Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 16h50
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Un grand merci à vous tous pour vos présentations très diverses, qui montrent bien l'importance de la réflexion dans un domaine où il n'existe pas de vérité unique mais qui peut être appréhendé sous différents angles.

Personne ne veut préconiser le « droit à l'enfant ». Au contraire, chacun entend mettre en avant le très légitime droit de l'enfant et le non moins légitime désir d'enfant de la part de parents qui élèveront bien et aimeront beaucoup un enfant qu'ils auront fortement désiré. Au regard de ce simple précepte à l'origine de notre réflexion, l'accès aux origines s'inscrit pleinement dans le droit de l'enfant et il apparaît aujourd'hui difficile d'y résister.

Certains d'entre vous ont rappelé les bases de l'élaboration du dispositif juridique actuel, mais à l'époque on se préoccupait moins des besoins de l'enfant que du maintien du secret, essentiellement pour l'homme infertile, qui ne voulait pas que la société sache qu'il avait eu recours à un donneur. On avait alors toute excuse à ne pas connaître le besoin des enfants grandissants de disposer d'informations plus complètes, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ces enfants sont devenus adultes, ils nous l'ont dit et répété.

On nous dit qu'il n'y a que 700 demandes par an en France pour 70 000 procréations avec donneur, mais combien d'entre elles ont été suivies de la révélation de leur mode de conception aux enfants concernés ? Très peu. En France, nous n'avons ni études ni statistiques et nous sommes obligés de lire les articles anglo-saxons, mais ils sont critiqués au motif qu'ils véhiculeraient des valeurs ignobles. Sauf que, pour les critiquer, il faut avoir quelque chose à mettre en regard. En Europe, seuls 6,8 % des enfants nés de PMA avec donneur le savent. En supposant que nous soyons meilleurs en France, on atteindrait peut-être 10 %. Autrement dit, très peu des 70 000 enfants nés de PMA avec donneur le savent. Il est donc normal que peu le demandent.

Les doutes dont vous avez fait état ne me semblent pas propres à ces enfants. Je ne suis pas psychiatre, mais j'entends les psychiatres dire qu'à une certaine phase de son développement, quasiment tout enfant est effleuré par le doute sur sa parentalité. Si, à ce stade, on dit la vérité à ces jeunes, ils s'adaptent parfaitement. On a grand tort de ne pas dire aux enfants qu'un tiers donneur est à l'origine de leur naissance. Cela ne protège ni l'enfant ni les parents car, quand l'enfant le saura plus tard, les parents en prendront plein la figure. Je peine à comprendre le maintien de cette culture du mensonge qui fait tant de mal aux enfants et, indirectement, aux parents d'intention, aux vrais parents, ceux qui aiment et qui élèvent.

Vouloir revenir aux valeurs anciennes est un combat d'arrière-garde. C'est fini ! La société a fait son choix. La société française du XXIe siècle, comme précédemment les sociétés des pays anglo-saxons et latins d'autres continents, a déjà compris qu'il fallait évoluer. Je veux bien que nous soyons petits à la surface du monde, mais nous ne saurions conserver les seules valeurs prévalant au tout début de l'AMP, bien que je les respecte parfaitement, puisque l'ignorance de l'époque permettait de douter de ce qu'il fallait faire.

D'une façon concrète et pragmatique, peut-on, aujourd'hui, ne plus rediscuter cette question et ne pas se demander comment faire, à partir du moment où l'on considère qu'un certain nombre d'informations doivent être accessibles à ces enfants car elles sont nécessaires à leur développement ? On ne construit pas une vie sur le mensonge. Comme dit le poète : un arbre ne s'élève pas vers le ciel sans racines profondes. Les humains aussi ont besoin de connaître leurs origines pour s'épanouir. J'entends qu'on critique les méthodes des autres pays, en particulier l'Amérique. On constate pourtant que le niveau d'épanouissement du jeune devenu adulte est plus élevé dans les pays qui prônent la vérité. Nous devons donc nous remettre en question. Être fiers de nos valeurs et de l'humanisme à la française ne signifie pas que l'on doive camper sur des idées héritées du XXe siècle.

Il y a beaucoup trop de secret. Il n'est pas acceptable que la majorité des enfants conçus avec un tiers donneur l'ignorent. Ils sont contraints de faire des tests ADN dans d'étranges conditions pour découvrir qui sont leurs demi-frères et demi-soeurs. Nous devons donc avancer. Mais comment ? Quelles informations leur fournir ? Comment faire pour que cela se passe sereinement ?

L'un d'entre vous a estimé que la connaissance des origines encouragera le recours au marché privé. Je ne vois pas le lien entre les deux. En France, les dons, qu'il s'agisse du sang, du sperme, des organes, de la moelle osseuse ou du sang du cordon, sont gratuits et en dehors du secteur privé. Nous pouvons nous protéger contre une dérive commerciale. Des pays ont dérivé, non à cause de cela mais parce qu'ils ont une autre conception de la nôtre de l'implication du secteur public pour préserver certaines valeurs.

Nous nous interrogeons sur les dons faits antérieurement. Les donneurs ont fourni des indications en matière d'anonymat. Ils ne sont pas tous arc-boutés sur celles-ci, mais il faut les interroger. Certes, il ne peut y avoir d'application rétroactive de la loi. Il faut donc les contacter pour leur demander s'ils accepteraient, comme les nouveaux donneurs, de transmettre quelques informations. Les CECOS disent que la plupart d'entre eux sont introuvables. Pourtant, la loi prévoit la conservation des éléments relatifs aux donneurs durant quarante ans. Ils invoquent le manque de moyens. Il faut donc leur donner les moyens de réaliser les recherches et d'envoyer des courriers. Il est important de retrouver des personnes qui ont donné il y a vingt ou trente ans. Si, dans l'intervalle, ils ont subi une maladie génétique à révélation tardive, les enfants doivent en être informés. Si un homme porteur d'une maladie génétique qui se déclare à l'âge adulte a donné il y a vingt ans du sperme qui a été utilisé il y a dix ans, l'enfant, qui a aujourd'hui dix ans, doit le savoir, notamment si un traitement précoce est recommandé et pour qu'on n'utilise plus les paillettes stockées. Comment, pour les dons antérieurs, évoluer positivement tout en respectant les engagements pris ?

Que faire pour l'accouchement sous X ? Quand les enfants de demain, nés de PMA avec tiers donneur, auront accès à des informations sur leurs origines, les enfants nés d'accouchement sous X diront : pourquoi pas nous ? Il existera une inégalité de traitement. Il est possible que, dix ou vingt ans plus tard, des femmes veuillent contacter leur enfant, parce que les difficultés qui les avaient amenées à accoucher sous X se seront dissipées et qu'elles auront recouvré un mode de vie stable, propice à renouer avec leurs enfants.

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