Intervention de François Cornut-Gentille

Réunion du jeudi 25 octobre 2018 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cornut-Gentille, rapporteur spécial (Préparation de l'avenir) :

J'ai analysé les programmes 144 Environnement et prospective de la politique de défense et 146 Équipement des forces de la mission Défense. Je présente ce rapport en fonction des priorités fixées par la loi de programmation militaire (LPM), dont c'est la première année d'application. À défaut de pouvoir dès à présent en tirer toutes les conséquences, c'est l'occasion de vérifier que les projets ont bien démarré et d'identifier des points de vigilance.

La loi de programmation militaire visait en premier lieu à permettre aux armées de remplir leurs missions dans des conditions soutenables. Cette soutenabilité est d'abord budgétaire : le programme 146 connaît une augmentation de crédits significative, aussi bien en crédits de paiement – ils passent de 10,2 à 10,9 milliards d'euros – qu'en autorisations d'engagement – elles passent de 13,7 à 14,7 milliards. L'autre bonne nouvelle, que le Gouvernement rappelle à juste titre, est la fin des risques et incertitudes qui pesaient sur le programme 146, abondé depuis de nombreuses années de manière erratique par des recettes exceptionnelles. Ce n'est plus le cas, et c'est évidemment rassurant pour la soutenabilité de la trajectoire.

Cela étant, quelques incertitudes doivent être soulignées. La première est liée au service national universel (SNU). La LPM dispose que le budget de la défense ne le financera pas, mais la pratique diffère parfois des annonces... Il faut lever ce risque dans les mois qui viennent.

La deuxième incertitude est liée aux surcoûts des opérations extérieures (OPEX). Le caractère interministériel du financement des OPEX est toujours réaffirmé, mais reste chaque fois à devoir être vérifié dans la mise en oeuvre ; nous le verrons en fin de d'année, puisqu'il reste près de 500 millions d'euros à trouver.

La troisième source d'inquiétude est liée au gel des crédits. L'an passé, 700 millions ont été dégelés, mais seulement le 30 ou le 31 décembre, ce qui a compliqué les opérations comptables. Le programme 146 est gelé cette année à hauteur de 350 millions d'euros et l'absence de dégel poserait d'importantes difficultés.

Dernier point de vigilance pour la bonne mise en oeuvre de la LPM : l'augmentation des restes à payer. Dans la loi de programmation des finances publiques, les restes à payer ont été plafonnés pour l'ensemble de l'État à 100 milliards d'euros. La défense représente à elle seule 53,9 milliards, avec une nette augmentation au cours des dernières années. Ici encore, la LPM dispose que le ministère de la défense est exempté de l'application de cette règle, mais on ne sait pas très bien comment cela va se passer.

Pour ce qui est les commandes et les livraisons d'équipements, je n'ai rien à dire : la programmation vient de débuter et les trajectoires sont nominales. Malgré tout, la ministre et le Gouvernement ont insisté sur un point fondamental, les sommes en jeu étant très importantes : la réforme du maintien en condition opérationnelle (MCO), dont les coûts sont considérables, notamment dans l'aéronautique. La nouvelle direction créée ne sera pas rattachée à l'état-major de l'armée de l'air, mais à celui des armées, afin de renégocier les contrats et de réaliser des économies. Les intentions sont louables et les personnes nommées paraissent compétentes.

Cela étant, je veux relever quelques points de vigilance. Tout d'abord, que signifie le maintien en condition opérationnelle ? Certes, les équipements doivent être opérationnels et présenter un fort taux de disponibilité ; mais nous ne pourrons pas progresser significativement dans ce domaine sans indicateurs clairs sur le taux de disponibilité des matériels. Or nous avons toujours beaucoup de mal à les obtenir du ministère de la défense. C'est dommage. Si c'est une priorité, la transparence n'est pas anecdotique ; elle est même indispensable pour progresser.

En outre, si la réforme du MCO est intéressante, elle semble avoir contourné les points durs : les appareils prioritaires sont ceux qui ne connaissent pas les problèmes les plus aigus, comme les Rafale, dont le taux de disponibilité est déjà très satisfaisant, ou les Cougar, qui font l'objet de rénovations très importantes et ne connaîtront donc pas de problème de disponibilité. En revanche, certains appareils posent des problèmes de disponibilité gravissimes, qu'il s'agisse des hélicoptères Tigre ou NH90, ou de l'A400M, pour lesquels nous n'avons pas le début du début d'une solution, par le fait que ce sont des programmes européens.

La deuxième priorité de la loi de programmation militaire était le renouvellement des capacités opérationnelles. La réforme de la conduite des programmes d'armement, dite réforme de l'instruction dite 1516, menée par la direction générale de l'armement (DGA), prévoit de passer de six à trois stades dans les programmes d'armement. Il est difficile d'apprécier l'effectivité d'une telle mesure : sur le papier, cela présente bien, mais si les personnels concernés continuent à travailler en silo, sans se parler, cela ne changera pas grand-chose. On ne peut que souhaiter bon courage au ministère de la défense, car il est trop tôt pour apprécier l'intérêt des réformes en cours.

Concernant le renouvellement des capacités, le budget de la DGA progresse en crédits et en effectifs. En revanche, les perspectives à dix ou quinze ans de cette direction générale restent assez floues. Il serait important de disposer d'une vision claire : on abonde les crédits, mais modifie-t-on en profondeur l'outil ? Je n'ai pas suffisamment d'éléments pour le dire.

Le troisième axe de la LPM – garantir notre autonomie stratégique et contribuer à la consolidation d'une défense en Europe – appelle de ma part quatre remarques.

Premièrement, l'autonomie stratégique, c'est bien sûr le nucléaire. Dans ce domaine, les crédits augmentent puisque nous entamons une phase de renouvellement en profondeur. Il existe naturellement une tradition de prudence concernant l'information sur le nucléaire et je la comprends ; reste que le nucléaire, y compris civil, fait débat. Je ne suis pas certain que l'on puisse à l'avenir de priver d'un véritable débat, surtout si l'on est favorable au maintien du nucléaire en matière de défense. Or, à eux seuls, les documents budgétaires ne permettent pas d'éclairer un débat budgétaire construit ; c'est dommage.

Deuxièmement, et il y va également de notre autonomie, les crédits et effectifs consacrés aux services de renseignement augmentent. Là encore, c'est une évolution nominale conforme aux annonces. Ces services rencontrent des difficultés de recrutement et le processus n'est pas aussi rapide que prévu, mais il suit son cours : les effectifs et moyens supplémentaires sont bien là, tant pour la direction générale de la sécurité extérieure que pour la direction de la sécurité et du renseignement de la défense.

Troisièmement, puisqu'il est sans cesse question d'autonomie stratégique, je rappelle aussi nos failles capacitaires. Certaines seront comblées grâce à la loi de programmation militaire – les ravitailleurs, notamment – mais une faille capacitaire gigantesque demeure, qui ne fait l'objet d'aucun début de réflexion : tout ce qui touche au transport stratégique, qu'il s'agisse du matériel ou des troupes. De ce point de vue, nous sommes dans une situation de dépendance totale à l'égard des Russes et des Ukrainiens qui, à terme, ne me paraît pas être tout à fait satisfaisante et qui affaiblit considérablement notre discours sur l'autonomie stratégique.

Quatrième remarque, sur la consolidation d'une défense en Europe. Je n'entrerai pas dans les détails, mais il semble exister un gouffre entre le discours politique et la réalité militaire et industrielle, où les difficultés sont nombreuses. L'objectif existe mais sa réalisation est discutable. J'en veux pour preuve deux exemples révélateurs : le MCO, tout d'abord, qui se heurte précisément à des problèmes liés aux programmes européens sur lesquels nous n'avançons pas. Autre exemple : le programme 144 était assorti d'un indicateur relatif au taux de coopération européenne en matière de prospective, de recherche et de technologie ; au cours des dix dernières années cet indicateur a reculé de 10 points. Résultat : on l'a supprimé... Autrement dit, lorsque les faits ne sont pas conformes aux objectifs fixés, nous ne nous donnons pas les moyens de regarder la réalité et nous détruisons les indicateurs. La coopération européenne me semble donc être une question majeure.

Un dernier point concernant l'innovation face aux défis du futur : la création de l'Agence de l'innovation de défense est une bonne idée. Cependant, son articulation avec la DGA n'est pas claire et, là encore, nous n'en avons aucune lisibilité budgétaire. Or, dans les années à venir, il est essentiel que la LPM favorise la lisibilité budgétaire afin que nous puissions constater concrètement les progrès accomplis.

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