Intervention de Élodie Jacquier-Laforge

Réunion du jeudi 25 octobre 2018 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis des crédits de la mission Immigration, asile et intégration :

Monsieur le ministre, madame la présidente, mes chers collègues, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent encore de manière très importante cette année et contribuent ainsi à la sincérité du budget que nous examinons aujourd'hui. En effet, ils s'élèveront à 1,69 milliard d'euros en crédits de paiement en 2019, contre 1 milliard il y a seulement deux ans.

Ils permettront de poursuivre la mise en oeuvre du plan « Garantir le droit d'asile, mieux maîtriser les flux migratoires » présenté le 12 juillet 2017 par le Gouvernement, dont la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, que nous avons adoptée cet été, constitue un élément fondamental.

Le programme 303 « Immigration et asile » comprend l'essentiel des crédits de la mission et finance notamment la politique de l'asile, ainsi que la lutte contre l'immigration irrégulière. L'augmentation des crédits dédiés à l'hébergement permettra de poursuivre la mise à niveau du dispositif national d'accueil. Sa rationalisation, dont nous avons longuement débattu lors de l'examen du projet de loi sur l'asile et l'immigration, doit constituer une priorité du Gouvernement. Je me réjouis qu'une telle démarche soit désormais engagée, pour l'organiser autour de trois niveaux de prise en charge.

Premièrement, les centres d'accueil et d'examen des situations (CAES), pour éviter les files d'attentes et les campements illégaux sur la voie publique et orienter au plus vite les demandeurs ; deuxièmement, l'hébergement d'urgence, pour les étrangers sous procédure accélérée ou procédure dite « Dublin » ; troisièmement, enfin, les CADA, qui doivent demeurer l'hébergement de référence.

Cela doit nous permettre de disposer d'un parc d'hébergement de 97 000 places fin 2019. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, quelles sont les hypothèses d'augmentation de la demande d'asile que vous avez retenues en 2019 pour bâtir votre budget ?

Les crédits consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière augmentent également. Ils pourront ainsi financer la création de 450 places en centres de rétention administrative, portant le total de notre parc à un peu plus de 2 000 places. Cette augmentation est rendue indispensable pour renforcer l'effectivité de l'exécution des décisions d'éloignement et tenir compte de l'augmentation de la durée légale de placement en rétention prévue par la loi du 10 septembre 2018.

Les crédits consacrés à l'intégration, enfin, augmentent également pour financer les décisions prises lors du comité interministériel à l'intégration du 5 juin 2018, qui reprenait les principales propositions de notre collègue Aurélien Taché. Ces crédits supplémentaires doivent notamment permettre de financer le doublement des cours de langue, dont le nombre d'heures passera de 200 à 400 heures dès 2019, afin de rapprocher la France des meilleurs standards européens ; le doublement de la formation civique, qui passera de 12 à 24 heures ; l'introduction d'une prestation d'orientation professionnelle dès le stade du contrat d'intégration républicaine (CIR).

Toutes ces mesures seront mises en oeuvre par l'opérateur du ministère, (OFII). À ce propos, monsieur le ministre, j'ai été alertée de la difficulté pour l'Office de recourir à des contrats longs pour certaines catégories d'agents, notamment ceux en contact avec le public. Beaucoup sont en effet recrutés pour des durées courtes – onze mois –, ce qui entraîne un roulement important du personnel, coûteux en termes de finances publiques et peu efficace en termes de politiques publiques. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, ce que vous comptez faire pour remédier à cette situation et donner à l'OFII les moyens de remplir au mieux ses missions ?

Alors que la crise migratoire des années 2015 à 2016 semble dernière nous, l'épisode de l'Aquarius, l'été dernier, du nom de ce bateau ayant recueilli plusieurs centaines de migrants et qu'aucun État européen ne voulait voir accoster chez lui, a souligné les carences de la solidarité européenne en matière d'asile. C'est pourquoi j'ai fait le choix cette année de m'intéresser à la mise en oeuvre du règlement « Dublin », dont l'application provoque de nombreuses divergences entre les différents États membres de l'Union.

Vous le savez, le règlement « Dublin » est une composante du régime d'asile européen commun. Il a pour objet, d'une part, d'éviter que le demandeur d'asile sollicite successivement plusieurs pays européens et, d'autre part, qu'il soit renvoyé d'un pays à l'autre sans que sa demande soit jamais examinée, ce qui contreviendrait au principe de non-refoulement de la convention de Genève. Il pose le principe selon lequel un seul État européen est responsable de la demande d'asile d'une personne ressortissante d'un État tiers, et prévoit pour cela une procédure de transfert entre les différents États membres.

Or, le nombre de demandeurs d'asile relevant du règlement « Dublin » a augmenté de manière spectaculaire depuis deux ans, ces demandeurs représentant désormais 40 % du total des demandes enregistrées en préfecture. Moins concernée par la crise de l'asile qu'a connue l'Union européenne à partir de 2015, où plus de 1,2 million de demandes avaient été déposées auprès des vingt-huit États membres, dont 700 000 dans la seule Allemagne, la France présente en effet la particularité de continuer à voir la demande de protection augmenter, alors qu'elle baisse partout ailleurs en Europe – 650 000 demandes ont été déposées au total en 2017.

La France est confrontée à une hausse des flux secondaires sans précédent depuis désormais plus d'un an : il s'agit de migrants arrivés en Europe en 2015-2016 et qui, après avoir déposé une demande d'asile dans un premier pays européen – et en avoir été déboutés – réitèrent cette demande auprès d'un autre État membre de l'Union et relèvent donc du règlement Dublin.

Ainsi que me l'ont expliqué plusieurs interlocuteurs, la demande d'asile de ressortissants afghans est par exemple en augmentation de 75 % par rapport à l'année dernière ; il s'agit de personnes provenant en grande majorité d'Allemagne ou d'Italie, qui ont déposé en moyenne 1,8 demande d'asile dans un autre pays avant d'arriver en France – ce qui signifie que la demande qu'ils déposent en France est généralement la troisième.

Ce phénomène trouve notamment son explication dans le durcissement du taux d'octroi de l'asile aux ressortissants afghans par l'Allemagne : le pourcentage de rejet est ainsi passé de 27 % en 2015 à 53 % en 2017. Toutes nationalités confondues, l'Allemagne aurait ainsi débouté plus de 600 000 personnes au cours de ces dernières années.

Le problème est que la France a du mal à s'organiser face à ce phénomène nouveau. Ainsi, les taux de transfert restent particulièrement faibles : sur les 41 000 requêtes adressées en 2017 par la France, 29 000 ont obtenu un accord des États membres concernés, dont 13 000 de l'Italie, mais seulement 2 600 transferts ont été effectivement faits. Ces faibles taux de transfert fragilisent la France par rapport aux autres États membres affichant des taux supérieurs, et contribuent à un faire un pôle d'attractivité pour tous les déboutés du droit d'asile présents sur le continent européen.

C'est pourquoi une mise à niveau de notre dispositif est indispensable. Le vote, à l'initiative de notre collègue Jean-Luc Warsmann, de la loi du 20 mars 2018 relative au régime d'asile européen commun, doit y contribuer. Surtout, monsieur le ministre, il a été décidé cet été de créer des pôles régionaux « Dublin » pour aider les préfectures dans la mise en oeuvre de cette procédure longue et complexe. Pouvez-vous nous indiquer l'état d'avancement de leur déploiement ainsi que les moyens qui leur seront alloués ?

Cependant, nous en sommes tous conscients, la résolution de cette question ne pourra se faire qu'au niveau européen. Pensé à une époque où la demande d'asile était très faible en Europe, le règlement « Dublin » ne répond plus du tout à son objectif initial : éviter les demandes d'asile successives au sein des différents pays européens.

En 2016, la Commission européenne avait présenté un projet de refonte qui visait notamment à réduire les délais d'instruction des demandes de transfert et à instituer une responsabilité permanente – aujourd'hui, si la France ne transfère pas le ressortissant Dublin dans un délai de six mois, la procédure est annulée et la personne concernée peut déposer une nouvelle demande d'asile en France. La proposition prévoyait également l'introduction d'un mécanisme de solidarité rendant possible la relocalisation des demandeurs dans les États membres, en cas d'afflux soudains et massifs, selon une clé de répartition prédéterminée.

L'examen de ce texte par le Conseil a été interrompu en septembre 2016 par la présidence slovaque, en raison de trop grandes divergences politiques entre les États membres. L'allongement de la durée de la responsabilité de l'État chargé de l'examen de la demande d'asile suscite l'opposition des pays de première entrée, au premier rang desquels l'Italie ; l'instauration d'un mécanisme de solidarité, par réinstallation des demandeurs dans d'autres États membres, se heurte au refus des États du groupe de Višegrad – Pologne, Hongrie, République Tchèque et Slovaquie –, opposés à toute forme d'accueil obligatoire.

En juin dernier, à la suite du drame de l'Aquarius, le Conseil européen avait évoqué la création de « centres contrôlés » ou de « plateformes régionales de débarquement », pour examiner au plus vite la situation de personnes débarquant sur nos côtes et permettre, soit de les inscrire dans une démarche d'asile, soit de les reconduire dans leur pays d'origine.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, quelles ont été les conclusions du dernier Conseil européen sur ce sujet et quelle position soutient la France dans la refonte du règlement « Dublin », ainsi que les perspectives pour les mois qui viennent, notamment avant les échéances européennes de 2019 ?

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