Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 8h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, ministre de la Justice, garde des Sceaux :

J'ai beaucoup travaillé sur cette phrase-là. (Sourires.)

À cette fin, il faut donc simplifier le travail des acteurs, mieux protéger les victimes mais aussi lutter contre la délinquance du quotidien.

Premier point : simplifier le travail des acteurs – enquêteurs ou magistrats. Pour ce faire, je souhaite aboutir à une numérisation complète des procédures pénales, du dépôt de la plainte jusqu'au jugement. Le ministère de la justice et celui de l'intérieur ont formé une équipe conjointe qui travaille en ce sens. Le texte propose aussi toute une série d'harmonisations, notamment sur les seuils de déclenchement de certaines procédures. Si les textes et les procédures sont plus clairs, l'action pénale sera plus simple au bénéfice des justiciables.

Deuxième point : mieux protéger les victimes. Au passage, je signale que les assises européennes des victimes de terrorisme se sont tenues hier à Paris. La plainte en ligne, prévue dans ce projet de loi, constituera un réel progrès, notamment pour les victimes de violences sexuelles ou conjugales qui hésitent parfois à franchir le seuil des commissariats ou des gendarmeries pour porter plainte.

Dans le même esprit, je propose l'expérimentation du tribunal criminel départemental afin d'éviter la correctionnalisation de certains crimes comme le viol. Il faut que les crimes soient jugés comme des crimes. Depuis plus de trente ans, les terroristes sont jugés par des magistrats professionnels et je n'ai pas le sentiment que cela constitue une réponse dégradée par rapport aux jugements rendus par une cour d'assises classique. Le tribunal criminel départemental contribuera ainsi, de mon point de vue, à ce que l'on appelle la vérité judiciaire.

J'ai aussi proposé la création d'un juge de l'indemnisation du préjudice corporel des victimes d'actes de terrorisme, le fameux JIVAT. De ce dispositif, adopté par le Sénat, on peut attendre une meilleure prise en charge de l'indemnisation des victimes de terrorisme. Le JIVAT déchargera la juridiction pénale de cette procédure sans pour autant écarter les victimes du procès pénal.

Troisième point : lutter contre la délinquance du quotidien. Dans ce domaine, nous avons notamment prévu d'instaurer des amendes forfaitaires pour l'usage de stupéfiants et d'étendre l'interdiction de paraître. Dans les médias, des professionnels du droit s'expriment dans des termes souvent bien différents de ceux qu'ils ont employés lors des nombreuses réunions du travail que j'ai pu tenir avec eux. Certains dénoncent, avec des expressions certainement démesurées, les atteintes qui seraient portées à la garantie des droits. D'autres affirment que ce texte offre trop de garanties, au risque d'entraver le travail des enquêteurs. Dans les deux cas, les propos sont excessifs et infondés. Ils correspondent, me semble-t-il, à des postures. Les garanties constitutionnelles sont bien là, j'y ai veillé. Le Conseil d'État, plus que moi encore, l'a amplement confirmé dans son avis.

Au renforcement des pouvoirs des enquêteurs répond, en effet, le contrôle des magistrats du parquet et aussi du siège – par le biais du juge des libertés et de la détention (JLD) – sur les actes d'enquête. Je rappelle que les magistrats du parquet sont avant tout des magistrats ; ils sont indépendants concernant les actions individuelles et garants, à ce titre, des libertés individuelles. Quant au JLD, je ne crois pas que ses contrôles soient de pure forme. L'intervention de ce juge statutaire permet de bien assurer la garantie des droits.

Sur le volet pénal, la position du Sénat est en retrait par rapport à l'ambition du projet et au travail mené avec les magistrats, les policiers et les gendarmes pour répondre à des problèmes concrets. Le Sénat a ainsi supprimé la procédure de comparution différée. Or il faut avoir conscience qu'à l'heure actuelle, faute de disposer de cette procédure, les parquets se voient fréquemment contraints d'ouvrir des informations judiciaires afin de solliciter le placement d'un suspect en détention provisoire pour éviter sa fuite, et ce alors même que l'enquête est sur le point d'aboutir. La procédure de comparution différée pourrait épargner des mois de détention provisoire à ces suspects, en sollicitant du JLD une détention provisoire de très courte durée, dans l'attente du retour de quelques actes de procédure manquants.

De même, le Sénat a voté le droit pour les suspects d'être assistés par un avocat lors d'une perquisition. Or cette exigence, qui n'est pas imposée par les textes conventionnels, générera à n'en pas douter des difficultés opérationnelles majeures pour les enquêteurs sur le terrain. Je crois que cette approche adoptée par le Sénat est décalée par rapport aux attentes de nos concitoyens. Notre justice doit protéger les Français mais elle doit demeurer fidèle aux principes qui président à notre État de droit. Soyez assurés qu'à la fois par mon parcours et par mes convictions j'y suis très attentive. Je sais que votre rapporteur Didier Paris l'est également et ne doute pas que vous le serez aussi.

Le troisième axe du projet redéfinit le sens et l'efficacité de la peine. Notre objectif est ici de mieux réprimer les infractions, de mieux protéger la société et de mieux réinsérer les personnes détenues. C'est un chantier essentiel qui doit se comprendre en lien avec le plan pénitentiaire que j'ai récemment présenté.

Il faut d'abord remettre de l'ordre dans notre droit de la peine. Le postulat de base est simple : ceux qui doivent aller en prison doivent s'y rendre réellement, ceux qui n'ont rien à y faire doivent être sanctionnés mais d'une autre manière. C'est pourquoi je propose une nouvelle échelle des peines, considérant, je le répète, que toute infraction mérite sanction. En dessous d'un mois, les peines d'emprisonnement ferme seront interdites. Entre un et six mois, la peine s'exécutera par principe en dehors d'un établissement de détention. Entre six mois et un an, le tribunal aura la possibilité d'imposer que la peine s'exécute en détention mais il pourra aussi décider d'orienter vers un aménagement de peine. Au-delà d'un an, les peines d'emprisonnement seront exécutées sans aménagement ab initio. Le seuil d'aménagement des peines d'emprisonnement sera ainsi abaissé de deux ans à un an ; c'est l'article 723-15 du code de procédure pénale.

Mon objectif est simple : il est de mettre fin aux emprisonnements de très courte durée, qui sont très souvent inutiles, désocialisants et qui nourrissent la récidive. Mais il faut aussi assurer une exécution effective des peines prononcées. Aujourd'hui, l'inexécution des peines de prison rend incompréhensible notre justice pénale, aussi bien pour les victimes que pour les délinquants. Il faut donc que les peines prononcées en lieu et place de la prison soient des peines réelles, utiles, des peines autonomes, qu'il s'agisse des travaux d'intérêt général ou de la détention à domicile sous surveillance électronique, autrement dit du bracelet électronique, que nous proposons de développer avec toutes les garanties de sécurité.

L'efficacité, je crois, ne consiste pas à brandir la prison comme l'alpha et l'oméga de notre politique pénale. Elle ne consiste pas non plus à vouloir vider les prisons au nom d'une vision angélique de la société. Ces schémas tout faits nous empêchent de voir la réalité telle qu'elle est. C'est d'ailleurs le constat que votre commission des Lois a fait en travaillant intensément sur les questions pénitentiaires depuis plusieurs mois, et ce constat, qui propose entre autres une diversification des établissements pénitentiaires et des régimes de détention différenciés pour les détenus, dépasse les clivages politiques classiques.

Le Sénat a partagé ces objectifs globaux mais il a adopté un point de vue opérationnel différent de celui du projet que je porte, en particulier sur les plus courtes peines. La prison demeure pour les sénateurs un outil nécessaire s'agissant des plus petits délits. Pour ma part, je le redis, je propose une approche par paliers afin de moduler davantage la réponse, de renforcer son individualisation, dans un objectif de lutte contre la récidive. C'est par l'individualisation accrue de la sanction, par l'individualisation du parcours de peine, que nous faciliterons l'amendement des auteurs d'infraction et que nous protégerons encore mieux nos concitoyens.

De même, le Sénat n'a pas considéré le bracelet électronique comme une véritable peine. Là encore, je suis en désaccord. Il s'agit bien d'une mesure coercitive efficace qui permet, comme l'affirmait M. Dominique Perben en 2004, d'éviter la désocialisation et le contact parfois préjudiciable avec le milieu carcéral. Pour les courtes peines, il me semble préférable que la juridiction de jugement prononce dès le départ le placement sous bracelet électronique, le placement en semi-liberté ou un placement à l'extérieur. Il faut assumer que ces modalités d'exécution puissent être plus efficaces qu'une incarcération.

Si je propose par ailleurs un sursis probatoire mêlant la contrainte pénale et le sursis avec mise à l'épreuve, c'est là aussi dans un souci d'efficacité et de souplesse, pour surmonter les difficultés rencontrées dans l'application de cette peine de contrainte pénale depuis sa création. Ce n'est pas un parti pris idéologique, je crois vraiment que la peine de probation proposée par le Sénat ne parvient pas à remédier aux lourdeurs actuelles, qui font de la contrainte pénale un outil délaissé par les magistrats.

Enfin, il nous faut développer la peine de travail d'intérêt général, sur laquelle M. Didier Paris a beaucoup travaillé, et je l'en remercie à nouveau. De nouvelles propositions vous seront faites ; nous y serons favorables.

Le quatrième axe de la réforme que je propose prévoit une évolution de l'organisation judiciaire.

Il s'agit de réformer sans brutaliser. Je n'ai pas, comme certains de mes prédécesseurs, dessiné de carte. J'ai voulu proposer une méthode fondée sur le dialogue et mon projet est fondé sur une double préoccupation. Préoccupation de la proximité, tout d'abord : le justiciable doit avoir un accès simple à la justice. Cela passe par une proximité physique mais aussi par le développement du numérique. Préoccupation liée à la qualité du service public de la justice, ensuite : la dispersion des moyens, l'absence de spécialisation pour certains contentieux complexes ne sont pas le gage d'une justice efficace. Dès l'ouverture des chantiers de la justice, j'ai affirmé qu'il n'y aurait aucune fermeture de lieux de justice. Je tiens évidemment parole, mais il faut aussi améliorer notre organisation, ce qui passe par trois évolutions principales.

Le texte prévoit tout d'abord la fusion administrative des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance. L'organisation de la première instance sera ainsi plus simple pour le justiciable, qui ne connaîtra plus qu'un seul tribunal avec une seule procédure de saisine. Tous les sites seront maintenus pour autant, je le redis, afin d'assurer une justice de proximité pour les contentieux du quotidien. J'ai également décidé, à la suite de la concertation que j'ai menée, de maintenir un juge des contentieux de la protection, qui, en proximité, sera chargé des tutelles, du surendettement, des crédits à la consommation et des baux d'habitation. Ce juge spécialisé statutaire traitera de contentieux identifiés comme relevant des problématiques liées à la vulnérabilité économique et sociale.

Pour optimiser le traitement des contentieux et s'adapter au mieux à la situation réelle de chaque ressort, la loi permet aux chefs de cour, dans les villes où il n'existe actuellement qu'un tribunal d'instance, de lui confier des contentieux supplémentaires par rapport à ceux qui peuvent y être actuellement jugés. La proximité sera donc renforcée.

Une deuxième évolution concerne les départements dans lesquels il existe aujourd'hui plusieurs tribunaux de grande instance, qui seront, je me répète, tous maintenus. Les chefs de cour, dans ces situations, pourront également, après concertation locale, proposer de créer dans chacun de ces tribunaux des pôles de compétences qui jugeront pour l'ensemble du département certains contentieux spécialisés, techniques et de faible volume. J'estime que ces contentieux spécialisés pourront représenter au maximum entre 25 et 30 % du total des contentieux. L'idée est de renforcer les compétences des magistrats et d'améliorer en conséquence les délais de jugement et la qualité de la décision. Cela ne veut pas dire que tous les contentieux spécialisés seront jugés dans un tribunal unique. Les chefs de cour proposeront des solutions équilibrées entre les tribunaux et adaptées dans chaque département.

Enfin, le projet de loi prévoit d'expérimenter dans deux régions qui comportent plusieurs cours d'appel l'exercice par l'une d'elles de fonctions d'animation et de coordination, ainsi que la spécialisation des contentieux selon le modèle précédemment évoqué. Des propositions, je le sais, sont sur la table pour augmenter le nombre de régions concernées par cette expérimentation ; j'y serai attentive.

Le projet de loi organique tire quant à lui les conséquences de la loi ordinaire sur la fusion des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance.

Sur ces questions d'organisation, le Sénat a eu une approche en demi-teinte. Il a accepté la fusion entre tribunal d'instance et tribunal de grande instance, avec la création de tribunaux de première instance mais sans que soit ouverte la possibilité au plus près du terrain de mieux adapter les compétences de chaque juridiction pour améliorer la qualité de la justice. Je le regrette et proposerai donc de revenir sur ce choix et, d'ailleurs, pour plus de clarté, de renommer ces tribunaux de grande instance « tribunaux judiciaires ».

J'en termine avec deux axes de la réforme un peu moins centraux dans ce texte.

Le cinquième axe s'attache à la diversification du mode de prise en charge des mineurs délinquants. Outre la création de vingt centres éducatifs fermés, le texte permet de mieux préparer la sortie progressive des jeunes de ces structures, et notamment le retour en famille, pour atténuer les effets déstabilisants d'un changement brutal de mode de prise en charge. Il sera aussi institué à titre expérimental une mesure éducative d'accueil de jour, troisième voie entre le placement et le milieu ouvert.

La question de la justice des mineurs est une question grave, un sujet qui mérite d'être traité à part, de manière raisonnée et mesurée. Les problèmes sont réels, les textes et les procédures méritent d'être réévalués et des actions doivent être conduites, mais là encore je ne souhaite pas que les postures l'emportent ; vous voudrez bien me pardonner cette expression, je ne veux pas faire de « com » sur le dos des mineurs et le dos de nos concitoyens qui subissent de nouvelles formes de délinquance. Il s'agit là encore d'affronter ces questions et d'y répondre sans angélisme ni démagogie, mais avec sérieux.

Des ajustements très ponctuels me semblent envisageables à ce stade mais un travail plus global doit être conduit, sans doute autour d'une mise en cohérence des textes existants. Je sais que la mission d'information conduite par M. Jean Terlier et Mme Cécile Untermaier travaille sur ce sujet ; là encore, j'y serai attentive.

Le sixième axe, enfin, concerne la procédure devant les juridictions administratives. Le projet de loi rend possible le recrutement de juristes assistants pour renforcer les équipes autour des magistrats et prévoit aussi de renforcer l'exécution des décisions par des injonctions et des astreintes. Ce sont des mesures très attendues par les juridictions administratives.

Mesdames et messieurs les députés, j'ai été un peu longue dans cette présentation et vous prie de m'en excuser, mais cette réforme globale et ambitieuse le mérite. Le Gouvernement vous proposera de rétablir plusieurs dispositions qui étaient présentes dans son texte initial mais sans écarter les apports utiles introduits par le Sénat. Le Gouvernement vous proposera également d'enrichir le texte initial, notamment par des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, avec la création d'un parquet national spécialement dédié afin de répondre à cette réalité qui s'est malheureusement installée dans la durée.

Mon objectif est simple, il s'agit de mieux servir les justiciables et la justice. Je suis certaine que nous partageons cet objectif, et le dialogue que j'ai pu nouer avec vos rapporteurs, que je remercie très sincèrement et très chaleureusement de l'immense travail qui a pu être conduit, ainsi qu'avec plusieurs d'entre vous, me rend très optimiste pour la suite de nos travaux.

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