Intervention de Laetitia Avia

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 8h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaetitia Avia, rapporteure :

Ce projet de loi que nous nous apprêtons à discuter est d'une certaine manière le reflet de l'image que nos citoyens peuvent avoir de la justice. C'est un texte dense, long, technique en de nombreux aspects, qui pourrait sembler réservé à quelques « sachants », là où il a pour première fonction d'accomplir une des missions essentielles de notre service public, celle d'assurer l'effectivité de la protection des droits de chacun, d'assurer la lisibilité des procédures et en cela un meilleur accès du champ judiciaire à ceux qui en sont les premiers destinataires, c'est-à-dire les justiciables.

Ce projet de loi répond à une préoccupation majeure : celle de la rupture du lien de confiance entre des justiciables qui ne comprennent pas la justice et une justice dont la multiplicité des procédures alourdit le fonctionnement et limite la compréhension du rôle, des responsabilités et de l'utilité de chacun de ses intervenants.

C'est d'abord, et avant tout, une loi de programmation car le Gouvernement fait le choix d'augmenter de 24 % au cours du quinquennat le budget de la justice pour le porter à 8,3 milliards d'euros en 2022. Bien sûr, on pourrait considérer que ce n'est pas assez, et il est légitime de vouloir toujours plus pour le fonctionnement de nos institutions judiciaires, mais je tiens à saluer le choix du Gouvernement de fixer par cette loi de programmation le financement de la justice au rang de ses priorités, avec un budget permettant le recrutement de 6 500 équivalents temps plein ainsi que la construction de 15 000 places de prison.

En tant que rapporteure de ce texte sur les aspects de justice civile, administrative et d'organisation territoriale, je souligne l'importance de toujours maintenir un équilibre entre les crédits alloués à la justice civile et l'investissement nécessaire dans notre justice pénale.

Le second volet de ce texte est une réforme ambitieuse de la justice, dont le point de départ est une transformation numérique, de laquelle nous débattrons peu au cours des prochains jours car elle fera principalement l'objet de dispositions réglementaires traduisant un investissement tant financier que technique et humain qui nous a été exposé en commission des Lois lors de la discussion de la loi de finances pour 2019.

Pour ce qui est du volet législatif, l'élément pivot de la réforme est un nouveau paradigme dans notre rapport au juge, lequel n'est ni un auxiliaire de justice ni l'organisateur de l'agenda des parties.

Le juge ne doit apparaître que lorsqu'il est nécessaire, pour trancher un litige. Il est ainsi proposé de développer le règlement amiable des litiges comme tentative préalable à tout règlement judiciaire, mais aussi à tout moment de la procédure chaque fois que le juge estimera opportun de s'écarter du processus judiciaire pour laisser les parties oeuvrer vers un rapprochement amiable.

Recentrer l'office du juge sur sa fonction de règlement des litiges implique aussi de le décharger des tâches administratives, automatisées, voire barémisées. Il s'agit donc d'avancer en termes de déjudiciarisation et de renvoyer certains actes vers des agents mieux à même de traiter efficacement ces demandes : la reconstitution des actes d'état civil, le recueil du consentement en matière de procréation médicalement assistée, sans que cela ne devienne trop onéreux pour les familles, la révision des pensions alimentaires en cas de modification des ressources selon un barème applicable, ainsi que de nombreux actes de gestion effectués par les mandataires des majeurs protégés pour lesquels l'intervention d'un juge n'est pas strictement nécessaire.

En ce qui concerne les majeurs protégés, je tiens d'ailleurs à saluer l'évolution considérable portée par ce texte avec le rétablissement des droits fondamentaux des majeurs protégés que sont le droit de voter, le droit de s'unir et de se désunir, sans autorisation préalable d'un juge.

S'agissant du divorce, si triste que cela puisse sembler, c'est aussi, en quelque sorte, un trait d'union entre les citoyens et la justice puisque, selon une statistique que j'ai rencontrée à plusieurs reprises mais à laquelle je ne donnerai cependant aucun caractère officiel, 100 % de nos concitoyens ont été confrontés à un divorce, que ce soit le leur ou celui d'une connaissance. C'est d'ailleurs souvent au travers du divorce que l'image d'une justice lente, lourde et coûteuse se construit. Rappelons que le divorce résulte aujourd'hui de la succession de trois périodes : la conciliation, le jugement du divorce puis la liquidation du régime matrimonial. Ce projet de loi permet des avancées sur cette procédure en la simplifiant et en réduisant ses délais.

Enfin, l'objectif de ce texte est de faire entrer pleinement la justice dans le XXIe siècle, notamment en utilisant tout ce que le numérique peut offrir en termes d'amélioration et de simplification des procédures.

Si nous devons toujours veiller à ce que ceux qui sont éloignés du numérique bénéficient toujours d'un point de contact physique, il ne faut pas oublier que le numérique est avant tout une opportunité, y compris en matière de renforcement de l'accès au droit et du recours effectif à la justice, pour tous ceux pour qui il est plus aisé d'engager des procédures via internet que de se déplacer dans un lieu de justice. Le projet de loi propose donc des procédures dématérialisées et sans audience, sous réserve de l'accord des parties.

Ce texte prend acte de l'activité croissante de ce qu'on appelle des « legal techs », des plateformes de services juridiques en ligne, dont il ne faut pas avoir peur mais qu'il faut bel et bien encadrer dans le respect du périmètre du droit.

Enfin, parce que le numérique est avant tout un élément d'accès et de transparence, les décisions de justice seront rendues disponibles pour tous, gratuitement, en open data. Je vous présenterai en la matière des mécanismes renforçant la protection de la vie privée et de la sécurité des personnes citées.

Ce sont des évolutions nécessaires à l'heure où de nombreux actes de notre vie quotidienne sont empreints de numérique. Mais ces innovations ne sont pas antinomiques avec une représentation territoriale de nos lieux de justice, dont il faut réorganiser, voire rationnaliser le fonctionnement. À cet égard le projet de loi propose deux évolutions.

Il s'agit, d'une part, de la fusion des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance, qui deviendront des tribunaux judicaires avec des chambres délocalisées de proximité assurant un maillage territorial. Ce dispositif ouvrant un travail d'organisation à l'échelle départementale permettra une spécialisation des tribunaux et une meilleure qualité de la justice qui y est rendue.

D'autre part, une expérimentation, que je vous proposerai d'étendre de deux à cinq régions, permettra la coordination des cours d'appel et une répartition de leurs compétences au sein d'une même région.

Beaucoup de sujets, donc, pour une réforme qui se veut ambitieuse, vaste, simplifiant et réinterrogeant nos procédures chaque fois qu'un acte paraît superfétatoire, avec toujours une seule boussole, un seul curseur, vous l'avez rappelé, madame la garde des Sceaux : le justiciable avant tout et l'utilité du service public de la justice pour nos concitoyens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.