcher des oeuvres et des artistes et s'initier à la pratique artistique, 145 millions d'euros seront consacrés à l'éducation artistique et culturelle l'année prochaine, deux fois plus qu'en 2017. Cet objectif suppose un partenariat renforcé avec l'Éducation nationale, que j'aurai à coeur de poursuivre ; déjà, en un an et demi, des efforts considérables ont été faits en ce sens par le ministère de la Culture et celui de l'Éducation nationale, et des résultats tangibles sont observés.

Le Pass Culture, initiative novatrice, parachèvera le parcours d'éducation artistique. Une enveloppe de 34 millions d'euros lui sera réservée en 2019. Nous lancerons prochainement son expérimentation auprès de 10 000 jeunes volontaires, répartis dans cinq départements. Je revendique de prendre le temps d'une expérimentation indispensable pour trouver et un public et les montages financiers, juridiques et culturels nécessaires.

Puisqu'il est question de la jeunesse, je souligne l'importance que revêt à mes yeux la centaine d'établissements de formation rattachés au ministère. Ils accueillent près de 37 000 étudiants, emploient plusieurs milliers d'enseignants et délivrent chaque année plus de quarante diplômes. Leurs moyens de fonctionnement sont préservés en 2019. Ils bénéficieront de plus de 15 millions d'euros de crédits d'investissement pour des opérations structurantes comme les écoles d'architecture de Marseille et de Toulouse ou le Conservatoire de Paris, pour n'en citer que quelques-unes, et de nouvelles opérations seront engagées, à Cergy par exemple.

La troisième orientation du budget 2019, c'est un soutien renouvelé aux artistes, aux créateurs et aux lieux de diffusion. Les crédits alloués à la création seront sanctuarisés et 706 millions d'euros seront consacrés au spectacle vivant. Le soutien aux structures labellisées progressera d'un million d'euros ; 500 000 euros seront consacrés à des projets relevant de l'économie sociale et solidaire dans le champ de la création artistique. Le soutien apporté par le ministère sera guidé par le souci constant de favoriser l'émergence de nouveaux talents, d'accompagner les artistes dans leurs projets et d'élargir les publics en améliorant la diffusion des oeuvres, notamment dans les territoires ruraux et les quartiers prioritaires. Le soutien aux arts visuels sera accru pour atteindre 75 millions d'euros en 2019, avec l'accompagnement de la nouvelle délégation à la photographie et des moyens renforcés en faveur de la mode et du design.

Bien entendu, il n'est pas de création sans lieux de création et, étant donné le contexte que l'on sait, les dépenses de sécurisation des sites et événements culturels pèsent durement sur tous les acteurs. Deux millions d'euros seront pérennisés à compter de 2019 afin d'alléger la facture des dépenses de sécurité, dans le sillage du fonds d'urgence créé temporairement en 2016. Je serai attentif à la question du coût de la mobilisation des forces de l'ordre, qui peut entraîner des difficultés pour certains organisateurs de festivals.

Il n'est pas non plus de création sans artistes. L'emploi dans le secteur culturel continuera d'être soutenu par le Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle vivant (FONPEPS), qui sera évidemment prolongé au-delà de 2018. Les crédits de 2019 ont été ajustés à l'exécution budgétaire de l'exercice qui s'achève, sans remise en cause de principe. Le ministère aura également à coeur de poursuivre d'ici la fin de l'année et en 2019 le travail engagé avec les représentants des artistes auteurs – il en a d'ailleurs été question au conseil des ministres ce matin même. Dix-huit millions d'euros de crédits nouveaux permettront de compenser durablement la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) ; un décret est en cours de finalisation à ce sujet, un autre décret permettra le recouvrement de leurs cotisations sociales par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), et certains aménagements ont été rendus possibles dans le cadre du prélèvement à la source. Enfin, les inspections générales des affaires sociales et des affaires culturelles se penchent sur le régime de protection sociale des artistes auteurs et me feront des propositions à ce sujet avant la fin de l'année.

La quatrième priorité du budget 2019, c'est l'indépendance et le pluralisme de la presse et le dynamisme des industries culturelles. Deux millions d'euros supplémentaires seront mobilisés pour l'Agence France Presse (AFP), qui doit être restructurée et modernisée. Au total, le soutien de l'État à l'Agence aura été de près de 8 millions d'euros supérieurs aux engagements pris dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens qui s'achève. Les enjeux de transformation auxquels l'Agence fait face sont considérables. Les jalons fixés par la nouvelle direction doivent permettre d'y répondre à court et moyen terme ; j'y serai particulièrement attentif car je suis convaincu de l'importance de l'AFP. Les aides au pluralisme de la presse seront sanctuarisées. Enfin, les travaux liés à la réforme de la loi Bichet se poursuivront dans les semaines qui viennent. J'ai pris toute la mesure des attentes de l'ensemble des acteurs de ce dossier complexe. Vous savez que l'État prend déjà toute sa part de l'accompagnement de la messagerie Presstalis, qui est dans une situation difficile, par un prêt du Fonds de développement économique et social et un soutien budgétaire exceptionnel de 9 millions d'euros prélevé sur l'enveloppe du Fonds stratégique de développement de la presse, auquel les éditeurs de Presstalis ont proposé de renoncer temporairement.

S'agissant de la musique, vous savez combien je tiens à ce que le projet de Centre national de la musique (CNM), dont Roch-Olivier Maistre est venu nous entretenir sur ces bancs il y a peu, aboutisse enfin. Je salue Émilie Cariou et Pascal Bois qui conduisent une mission de préfiguration. Leurs conclusions, qui devraient être rendues prochainement, permettront, j'en suis certain, de définir le périmètre exact du nouvel établissement ainsi que ses modalités de gouvernance et de financement. Le ministère, sous l'impulsion de Françoise Nyssen, s'est engagé à mobiliser 5 millions d'euros en 2019 pour amorcer le financement en année pleine de cette institution. Ces moyens serviront aussi à renforcer les dispositifs en faveur de l'exportation, mais il s'agit également de soutenir la création, d'observer le marché de la musique et de fédérer les acteurs de la filière. Vous pouvez compter sur ma détermination entière à voir progresser ce dossier dès que j'aurai pris connaissance des conclusions du rapport de vos deux collègues.

J'en viens au livre. Le budget 2019 marque la budgétisation du Centre national du livre (CNL), ce qui permettra de sécuriser enfin des ressources dont le rendement était fragilisé depuis plusieurs années. La budgétisation, qui se fera au niveau, historique, du budget 2018, s'accompagnera de la suppression des deux taxes qui étaient affectées au Centre, dont celle qui est assise sur le chiffre d'affaires des entreprises d'édition.

Les soutiens aux industries culturelles prennent des formes diverses. Beaucoup sont des crédits d'impôt, qui jouent un rôle essentiel dans la structuration de plusieurs filières économiques, du cinéma à l'audiovisuel en passant par la musique enregistrée ou la production de spectacles. Ces dispositifs sont régulièrement évalués ; ils le sont actuellement par la commission des finances de votre assemblée, par l'Inspection générale des finances et par des auditeurs privés. Je sais pouvoir compter sur votre soutien pour dépasser les logiques purement budgétaires ou idéologiques et montrer en quoi l'outil exceptionnel qu'est le crédit d'impôt pérennise ou crée des activités et des emplois dans notre pays et contribue au renouvellement des talents et à la promotion de la diversité culturelle et de la francophonie.

La cinquième priorité de notre budget 2019 est la transformation audiovisuelle ; 2019 sera la première année de sa mise en oeuvre. Vous en connaissez les enjeux, que le Premier ministre a présentés en juillet dernier : il s'agit de faire émerger un audiovisuel public plus numérique et plus proche des Français, notamment les jeunes gens. Un effort d'économie, réel mais soutenable, de 36 millions d'euros est prévu l'année prochaine, soit une baisse de 1 % des concours publics au secteur ; il se traduira selon une stratégie adaptée à chaque société.

La question de la pérennité des ressources de l'audiovisuel public se pose parallèlement à l'évolution des usages, et aussi en raison de la suppression progressive de la taxe d'habitation, à laquelle la contribution audiovisuelle publique est adossée. Je plaiderai pour des orientations et des arbitrages les plus précoces possibles à ce sujet.

L'année prochaine sera aussi et surtout celle de la réforme, à laquelle nous travaillons déjà, de la loi de 1986 relative à la liberté de communication. La mission d'information coordonnée par Pierre-Yves Bournazel et Aurore Bergé a jeté les bases d'une réflexion riche et large qui sera conduite en liaison avec la majorité parlementaire et les ministères concernés. La mission a réalisé un travail considérable par l'ampleur des sujets traités, les consultations de professionnels ou les ambitieuses propositions formulées. Son rapport prend la mesure de la mutation du numérique et propose avec raison, par exemple, d'assouplir la régulation actuelle ou de donner plus de latitude aux opérateurs pour leur permettre de lutter à armes égales contre les GAFA. Nombre de ces propositions seront très certainement reprises dans le projet de loi sur l'audiovisuel qui vous sera présenté au printemps prochain ; je compte bien procéder à des échanges nourris avec vous d'ici là. Ce texte traitera de la réforme du secteur audiovisuel public, de la transposition de la nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels et d'autres sujets à propos desquels nous aurons au cours des semaines et des mois à venir un débat passionnant.

Enfin, à quelques semaines du dernier sommet de la francophonie, je ne saurais conclure sans réaffirmer mon engagement déterminé en faveur du rayonnement de la francophonie, de la langue française, de notre diplomatie culturelle et de notre culture. En 2019, nous financerons notamment le lancement de la restauration du château de Villers-Cotterêts ; il sera transformé, d'ici à 2022, en un laboratoire de la langue française, et bien plus que cela. Nous aurons l'occasion d'en reparler, car ce beau projet demande à être précisé. D'autre part, l'organisation d'un appel à projets doté d'un million d'euros vise à mobiliser des actions en faveur de la langue française sur l'ensemble du territoire. Enfin, l'organisation des États généraux du livre en français dans le monde donnera un rayonnement particulier à notre action.

Réaffirmer mon attachement au service de la culture, c'est aussi faire écho à l'engagement de l'ensemble des personnels du ministère, dans l'administration centrale, dans les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et chez les opérateurs. Dans un contexte de transformation de l'action publique, le ministère de la Culture contribuera équitablement à l'effort de réduction de l'emploi public, avec une diminution de 50 équivalents temps plein (ETP) en administration centrale et de 110 ETP chez les opérateurs en 2019. Nous avons la chance d'avoir des acteurs publics dévoués au service de l'intérêt général et de la culture de leur pays. L'augmentation de la masse salariale du ministère permettra de poursuivre l'amélioration des conditions de rémunération de ses agents ; plus de 7 millions d'euros y seront consacrés l'an prochain.

Je mesure, au gré de mes rencontres depuis mon entrée en fonction il y a un peu plus d'une semaine, les fortes attentes qui s'expriment. J'aurai à coeur d'y répondre, dans le respect des priorités que j'ai exposées et avec le souci de construire avec la représentation nationale, dont je suis issu, un dialogue fécond.

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