Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du mercredi 31 octobre 2018 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Les crédits pour la justice de ce projet de loi de finances augmentent de 4,5 % et vous annoncez une hausse de 24 % sur le quinquennat. Le groupe Libertés et territoires ne peut qu'approuver les orientations budgétaires à la hausse que vous avez arrêtées.

Néanmoins, chacun d'entre nous ici sait que l'on part de loin, de très loin même. Vous n'en êtes pas les seuls responsables, certes, mais le retard de la France en termes de moyens humains et financiers est considérable. Notre pays se classe à la quatorzième place seulement parmi les pays de l'Union européenne en consacrant à peine 66 euros par habitant et par an à la justice ; l'Allemagne dépense 122 euros, soit deux fois plus que la France ; les deux premiers du classement sont le Royaume-Uni et le Luxembourg. Autrement dit, le travail est encore long et la situation demeure urgente. C'est, à notre sens, dès maintenant qu'il faut déployer de nouveaux moyens, sans attendre 2022.

Je souhaiterais aborder trois points. Le premier porte sur le maillage des tribunaux et le maintien des tribunaux de proximité, notamment en milieu rural ou de montagne. Notre groupe souhaite réaffirmer avec force la nécessité de conserver ce maillage de tribunaux aux compétences élargies, dans le cadre des projets de lois relatifs à la justice dont nous débuterons l'examen dans deux semaines.

La spécialisation que vous prônez, en confiant certains contentieux spécialisés aux TGI, se fera-t-elle au détriment des autres tribunaux ? N'aboutira-t-elle pas à terme à l'apparition de déserts judiciaires ?

Le deuxième point concerne la politique pénitentiaire et les prisons. Vous annoncez la création de 7 000 nouvelles places de prison d'ici 2022 et de 6 000 places supplémentaires après 2022. Sur le papier, cette décision est à saluer. En effet, la surpopulation carcérale est sans cesse dénoncée et il est difficile de répondre aux demandes, légitimes à notre sens, d'encellulement individuel.

Pourriez-vous nous en dire davantage quant à la répartition géographique des nouvelles places de prison ? Sera-t-elle équitable et tiendra-t-elle compte des besoins des territoires ? À titre d'exemple, dans ma circonscription, soixante-dix places sont libres dans le centre de détention de Casabianda que vous avez visité récemment. Prévoyez-vous la rénovation d'établissements de ce type ?

Ce signal positif au plan quantitatif ne doit pas nous empêcher de réfléchir sérieusement aux alternatives à l'incarcération. Celles-ci ne doivent pas être envisagées comme de simples remèdes à l'engorgement des prisons. C'est d'une nouvelle politique des peines que nous devons débattre. L'emprisonnement ne doit plus être la peine de référence. Ce débat occupera très largement, je crois, nos discussions à venir.

Le groupe Libertés et territoires tient à témoigner tout son soutien au personnel pénitentiaire qui a vécu ces derniers temps des événements tragiques. En janvier 2018, madame la ministre, vous vous étiez rendue en urgence au centre pénitentiaire de Borgo à la suite de l'agression, à caractère terroriste, dont avait été victime un surveillant de la prison. Le personnel des prisons françaises souffre de sous-équipement et de sous-effectif chroniques. Un surveillant pour 2,4 détenus en France : une fois de plus, la France se situe parmi les plus mauvais élèves puisque le ratio est d'un surveillant pour 1,23 en Italie et pour 1,26 en Belgique – je ne parle même pas des pays scandinaves dans lesquels il est d'un surveillant pour un détenu. Ce personnel, vous le savez, madame la ministre, doit faire face, comme à Borgo, à des détenus de plus en plus dangereux et violents. Quelles mesures pour assurer la sécurité du personnel votre ministère a-t-il mises en oeuvre ? Je pense autant à l'équipement du personnel qu'à sa formation à la détection et à la gestion des cas dangereux pour éviter, autant que faire se peut, le passage à l'acte.

Enfin, je manquerais à mes devoirs si je n'abordais pas un sujet particulier qui a à voir avec le respect total du droit et qui peut être lié à la question des places à venir dans les établissements pénitentiaires. Je veux parler du rapprochement des prisonniers qu'ils soient corses, basques ou autres, parce que c'est la loi. Vous connaissez bien le sujet. Des milliers de manifestants, à l'appel d'associations et d'élus basques de toute obédience, ont défilé en décembre dernier à Paris pour réclamer ce rapprochement, rappelant que le pays basque, à l'instar de la Corse, était entré dans un processus de paix durable.

Vous vous êtes engagés à rapprocher plusieurs détenus, ce qui a été fait, et nous nous en félicitons. Trois nouveaux détenus corses ont rejoint Borgo il y a quelques jours, soulageant ainsi moralement et financièrement leurs familles qui n'avaient pas à subir de double peine. Pour autant, quand ce rapprochement sera-t-il total ? Vous savez que ce n'est pas encore le cas, laissant croire à une vengeance d'État qui ne dirait pas son nom. Tout le droit, rien que le droit : nous vous invitons à suivre cette voie parce qu'elle permet de donner confiance dans la démocratie et d'enraciner notre pays dans une paix durable sur tout le territoire.

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